mercredi 18 mai 2011

“Toutes précautions avaient été prises à l'origine pour que ces tombeaux [les pyramides égyptiennes] défiassent éternellement les atteintes du temps et des hommes” (Gabriel Rogeron - XIXe-XXe s.)

Dans ses Souvenirs d'un voyage en Orient, avec dessins à la plume de l'auteur, le zoologiste angevin, éleveur-collectionneur de palmipèdes, Gabriel Rogeron (1939-1912) consacre un bref passage aux pyramides de Guizeh (tome 2 de l’ouvrage, 1899).
Il nous y fait assister, presque en direct, à la surprise qui fut sienne lorsqu’il réalisa que les pyramides étaient “creuses”, et non seulement de gigantesques tumulus faits de blocs de pierre entassés sur des sépultures.
Comme on pourra le noter à partir du titre de cette note (une citation, remarquable pour son imparfait du subjonctif !), l’auteur souligne le contraste entre la finalité première de ces monuments (servir de tombeaux) et l’état dans lequel on les trouve maintenant (dégradation du revêtement, sépulcres violés, dispersion des restes momifiés des pharaons). D’où cette conclusion empreinte de fatalisme : “Tous les efforts humains n’aboutissent qu’au néant”, fussent-ils le fait des plus célèbres et puissants souverains.
Cliché de 1862 - auteur inconnu
“Ce n'est qu'une fois parvenu au pied immédiat de la grande pyramide, qu'élevant les yeux vers son sommet, je suis vraiment stupéfié, terrifié de voir qu'une masse aussi énorme, qu'une pareille montagne de pierre a pu jamais être érigée de la main des faibles mortels. Ni Saint-Pierre de Rome, ni le Colisée, n'ont jamais produit chez moi un sentiment pareil. Je vois bien que ma première impression qui, du chemin de fer et de la citadelle du Caire, m'a montré à l'horizon ces antiques tombeaux comme des montagnes lointaines, a été la bonne, qu'elle ne m'a nullement trompé. Ainsi, pour juger de la réalité de ces immenses monuments, faut-il ou les considérer de loin ou bien les voir à leur base ; une distance intermédiaire leur est absolument défavorable. (...)
Les Pyramides possédaient à l'origine, de leur base à leur sommet, un revêtement de marbre poli, et dans de telles conditions, il eût été impossible de les gravir ; mais il s'en faut qu'elles aient toujours été, ainsi qu'aujourd'hui, l'objet de l'admiration des peuples et de lois protectrices
des souverains d'Égypte. De même qu'autrefois le Colisée à Rome, elles ne furent guère considérées pendant de longs siècles que comme de vastes et commodes carrières de marbre où on allait puiser suivant les besoins.
La seconde pyramide possède encore la moitié de ses revêtements à partir du sommet, car sa base est dévastée ; quant à la plus grande, celle au pied de laquelle nous sommes, elle n'en conserve plus trace. Étant de quelques centaines de mètres plus rapprochée de la vallée du Nil, elle a été la première exploitée, et les blocs de pierre dont elle est construite se trouvant ainsi à nu, forment comme un gigantesque escalier le long de ses parois. C'est en gravissant l'une après l'autre ces marches de près d'un mètre en moyenne, qu'on parvient à escalader le monument. (...)
Ne m'étant jamais occupé autant que ce jour-là de ces antiques monuments, j'ignorais absolument qu'ils fussent creux. C'étaient, je le savais, de gigantesques tombeaux, mais si massifs d'apparence que je m'imaginais qu'ils n'étaient autres que des sortes de hauts et imposants tumulus recouvrant les dépouilles mortelles des Pharaons ; seulement qu'au lieu d'être de terre comme d'habitude, ils étaient formés de lourdes assises de pierres comme les anciens Égyptiens savaient les disposer.
Cette croyance, d'ailleurs, avait été longtemps partagée. Ce n'est que vers le commencement du siècle que des conjectures contraires prirent de plus on plus cours, que l'on se mit avec activité et persévérance à rechercher de tous côtés l'issue de chambres sépulcrales supposées. Cette entrée fut d'ailleurs d'autant plus difficile à découvrir qu'elle n'était point située à la base de l'édifice comme on eût pu penser, mais à une hauteur de quarante à cinquante pieds au-dessus du sol, au milieu du côté nord, et qu'en outre, rien ne l'indiquait extérieurement ; car devant cette entrée, comme partout, couraient les énormes assises de pierre placées aussi régulièrement qu'ailleurs, lesquelles assises avant que cette pyramide eût été dévastée, étaient elles-mêmes recouvertes d'un épais revêtement de marbre en glacis.
Toutes précautions avaient donc été prises à l'origine pour que ces tombeaux défiassent éternellement les atteintes du temps et des hommes ; monuments d'une solidité incomparable, entrée à une hauteur assez considérable au-dessus du niveau du sol, et cette entrée tellement dissimulée que même les revêtements de marbre enlevés, on fut des siècles avant d'en trouver la trace.
Cependant, comme pour prouver que tous les efforts humains n'aboutissent qu'au néant, même pour conserver nos dépouilles mortelles, ces sépulcres sont actuellement violés, et les restes des anciens souverains d'Égypte dispersés.”

Source : Gallica