Nicolas Bergier |
Il abandonna le barreau pour se consacrer à l'antiquité romaine. Son ouvrage Histoire des grands chemins de l’Empire romain, édité en 1622, représente l'une des toutes premières recherches sur la topographie romaine antique, la publication de la célèbre Table de Peutinger (carte des voies de l'empire romain) ne remontant qu'à 1591.
Dans les extraits de cet ouvrage que j’ai choisis, l’auteur traite, par mode de comparaison, de l’art funéraire en Égypte, avec notamment un bref commentaire sur la forme particulière donnée par les bâtisseurs de pyramides à leurs monuments, comme un “hiéroglyphe à la postérité”, les quatre côtés d’une pyramide symbolisant la récurrence, tous les quatre ans, d’une année bissextile.
“Tout ce qui pouvait arrêter les yeux des passants en ce qui est des sépulcres anciens bâtis sur les grands chemins consistait généralement en deux choses : savoir en la forme de l'architecture, et en la beauté et subtilité des inscriptions. Ce que les Latins comprennent sous ces deux termes : forma operis, et titulus. C'est donc de ces deux choses qu'il faut maintenant parler, pour faire paraître la grandeur du plaisir et de la volupté d'esprit que les passants pouvaient concevoir en la contemplation des choses, de la beauté et magnificence desquelles nous ne laissons encore de tirer quelque délectation par la lecture des Livres.
Donc pour entrer en matière sur les sépulcres, je dirai qu'il s'en est trouvé sur les grands chemins de trois façons : non pas différents au droit de sainteté et de religion, qui était unique et commun à tous, mais en somptuosité d'édifice, et en gravité et majesté d'inscriptions. Les uns donc étaient grands et magnifiques, les autres médiocres en leur structure, et les autres bas et humbles en comparaison des deux premiers. Les grands étaient pour les rois, princes et hommes illustres ; les médiocres, pour gens riches et d'honnête famille ; et les plus petits pour le commun du peuple. (...)
Telle était la folie des anciens rois d’Égypte ès bâtiments de leurs pyramides, que Pline appelle Regum pecuniae otiosam ac stultam ostentationem, et Jule Frontin Pyramides otiosas, inertia opera. Il y en a néanmoins qui estiment que ces grandes masses de maçonnerie, construites avec tant d’hommes, d’argent et de temps, n’ont pas été faites sans quelque cause qui valût la peine : principalement chez les Égyptiens, parmi lesquels, en ces premiers siècles, les études et la connaissance des choses étaient en grande vogue. Ils disent donc qu’il faut que sous ces vastes bâtiments, il y ait quelques mystères cachés de ceux qui appartiennent à la religion, ou au règlement et direction des temps, et qui n’étaient anciennement connus sinon aux prêtres en Égypte, aux hiérophantes en Grèce, et aux pontifes à Rome.
Ceux qui se vantent d’en avoir découvert quelque chose disent que les Égyptiens sont ceux qui [les] premiers ont trouvé le cours ou [la] durée précise de l’an solaire, de quoi plusieurs nations se débattaient ensemble, comme d’une chose qui était de grande importance pour régler beaucoup d’affaires, et divines et politiques. Ils voulurent donc laisser de cela par ces pyramides comme un hiéroglyphe à la postérité. Et d’autant qu’ils avaient reconnu par fréquentes observations que l’an solaire était de 365 jours et un quart ; et partant, que chacun an était défectueux en soi de six heures selon le cours du Soleil, et que par l’addition d’un jour ces quatre ans étaient remplis et parfaits en même temps. Pour signifier cela par un certain symbole qui fut de durée, ils bâtirent des grands corps de pyramides, dont les quatre côtés peu à peu s’élevant, venaient à se terminer et aboutir en un seul point, tout ainsi que les quatre années en soi imparfaites recevaient leur perfection par un seul jour ajouté, qui les restituait en leur entier. (...)
Les autres couvrent ces grands édifices d’un autre prétexte, disant que la plupart du genre humain faisait une grande faute, en ce qu’ils bâtissaient des maisons très excellentes pour leur servir de domicile perpétuel. (...)
Et à la vérité, les sépulcres dans les lois romaines sont appelées maisons des morts. En sorte que ces Égyptiens semblaient être fondés en quelque raison : vu que quelques-uns se moquaient de ces grands palais que plusieurs font construire de matières aussi fermes que s’ils devaient toujours vivre ; mais à considérer leurs banquets si somptueux, il semblait qu’ils dussent mourir dès le lendemain. Et à ce propos, saint Jérôme disait :”Vivimus quasi altera die morituri : et aedificamus quasi semper in hoc seculo victuri.” C’est-à-dire : “Nous nous traitons comme si nous devions mourir dès demain, et édifions comme si nous devions vivre à jamais en ce monde.”