Jean-François-Désiré Capart (1877-1947) est considéré comme le fondateur de l’égyptologie belge.
llustration extraite de egyptologica.be |
Durant sa carrière universitaire en Belgique, il a effectué treize voyages ou missions en Égypte, où il fut notamment invité par Gaston Maspero, Édouard Empain, Howard Carter et Lord Carnarvon. (*)
Dans son ouvrage Leçons sur l’art égyptien, 1920, il décrit à grands traits les principales pyramides égyptiennes. Lorsqu’il est question de la construction de ces monuments, il se contente de citer abondamment Hérodote, puis le libraire et écrivain allemand, créateur des célèbres guides touristiques qui porteront son nom, Karl Baedeker (**).En complément de ces informations plutôt sommaires, l’auteur compare les structures internes de quelques pyramides majeures, soit pour montrer certaines différences ou variantes (techniques de décharge du plafond des chambres funéraires ; systèmes de fermeture), soit pour souligner des similitudes. Il applique cette seconde observation aux trois pyramides de Guizeh où il note, dans chaque cas, des “modifications apportées au cours de la construction d'une pyramide” (ou “changements en cours d’exécution”). Pour illustrer ce propos, il cite simplement, à l’intérieur de la pyramide de Khéops, l’abandon d’un “dispositif simple” pour un ajout de couloirs et chambres supplémentaires.
Un tel point de vue aurait gagné à être davantage développé et explicité, même si, comme on le sait, il ne fait pas aujourd’hui l’unanimité dans les rangs des égyptologues.
(*) Lire l’article que Richard Lejeune consacre à Jean Capart dans son blog egyptomusée.
(**) Pyramidales a consacré une note à cet auteur : ICI.
“Les trois pyramides les plus célèbres et les plus importantes de cette époque [IVe Dynastie], sont les pyramides de Khéops, Khéphren et Mycérinus, à Gizé. On y ajoute une pyramide de Didoufre, à Abou-Roaeh, et peut-être une seconde pyramide de Mycérinus, dans la même localité.
Auteur inconnu (1920) |
Gizé-Khéops
Nous nous arrêterons nécessairement davantage sur la grande pyramide de Gizé, un des monuments à juste titre les plus célèbres du monde. Son nom égyptien était “le lieu de la sépulture de Khoufou”. Elle est construite au bord d'un plateau désertique, à pentes abruptes vers le nord et l'est. Quand on vient du nord la pyramide paraît posée sur un socle gigantesque et elle se découpe nettement sur le ciel. Pour se rendre compte de sa grandeur fantastique, il faut se résoudre à n'en considérer qu'une partie, un angle par exemple, en le comparant à des constructions ou à des hommes. Mais il n'y a vraiment que par les chiffres, puis par la réflexion que l'on peut se faire une idée exacte de l'immensité du monument. La longueur des côtés est de 230,35 m. ; la hauteur, 1 46,59 m. (réduite actuellement à 137,18 m.), la hauteur des faces inclinées, 186 m. L'angle est de 51 degrés, 50 minutes. La maçonnerie représente 2.521.000 m³. Petrie a calculé qu'il a fallu pour la construire environ 2.300.000 blocs d'environ 1,10 m³ chacun.
Si un certain nombre de pierres ont été extraites du sol même du désert à proximité du monument, une grande partie cependant a dû être transportée des carrières de Toura, qui se trouvent sur l'autre rive du Nil.
La pyramide occupe une surface de 54.300 m², plus de trois fois la superficie de Saint-Pierre de Rome. Comme ce dernier monument ne mesure que 133 m. de hauteur, on pourrait aisément, en se servant de la pyramide comme d'une cloche, le recouvrir entièrement. On attribue à Napoléon un calcul d'où il ressortirait qu'avec les trois pyramides de Gizé on pourrait construire, tout autour de la France un mur de dix pieds de haut sur un de large.
Intérieur de la Grande Pyramide
Nous avons cité précédemment le temple appuyé sur la face est ; nous nous occuperons ici des appartements intérieurs, chambres sépulcrales et couloirs d'accès. L'entrée s'ouvre à la treizième assise. Un couloir pénètre à l'intérieur de la masse, en descendant en pente assez rapide. Les architectes égyptiens ont déchargé l'entrée du poids des matériaux, en plaçant au-dessus du couloir de grands blocs de pierre disposés en dos d'âne, de manière à répartir la pression latéralement. Ce couloir descendant s'enfonce dans le roc et aboutit à une chambre souterraine qui se trouve à peu près dans l'axe du monument. Quand on regarde un plan donnant une coupe de la pyramide, on voit rapidement qu'on ne s'est pas tenu à ce dispositif simple. Nous rencontrons ici un premier exemple de modifications apportées au cours de la construction d'une pyramide. En un certain point du couloir descendant s'amorce un nouveau couloir montant, qui s'incline horizontalement, de manière à rejoindre une nouvelle chambre située à peu près dans l'axe du monument et qui doit probablement son existence à une seconde phase de la construction. À l'endroit où le second couloir s'infléchit, s'amorce maintenant un grand vestibule, ou plutôt une grande galerie de 47 m. de longueur sur 8,50 m. de haut, obtenue par la superposition de sept assises de blocs en encorbellement recouverts par des dalles plates. Arrivé à la partie supérieure de la grande galerie, on pénètre d'abord dans une petite salle occupée autrefois par quatre herses de pierre, destinées à bloquer le passage, et, enfin, dans la chambre où se trouve encore le sarcophage du roi. Cette dernière chambre mesure 5,20 m. sur 10,43 m., pour 5,81 m. en hauteur.
Le plafond est plat. Il est formé de neuf grandes dalles en granit de 5,64 m. de longueur. Pour diminuer la charge des matériaux pesant sur le plafond, l'architecte a constitué cinq pièces de décharge, dont la dernière est couverte en dos d'âne. Il faut encore signaler deux conduits de quelques centimètres de dimension, qui partent du caveau et viennent rejoindre la surface externe de la pyramide. On les appelle souvent des conduits d'aérage ; il est plus probable qu'ils avaient un but funéraire, peut-être procurer un passage à l'âme du roi.
Khéphren
Quelques indications suffiront sur la seconde des grandes pyramides de Gizé : son nom ancien était “grand est Khefre”. Ses dimensions, qui le cèdent à peine à la grande pyramide, sont de 143,50 m. en hauteur, 215,25 m. comme longueur de côté. L'angle est de 52 degrés, 20 minutes. Le plan intérieur montre aussi des modifications en cours d'exécution. On a pu y distinguer avec vraisemblance deux périodes.
Mycérinus
La troisième et la plus petite des pyramides de Gizé, dont le nom ancien était “divin est Menkeoure”, mesure cependant encore 66,40 m. de hauteur. L'angle est de 51 degrés. Le plan intérieur est d'une très grande complication. Il montre encore une fois des changements en cours d'exécution. Il est bon de rappeler que c'est dans une des chambres funéraires qu'a été trouvé le sarcophage décoré à l'imitation d'assemblages de bois et dont nous nous sommes occupés précédemment.
Pyramide de Sahourê. Cliché de Sebi (Wikimedia commons) |
Ve Dynastie : pyramide de Sahourê
Les pyramides des rois de la Ve dynastie à Abousir sont faites d'une manière moins soignée que les pyramides de Gizé. Elles sont constituées de massifs de maçonnerie plus grossière, appuyés les uns sur les autres et dont seul le revêtement externe était soigné ; aussi ont-elles moins bien résisté au temps. Elles présentent aujourd'hui des masses qui n'ont plus conservé nettement la forme de pyramides. Nous avons rencontré du nord au sud les pyramides de Sahoure, Ne-Ouser-Re et Neferirkere.
Il n'y a plus à revenir sur les temples adossés sur la face est. Le caveau central est en communication avec l'extérieur par un conduit qui débouche, suivant la règle, du côté nord. Une coupe sur le modèle reconstitué de la pyramide de Sahoure montre bien le procédé de construction. Au centre, la chambre est surmontée de grands blocs de granit, superposés avec beaucoup d'ingéniosité, comme nous allons le voir. Un premier massif de maçonnerie enferme complètement la chambre et les blocs qui la recouvrent et s'élève ensuite à peu près jusqu'au sommet du monument.
Ce premier massif, en pente très raide, a été ensuite enfermé à l'intérieur de cinq nouveaux massifs, dont chacun était de hauteur différente, calculée de manière telle qu'en remplissant l'espace entre les gradins constitués de la sorte on obtenait finalement le parement lisse extérieur de la pyramide. Au pied de celle-ci s'ouvre l'entrée du couloir d'accès. Les petites chambres que l'on voit dans la première partie étaient destinées à contenir un blocage de granit, assurant la fermeture après les funérailles.
Ounas. Cliché de Jon Bodsworth (Wikimedia commons) |
Pyramide d’Ounas
Le dernier roi de la Ve dynastie, Ounas, abandonna le site d'Abousir et se porta plus vers le sud, à Saqqara. Sa pyramide, faite en mauvais matériaux, n'offre plus actuellement qu'une masse informe. Cependant, au cours du déblaiement, on a retrouvé encore en place quelques blocs du parement extérieur. À l'intérieur, le plan est fort simple et ne laisse voir aucune trace de remaniement.
Les chambres comportent un caveau contenant le sarcophage, une petite salle de dégagement et un magasin à trois divisions, rappelant les magasins des temples. Le couloir d'accès est coupé par trois herses de pierre. Le plafond des chambres est constitué de grands blocs de granit posés en deux versants et en plusieurs couches superposées. Tandis que les murs des chambres intérieures des pyramides plus anciennes sont laissés absolument nus, dans les pyramides d'Ounas toutes les surfaces sont couvertes de textes gravés, qui comprennent les prières et formules qui se retrouveront aussi dans les tombes des rois de la VIe dynastie et auxquels on a donné le nom de textes des pyramides. Autour du sarcophage, sur trois des côtés, sont disposées des dalles d'albâtre qui portent comme décor le dessin de la stèle ornée.
On attribue également à Ounas un autre monument de la nécropole de Saqqara, connu sous le nom de Mastaba-el-Faraoun. Comme son nom l'indique, c'est un grand massif rectangulaire fait en blocs de pierre ; la disposition des appartements intérieurs est la même que dans la pyramide d'Ounas.
Le nom du roi s'est retrouvé sur quelques pierres. Il est probable qu'Ounas avait, lui aussi, deux sépultures. Était-on resté fidèle à garder jusqu'à cette époque un des deux tombeaux du type du mastaba des premières dynasties ? (...)
“Questions générales”
Nous pouvons maintenant nous arrêter à quelques questions générales relatives aux pyramides et tout d'abord au problème de leur construction. Hérodote, qui voyagea en Égypte vers 450 avant J.-C, nous en a donné une description, exacte dans les grandes lignes. [Suit une traduction, par Steindorff, d’une partie du livre II d’Hérodote]
Steindorff, auquel j'emprunte cette traduction, aborde ensuite dans le Baedeker d'Égypte (édition 1914) la question controversée de la façon dont il faut se représenter le développement dans la
construction d'une pyramide. Je ne pourrais mieux faire que de reproduire ici le résumé excellent du professeur de Leipzig. [Suit une longue citation de Baedeker, que l’on retrouvera dans la note consacrée par Pyramidales à cet auteur : ICI]
Nous avons constaté en passant que les pyramides étaient recouvertes extérieurement d'un revêtement lisse. À la pyramide de Khéops, ce revêtement était en calcaire assemblé en joints
merveilleusement exacts. À la pyramide de Didoufre, à Abou-Roach, on avait employé du granit. À la pyramide de Khéphren, le revêtement est encore conservé à la partie supérieure, où il est en calcaire, tandis qu'aux deux lits inférieurs on avait employé le granit. Cette dernière pierre sert au revêtement des 16 lits inférieurs à la pyramide de Mycérinus.
Décharge du plafond des chambres funéraires
Le problème de la décharge du plafond des chambres du poids des matériaux qui pesait sur lui a été résolu de deux façons : à la pyramide de Khéops, comme nous l'avons vu, les dalles sont disposées à plat, mais leur effort était soulagé par des chambres de décharge. À la pyramide de Khéphren, le plafond est formé de dalles inclinées, qui présentent le même angle que les parements externes de la pyramide. Chez Mycérinus, des poutres inclinées sont posées de telle manière sur les murs latéraux qu'une bonne partie du poids dépasse les murs de façon à équilibrer le poids de la partie qui constitue vraiment le plafond de la chambre. De plus, on a entaillé les poutres du plafond de façon à donner à ce dernier une forme d'ogive. À la pyramide de Sahoure, les blocs qui se superposent en trois étages débordant légèrement l'un sur l'autre, sont posés de telle manière que l'ensemble paraît en équilibre sur les murs latéraux, ce qui décharge de tout effort, dans le sens vertical, le plafond proprement dit.
Petrie note que dans la pyramide de Pepi Ier, la couverture de la chambre est obtenue par 30 blocs de granit sur trois rangées, dont chacun pèse plus de trente mille kilos. Le même auteur signale que les murs est et ouest sont construits séparément et que la chambre est formée, entre ces deux pignons, par les murs nord et sud et le plafond qui s'y appuient, mais sans y être rattachés.
Fermeture des pyramides
On a constaté dans les diverses pyramides des procédés fort ingénieux pour obstruer le passage au moyen de blocs ou de herses de pierre. Il s'agit le plus souvent de blocs de granit soigneusement découpés, de manière à venir exactement boucher un couloir, ou bien de véritables portes constituées chacune d'un bloc qui glissait dans des rainures préparées d'avance.
On n'a jamais expliqué clairement comment les Égyptiens s'y prenaient pour manœuvrer ces organes de fermeture, qui se sont montrés si efficaces que, la plupart du temps, ceux qui ouvrirent les pyramides durent se résigner à se frayer un chemin dans une pierre plus tendre, en contournant la masse de granit, dans l'impossibilité où ils se trouvaient de la forcer directement.
À proximité de la pyramide de Teti, à Saqqara (VIe dynastie), les fouilles de Quibell ont révélé l'existence de grandes vasques en pierre dure, disposées dans le dallage constituant le pavement autour de la pyramide d'une reine. S'agit-il de vases à libations comparables aux vasques d'Abou-Gourab, ou bien de réservoirs destinés à recueillir les eaux de pluie ? Aucune explication précise n'a été proposée jusqu'à présent, bien que la première interprétation parût la plus vraisemblable.
Noms des pyramides selon Borchardt
Comme on l'aura remarqué, les pyramides avaient des noms. Borchardt, qui les a recueillis et analysés, les ramène à quatre catégories. Ils désignaient la pyramide :
a) comme le lieu de séjour du mort ;
b) comme le mort lui-même ;
c) ils exprimaient une qualité du tombeau ;
d) ou enfin affirmaient une qualité ou une activité du roi défunt.”
L’ouvrage de Jean Capart peut être consulté dans son intégralité grâce au lecteur que propose archive.org (cliquer sur ce lien si le lecteur n’apparaît pas ci-dessous).