Le Sphinx demeurant “le silencieux gardien du mystère”, une réponse au “problème” doit être cherchée ailleurs. Pour ce faire, l’auteur, dans sa relation de voyage, fait appel à des connaissances en astronomie et mathématiques puisées auprès de sources jugées fiables, au nombre desquelles figure en tout premier lieu Piazzi Smyth dont l’ “exactitude des mesures”, même si elle fait l’objet d’un contrôle sur place, n’est pas réellement remise en cause.
En dehors de ces considérations scientifiques, on ne manquera pas de relever une confusion au terme du chapitre, concernant Khéphren, ce pharaon se voyant étrangement attribuer la construction de... la Grande Pyramide !
1894 (auteur inconnu) |
Il nous plaît de contrôler sur place l'exactitude des mesures de Piazzi Smyth, l'astronome écossais, et de le suivre dans ses appréciations raisonnées sur la haute antiquité et les données scientifiques de la grande Pyramide. Le décamètre de Ladislas trouvera son emploi.
Le lecteur n'aura pas oublié que sur une ligne nord-sud s'étendant de 29° 59’ de latitude à 29° 17', l'explorateur compte 38 pyramides échelonnées aux bords de la rive occidentale du Nil. Toutes n'ont point la même importance, la plus méridionale et la plus petite ne mesurant en hauteur verticale que 9 m 14, lorsque l'axe de la plus grande, celle qui nous occupe, comptait, avant sa décapitation, 147 m 80.
Nous savions que le revêtement en pierre calcaire de Mokattam (qui dégage de ses pores, sous l'action du soleil, un vernis de fer très résistant) avait été détaché de la pyramide, il y a dix siècles, pour la construction du mur d'enceinte et des mosquées du Caire, et que les assises du monument, mises à nu, avaient perdu leur vive arête ; mais nous ne les supposions pas effritées à ce point.
Ce me fut personnellement une désagréable déception. L'aspect imposant de cette masse n'écrase en réalité les spectateurs que lorsqu'ils se trouvent au pied de ce colosse ayant une base de 232 mètres, et une hauteur actuelle de 138 mètres (147 m 80 si on ajoute la pointe qui a été détruite).
Les géomètres ont calculé que dans ses flancs on pourrait enfouir la basilique de Saint-Pierre de Rome avec sa coupole et sa colonnade sans laisser paraître au dehors aucune saillie du gigantesque édifice ; bien plus, si l'on voulait utiliser les 2 millions et demi de mètres cubes de calcaire composant ce bloc, on pourrait mener de front, de Marseille à Paris, quatre murs ayant chacun 2 mètres de hauteur et 0,50 d'épaisseur.
Voilà le volume de la grande pyramide que nos compagnons de pèlerinage se mettent promptement en devoir d'escalader avec les Arabes pour chevaux de renfort ; à distance, c'est l'aspect d'un bataillon de fourmis assiégeant un rocher. Ladislas est de la partie, me faisant promettre toutefois d'attendre son retour avant de m'engager dans les couloirs intérieurs, car il sait que l'ascension me séduit moins que la vérification des mesures consignées par Piazzi Smyth dans sa consciencieuse étude.
Des éboulis s'élevant jusqu'à 12 ou 13 mètres cachent les premières assises ; mais nous savons que la base, qui mesure exactement 232 m 15, repose sur une colline rocheuse préalablement nivelée et munie aux quatre angles d'un encastrement en plein roc pour recevoir les pierres angulaires de la pyramide. Nous savons aussi que les dix premières couches d'assises atteignent une hauteur de 16 m 60, et que chacune d'elles a une épaisseur moyenne de 1 m 30 ;la 3ème compte 1 m 42.
Que le lecteur ait la patience de nous suivre : il admirera, comme nous, des coïncidences curieuses ou des traces de génie dans la construction de ce monument, prototype de toutes les autres pyramides :
1° Si l'architecte avait eu la volonté, avec une pyramide de 232 m de base, de donner à chaque triangle une superficie égale à un carré formé par la ligne de la hauteur verticale, il ne pouvait, au témoignage de John Herschel (*), choisir un autre angle de pente que 51° 51’ ; la corrélation eût été détruite avec toute autre inclinaison. Or, l'angle de chacun des côtés mesuré sur des débris du parement primitif retrouvés au milieu des décombres est exactement de 51° 51’.
Est-ce génie ou hasard ?
2° On dit en géométrie que la quadrature du cercle est impossible parce qu'on ne saurait, avec la règle et le compas, construire un carré équivalent (en superficie) à un cercle donné ; mais l'architecte de la Pyramide a indiqué la solution d'un autre problème ; John Taylor (**) nous apprend en effet que si on traçait un immense cercle prenant pour rayon la hauteur verticale de la pyramide, le développement de la circonférence serait égal au périmètre des quatre côtés de la base du monument égyptien.
Est-ce encore hasard ou génie ?
3° La loi géométrique qui a procédé à l'élévation de la pyramide donnait aux arêtes une proportion de 10 sur 9 : c'est-à-dire que, partant de l'angle de l'encastrement, l'arête de chaque côté de la pyramide s'avançait de dix mètres en sens horizontal vers le centre du monument lorsqu'elle ne montait que de 9 mètres en hauteur ; les deux chiffres 10 et 9 sont donc, ainsi qu'on l'a dit, “chiffres pyramidaux”.
Or, la hauteur verticale (147,80) multipliée par ce double chiffre 10 et 9, ou 10², donne un total de
147,800 000 kilomètres ou 36.900 000 lieues : c'est exactement la distance moyenne de la terre au soleil.
L'architecte était-il astronome ?
Est-ce coïncidence fortuite ou calcul réfléchi ?
4° Se basant sur la direction des parois très polies du couloir d'entrée, M. Piazzi Smyth a constaté, et d'autres observateurs après lui, que cette masse couvrant cinq hectares de terrain est exactement orientée dans le plan précis du méridien, avec un écart à peine appréciable de 4 minutes d'arc (la quinzième partie d'un degré). Or, le lecteur soupçonne-t-il la difficulté que présente la rigoureuse orientation méridienne d'un simple instrument astronomique que l'on peut pourtant déplacer et rectifier après observations d'essai ? Cette difficulté a été personnellement expérimentée par nous au jour de l'installation de l’Equatorial à l'observatoire des sourds-muets.
M, Flammarion en 1884 confirmait ces tâtonnements en exposant devant moi que la grande lunette de l'Observatoire de Paris avait dû subir, après plusieurs années d'usage, une rectification de méridienne.
L'établissement, dans la ligne du méridien, d'une semblable masse et sans rectification possible était œuvre autrement ardue. Quel est donc l'architecte astronome qui traça d'un coup d’œil si sûr la ligne méridienne de la grande Pyramide et prévint dans l'exécution d'un tel travail toute déviation ?
5° Sur la façade nord, à 17 mètres de hauteur au-dessus de la base, est l'entrée du couloir qui donne accès à trois chambres intérieures situées dans l'axe de la Pyramide. La première est souterraine à 16 mètres de profondeur ; la deuxième, appelée chambre de la reine, est à 21 m. 84 au-dessus du sol ; et la troisième, nommée chambre du roi, est à la hauteur de 43 m. 68. Or, le couloir d'entrée est descendant, sous un angle de 26° 27’, angle qui correspondait exactement à l'étoile polaire d'alors (α du Dragon), au moment de son passage inférieur au méridien.
Est-ce caprice de constructeur ? Est-ce tracé intentionnel de savant ?
Et combien d'autres aperçus singulièrement étranges laissent l'esprit perplexe et l'inclinent à croire que la grande Pyramide, prototype des autres moins parfaites, est le résumé d'une science d'autant plus avancée à cette époque lointaine qu'elle était riche encore des traditions du premier âge de l'humanité !
Qui fut l'inspirateur de ce grand œuvre ? Sphinx, tu le pourrais dire ; mais, témoin discret de la merveille accomplie, tu demeures le silencieux gardien du mystère.
1891 (auteur inconnu) |
Ladislas redescend émerveillé du sommet de la pyramide ; sur la plate-forme large de cent mètres superficiels plusieurs groupes, après avoir sondé de ce point élevé tous les horizons, depuis les collines de l'Arabie jusqu'au désert occidental, ont redit le cantique de Marie et le chant des morts ; des pèlerins français ne pouvaient oublier leurs frères de France tombés les armes à la main dans la glorieuse journée des Pyramides. Le pèlerinage de 1891 fera mieux encore : il dressera là-haut l'autel du sacrifice.
Nous nous apprêtons à visiter les sombres caveaux du colosse, ayant rencontré pour cette excursion quatre autres compagnons de bonne volonté et deux Arabes porteurs de torches, qui nous escorteront, l'un en proue, l'autre en poupe.
Avant de nous enfourner dans ces étroits labyrinthes où ne circule ni air ni lumière, Ladislas s'enquiert, près du cher Frère Angelème, comment il convient d'y entrer et d'en sortir.
“Sur le dos, ou à quatre pattes.“
Rien de plus vrai. La pente est si rapide, le granit si glissant que, d'instinct et par esprit de conservation de la personne, sinon des hauts-de-chausses, on s'assied, les bras raidis contre les parois pour ralentir la glissade, les talons cherchant à s'arc-bouter dans les quelques rainures qui sillonnent le pavé. Sans cette double précaution l'excursionniste filerait comme un pli cacheté dans une boîte aux lettres, et, manquant au passage la galerie qui remonte à la chambre de la reine, arriverait moulu au fond du souterrain avec une vitesse uniformément accélérée, selon la loi de la chute des corps.
À mi-chemin de la descente, nous croisons un autre cortège qui nous avait précédés : c'est une dame qui remonte le couloir, se traînant sur les genoux et les mains, heureuse, nous semble-t-il, de revoir la lumière du soleil et de respirer à pleins poumons. Son escorte se grossit en passant d'un pèlerin de notre groupe qui renonce à poursuivre l'aventure : il redoute l'asphyxie dans ce dédale où, l'imagination aidant, on croit sentir peser sur sa poitrine deux millions de mètres cubes de granit et de calcaire.
Nous arrivons enfin sans trop d'avaries à la chambre de la reine. Là du moins on se redresse, et l'on circule à l'aise dans cette salle mesurant six mètres sur cinq, et sept de hauteur. Les chiffres de M. Piazzi Smyth se rapportant aux galeries, à la chambre de la reine, et un peu plus tard à la salle royale et au sarcophage qu'elle contient, sont contrôlés et reconnus exacts ; de même pour l'excentricité de la niche rectangulaire creusée dans la paroi orientale, et pour la feuille de granit de l'antichambre de la salle du roi, chiffres qui précisent, avec les dimensions extérieures, la coudée pyramidale (0,635 m ), étalon de mesure de la colossale construction.
Nos guides font observer sagement que les torches bientôt s'éteindront et qu'il est prudent de
songer à la retraite, Nul n'est soucieux d'attendre les ténèbres en un semblable caveau, et chacun, se traînant et rampant, se hâte vers la porte d'entrée.
Le “Père de l’épouvante” et le temple du Sphinx
Une visite aux Pyramides a pour complément obligatoire une promenade autour du Père de l'épouvante, Abou-el-Hoûl, le Sphinx, gardien des tombeaux. C'est un banc de rocher de 43 mètres taillé en forme de lion accroupi, que surmonte une tête humaine mutilée par le fanatisme arabe, mais qui conserve encore dans ses débris un reste de noble fierté, de sereine puissance. Sa hauteur est de 20 mètres, et entre ses pattes mollement allongées sur son piédestal les peuples avaient élevé un autel.
Les sables l'ont envahi ; la tête seule émerge au-dessus de ces vagues que soulève parfois le vent du désert.
Tout près, est le temple du Sphinx ou plus probablement le vrai tombeau du roi Chéphren, constructeur de la grande Pyramide, C'est au travail persévérant, aux fouilles savamment conduites de Mariette que les égyptologues doivent celle exhumation.
Un couloir de 20 mètres conduit à une salle principale qui mesure 25 mètres sur 7 m de largeur, et à une seconde, perpendiculaire à la première, de 17 m sur 9. Des piliers monolithes de granit rose encore debout, hauts de 5 mètres et larges de 1 m 40, portent des architraves longues de 3 m ; elles étaient les supports de dalles résistantes d'albâtre formant plafond. Les arêtes vives de ces blocs de granit polis comme le marbre accusent un travail très soigné, C'est dans le puits creusé au milieu d'une troisième salle que Mariette a découvert les débris de neuf statues du roi Chéphren.
En souvenir de celle visite, Ladislas, songeant au modeste musée de l'Institution de Poitiers, enfouit au fond de ses poches quelques fragments minéralogiques : calcaire de la Pyramide et du Sphinx, pierre oxydée du revêtement, granit rose et albâtre du tombeau de Chéphren.”
Source : Gallica
(*) auteur d’un Nouveau manuel complet d'astronomie ou Traité élémentaire de cette science
(**) “Au 19e siècle, l'Anglais John Taylor fut le premier à proposer l'idée que les peuples anciens de l'Égypte connaissaient la constante mathématique pi, des milliers d'années avant les Grecs. Il a découvert qu'en divisant le périmètre de la pyramide par sa hauteur, on obtenait de près l'équivalent de 2pi - de la même façon qu'on obtient 2pi en divisant la circonférence d'un cercle par son rayon.” (source : http://voyage.ca.msn.com/)