vendredi 11 septembre 2009

Il était déjà question de pierres factices au XIXe siècle

La théorie de Joseph Davidovits sur la méthode de construction des pyramides d’Égypte avec des pierres ré-agglomérées a eu le retentissement que l'on sait. Cette problématique pierres naturelles-pierres factices ne date pourtant pas d'aujourd'hui. Elle fait ainsi l'objet du développement qui suit, extrait du Traité théorique et pratique de l'art de calciner la pierre calcaire et de fabriquer toutes sortes de mortiers, ciments, bétons, etc., soit à bras d'hommes, soit à l'aide de machines, Paris, 1825, par Jean-Henri Hassenfratz, inspecteur divisionnaire en retraite, au Corps royal des Mines, ancien Professeur aux Écoles royales Polytechnique et des Mines :

Jean-Henri Hassenfratz

Si l'on peut en croire Delafaye, il existe des preuves nombreuses de l'emploi des briques de mortier et des grandes pierres factices ; il suppose, d'abord, que les pierres des parements des grandes pyramides d'Égypte, qui ont toutes les mêmes dimensions, qui ne sont liées par aucun mortier, et dont la pointe d'un couteau ne peut pénétrer l'espace qui les sépare, sont toutes factices ; qu'elles ont été faites sur place, avec du mortier. M. Melun a remis, à M. Delafaye, un fragment qu'il a détaché lui-même de l'une des pierres du parement de la grande pyramide. Ce fragment, qui était scié ou brisé, ressemble parfaitement à de la pierre factice, n'a point de lit, et paraît être un mélange de spath calcaire, de pierres du même genre et de sable très fin.
Il a fait cuire plusieurs éclats de ce fragment, qui, ayant été trempés ensuite dans de l'eau, ont exhalé de la fumée, comme aurait fait une pierre de chaux ; il a pétri cette matière, qui a pris corps presque aussi vite que du plâtre, et il l'a polie comme on ferait un enduit de chaux et de sable fin (1). M. Melun a encore remis un fragment de pierre des anciens bâtiments qu'on voit à Alexandrie, où l'on découvre un grain de brique cuite au four.
(...)
Ainsi, il existe deux opinions sur la nature des matériaux qui ont servi à ces monuments colossaux : les uns, dans le nombre desquels est Delafaye, prétendent que les grandes pierres que l'on distingue dans les pyramides d'Égypte, qui ont, environ, 30 pieds de long, sur 4 de large et 3 de haut, sont factices, qu'elles ont été fabriquées sur place, avec du mortier ; les autres, au contraire, assurent que ces pierres, quelque massives qu'elles soient, sont naturelles, qu'elles ont été transportées au pied des monuments, et qu'elles ont été élevées jusqu'au sommet.
On observe, dans la première opinion, 1° qu'il n'existe aucune carrière connue, à une très grande distance, d'où ces pierres auraient pu être tirées ; 2° que leurs masses auraient été trop considérables pour qu'elles eussent pu être charriées et élevées à une aussi grande hauteur, puisque leur poids peut être estimé 65 milliers, environ ; 3° qu'on ne trouve aucun débris provenant de la taille de ces pierres ; 4° qu'elles portent, toutes, les caractères d'un mortier calcaire.
Dans la seconde opinion, 1° on fait venir ces pierres des carrières de l'Arabie, situées à une très grande distance du lieu où les pyramides sont élevées ; 2° on dit qu'un chemin, bien plane, a été construit, exprès, pour transporter ces pierres, à l'aide de madriers, de rouleaux ou de sphères de bois, de granit ou de métal ; que ces pierres étaient traînées par des hommes, à l'aide d'un grand nombre de cabestans ; que le nombre des cabestans pouvait être de 12, et celui des hommes, pour conduire chaque pierre, de 150 ; 3° pour élever les pierres, les uns prétendent qu'on forma, avec du natron, des espèces de chaussées, qu'on élevait en même temps que l'ouvrage, et qu'on détruisit par le moyen de l'eau du fleuve, lorsque ces monuments furent achevés ; d'autres disent que ces chaussées furent faites en briques crues, et distribuées ensuite dans les maisons des particuliers ; d'autres, enfin, pensent qu'il n'a été employé de pierres aussi grandes et aussi fortes que pour le revêtement, et que ces grosses pierres ont été élevées à l'aide de cabestans, de grues qu'on plaçait sur les gradins, pour élever les pierres de l'un à l'autre, en commençant l'opération du revêtement par en haut ; 4° que les recoupes de ces pierres, en les taillant, avaient été employées dans l'intérieur, pour former des constructions de blocages, ou qu'elles avaient été calcinées pour en former de la chaux.
Hérodote parle de cette chaussée, pour conduire les grandes pierres, comme s'il l'avait vue, ou comme s'il en avait aperçu des fragments ; il dit même que l'on a passé dix ans à la construire.
(...)
Quoi qu'il en soit de ces diverses opinions, nous savons aujourd'hui qu'on peut facilement fabriquer des pierres factices, et même des pierres de grandes dimensions ; qu'il ne faut, pour cela, que choisir une chaux naturelle ou artificielle qui se consolide, qui se durcisse facilement et promptement, sans diminuer sensiblement de volume, et qui soit de nature à former un mortier durcissant, en la mêlant avec des recoupes de pierre, des poudres de carbonate de chaux, soit marbre, pierre à bâtir, ou même avec du sable.

(1) Il est extrêmement difficile de reconnaître les pierres factices, si elles ont été bien faites, si ce n'est, dans le cas, où elles seront formées d'un mortier de chaux de sable. Cependant, on peut y parvenir, d'une manière assez exacte, par l'analyse ; il suffit, pour cela, de comparer le volume de gaz acide carbonique que donnent ces pierres, à la quantité de chaux qu'elles contiennent. Les mortiers anciens, ou les pierres factices, reprennent rarement, et difficilement, toute la quantité d'acide carbonique que le carbonate contenait ; alors, par la nature des substances trouvées avec la chaux, on pourrait conclure si le mortier, qui a servi à former ces pierres factices, était un mortier à chaux et sable, ou un mortier à chaux et recoupes de pierre.
Delafaye indique un moyen moins exact pour reconnaître les pierres factices. Exposez, dit-il, des fragments à un feu ardent, pendant 5 ou 6 heures ; si, après avoir retiré du feu un de ces fragments, et l'avoir laissé refroidir, il se broie sous les doigts et y dépose des parcelles de sable brillantes, et si, étant pétri, avec de l'eau, il reprend consistance et forme un volume, à peu de chose près égal à celui qu'il avait avant d'être mis au feu, on aura la preuve que c'est un composé de sable et de chaux. Mais lorsque la pierre factice est composée de chaux et de recoupes de pierre, comment la juger par ce procédé ? D'ailleurs, il est possible de trouver des pierres calcaires naturelles qui contiennent du sable en assez grande quantité, pour laisser croire qu'elles sont factices et composées de chaux et de sable.



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