mercredi 30 septembre 2009

Pourquoi les pyramides égyptiennes ont-elles été construites sur la rive occidentale du Nil ? Le point de vue de l'architecte Daniel Ramée (XIXe s.)

Dans son Histoire générale de l'architecture, tome premier, 1860, l'architecte Daniel Ramée (1806-1887) développe abondamment sa théorie sur le symbolisme "profond et significatif" des pyramides. Si l'on manifeste quelque intérêt pour ces considérations, on pourra en prendre connaissance à partir du lien ci-dessous.
Je n'ai pour ma part retenu que les éléments descriptifs qui suivent. On notera en particulier l'interprétation que donne l'auteur des "ventilateurs" de la Chambre du Roi.


Illustration extraite de l'ouvrage de D.Ramée



"La conception, et plus encore l'exécution d'œuvres architectoniques telles que les pyramides, laissent supposer qu'à cette époque l'Égypte était déjà en très grand progrès sur son état social primitif, lorsqu'elle n'était encore gouvernée que par des chefs de familles. Ses gigantesques constructions font encore supposer qu'elle possédait une population nombreuse, compacte, habituée aux travaux, durs et pénibles, et exercée dans l'industrie et les arts mécaniques. Les rois, de leur côté, devaient exercer un grand ascendant moral pour disposer ainsi de l'activité et des bras de leurs sujets. Ces pyramides indiquent aussi une grande expérience dans l'art de construire et une science de ses règles qui ne peuvent être acquises qu'à la suite d'une longue série d'années de pratique. Ce qui étonne surtout, c'est comment ces blocs immenses de pierre et de granit ont pu être transportés, posés et montés. Vers l'époque de la construction de ces pyramides, la puissance des rois d'Égypte s'étendait même au delà de la vallée du Nil ; les mines de cuivre de Ouady-Magara, dans la péninsule du Sinaï, étaient déjà exploitées : on y retrouve des hiéroglyphes du roi Choufou et un monument où il est représenté faisant décapiter des ennemis.

(...) Les pyramides sont des monuments très anciens, mais non primitifs, dans l'acception imparfaite donnée à ce mot : ils sont primitifs, dans le sens que l'Égypte n'en possède pas qui leur soient antérieurs. Il ne faut pas croire que ces immenses constructions ne manifestent rien de supérieur en fait d'art et de science : on s'aperçoit du contraire en les étudiant avec attention, et on voit facilement que leur conception, leur symbolisme, ainsi que leur exécution, supposent une civilisation ancienne et très avancée. Beaucoup d'égyptophiles ne font hommage qu'à la XVIIIe dynastie de la naissance réelle de l'art égyptien ; le mot de renaissance serait plus exact et plus vrai. Cette renaissance devait naturellement s'opérer après l'expulsion des Hyksos, de ces Sémites barbares, ennemis du travail, des sciences et des arts. Les hypogées de Météharra, de la VIe dynastie, et ceux de Beni-Hassan, de la XIIe, prouvent surabondamment, par leurs élégants piliers et leurs gracieuses colonnes à faisceau, qu'à ces époques reculées l'Architecture était déjà entrée dans un développement surprenant. Or, les pyramides, et surtout celles de Memphis, dans leur genre, prouvent de leur côté un développement tout aussi avancé dès leur édification.

Toutes les pyramides d'Égypte sont situées sur la rive gauche ou occidentale du Nil : il n'y en a pas une seule sur la rive opposée. Tous les obélisques égyptiens, au contraire, sont érigés, par couples, sur la rive droite ou orientale du fleuve ; on n'en trouve pas un seul de l'autre côté du Nil. La situation topographique de ces deux sortes de monuments n'est assurément pas fortuite ; elle est raisonnée, elle a un but. Nous partageons l'opinion que nous a exprimée M. Prisse : les obélisques sont consacrés au soleil, le représentant du principe actif, mâle ou générateur ; ils saluaient son lever sur la rive orientale du Nil. Les pyramides, de leur côté, représentaient le principe passif ou femelle : elles sont situées sur la rive occidentale du fleuve, où s'abaisse et se couche le soleil au déclin du jour, quand cessent ses rayons vivificateurs. Alors aussi la terre, cette grande et bonne mère, se repose pour puiser de nouvelles forces dans le sommeil qui enveloppe la nature pendant l'absence du soleil, le père. Les deux genres de monuments en question étaient donc destinés à représenter et à enseigner ce travail du soleil et de la terre, travail réel de la nature établi par Dieu, prouvé par la science des Égyptiens, et retrouvé, expliqué et démontré de nouveau par les découvertes de la science moderne, mais ignoré par les races sémitiques et par le moyen âge.
Le symbolisme des pyramides est profond et significatif ; il révèle la science des Égyptiens et son application à leur théologie qui les éleva au monothéisme le plus pur, le plus vrai et le plus ancien, et qui prouve en outre qu'ils étaient en possession de la connaissance de la synthèse de l'univers.
(...) Les occupations agricoles de la vallée du Nil avec les inondations annuelles du fleuve donnaient suffisamment de travaux à la population de l'Égypte pour ne pas faire supposer, comme on l'a souvent fait dans l'antiquité et de nos jours par ignorance ou naïveté, que les pyramides et les autres grands monuments de ce pays n'ont été édifiés uniquement que dans le but d'occuper au profit du despotisme une immense multitude de bras sans ouvrage, et de la distraire de préoccupations sociales. Les dimensions colossales et le nombre prodigieux des édifices égyptiens ne sont dus qu'à la grandeur de la conception théologique, au sentiment religieux, à la magnificence de l'ordre politique, et enfin au vaste génie de la nation égyptienne et de ses chefs. Sous un gouvernement vrai, honnête, où règnent l'harmonie et des lois à l'instar de celles du monde, le travail incessant pour le peuple est inutile ; chaque corps de métier y trouve l'exercice suffisant de son activité morale et matérielle. Alors aussi il est inutile que les gouvernants s'ingénient tous les jours à concevoir des travaux superflus et ruineux pour la nation, dans le seul but d'occuper des multitudes d'ouvriers, pour les empêcher de réfléchir aux causes de leur misère ou de leur détresse, et aux moyens d'y remédier. L'antiquité ne connaissait ni cet état-là, ni ces moyens d'expédient.

(...) si les sommets des obélisques étaient dorés et surmontés d'une sphère également dorée, représentant Amon, le principe des quatre éléments, il n'en était point ainsi du sommet des pyramides. On sait positivement par quelques monuments égyptiens de peinture, que le sommet des pyramides est figuré en noir. Ce sommet noir est l'image la plus fidèle de la théorie de la création telle qu'elle existait chez les Égyptiens : ils se figuraient l'être primordial comme étant une réunion obscure des quatre éléments qui se séparèrent lors de la création. Dans le dialogue d'Isis avec Horus, il est dit littéralement ce qui suit de la création : "Il s'opéra une séparation du sein de l'union qui était encore dans les ténèbres."
Le revêtement était poli, luisant, ce qui empêchait le sable de s'y fixer, et ensuite ce poli donnait de loin, et de tous côtés, un brillant excessif à la pyramide, qui la faisait distinguer à grande distance, comme il convenait à un monument du culte.

(...) Il y a dans la grande pyramide de Gizeh deux ventilateurs qui, de la chambre dite du Roi, aboutissent à l'extérieur : l'un au nord, a 70m91 de longueur ; l'autre au midi, de 53m10 de longueur. Ils ont environ 22 centimètres carrés, et leur issue extérieure est à une hauteur inclinée ou oblique de 108m85 de la base de l'édifice. La naissance intérieure de ces ventilateurs est à 91 centimètres au-dessus du sol de la salle du Roi. Est-il croyable que ces ventilateurs n'étaient destinés qu'à procurer de l'air aux momies de rois déposées dans la salle en question ? Ce qui est plus probable et beaucoup plus certain, c'est que ces ventilateurs avaient pour but de rendre cette salle temporairement habitable aux prêtres et aux savants qui venaient, à certaines époques, y faire des cérémonies et des expériences se rapportant au but de la pyramide, qui était un temple à la terre et le dépôt officiel de tous les étalons des mesures astronomiques et itinéraires du pays."

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