Belzoni (source : Wikimedia commons)
L'explorateur archéologue italien Giovanni Battista Belzoni (1778-1823) est un personnage incontournable de l'égyptologie. En l'espace de quelques années, il a découvert plusieurs tombes royales dans la vallée des Rois, effectué des fouilles à Karnak, exhumé le temple de Ramsès II à Abou Simbel et ouvert, le 2 mars 1818, la pyramide de Khéphren à Guizeh.
Belzoni a raconté par le menu détail cette dernière découverte dans son ouvrage Voyages en Égypte et en Nubie, contenant le récit des recherches et découvertes archéologiques faites dans les pyramides, temples, ruines et tombes de ces pays, tome 1, 1821.
Il est évidemment impossible de résumer un tel récit haletant : un grand moment de l'archéologie égyptienne, un ouvrage essentiel dont on trouvera la traduction française intégrale ICI.
Plutôt donc que de revivre, moment par moment, ces étapes de la réouverture de la seconde pyramide, j'ai retenu dans les extraits ci-dessous ce qui me paraît être, au moins dans ses grandes lignes, la technique de Belzoni, avec notamment cette remarque dont l'importance n'échappera à personne : "Les observations fréquentes que j'avais faites sur les monuments à Thèbes m'avaient donné un peu plus d'habitude que n'en avaient d'autres voyageurs, de remarquer des indices à peine perceptibles. Sous ce rapport la pratique me servait plus que la théorie ne sert à d'autres. En effet, des voyageurs qui m'avaient précédé n'avaient quelquefois rien vu dans des endroits où je découvrais des choses importantes, parce que de faibles indices qui étaient pour moi des traits de lumière leur avaient échappé entièrement. Cependant il n'est pas rare de voir ces voyageurs, forts de leur théorie savante, soutenir pertinemment leurs opinions, et s'étonner extraordinairement quand des personnes qui n'ont pour eux que l'expérience leur prouvent par les faits qu'ils se trompent."
En examinant bien attentivement l'entrée de la première pyramide, j'observai qu'au lieu d'être placé au milieu, le passage se dirigeait du dehors sur le côté oriental de la chambre du roi ; et comme cette chambre est située à peu près au centre de la pyramide, l'entrée doit être éloignée du milieu de la façade, dans la proportion de la distance qu'il y a entre le centre de la chambre et son côté oriental.
De cette observation simple et naturelle, je conclus que, s'il y avait quelque chambre dans la seconde pyramide, l'entrée ou le passage qui y aboutissait ne pouvait pas se trouver à l'endroit où j'avais creusé, c'est-à-dire au milieu de la façade ; mais qu'à en juger d'après la position du passage de la première pyramide, il fallait que celui de la seconde fût à environ trente pieds plus vers l'orient.
(...) Le désir de trouver le secret de cette pyramide [Khéphren] me stimulait toujours plus vivement. Tourmenté par cette idée, je me levai pour examiner le côté méridional du monument ; j'en visitai toutes les parties, et pour ainsi dire toutes les pierres. N'y ayant découvert aucun indice qui pût me mettre sur la voie, je visitai le nord. De ce côté, la pyramide eut pour moi un aspect différent. Les observations fréquentes que j'avais faites sur les monuments à Thèbes m'avaient donné un peu plus d'habitude que n'en avaient d'autres voyageurs, de remarquer des indices à peine perceptibles. Sous ce rapport la pratique me servait plus que la théorie ne sert à d'autres. En effet, des voyageurs qui m'avaient précédé n'avaient quelquefois rien vu dans des endroits où je découvrais des choses importantes, parce que de faibles indices qui étaient pour moi des traits de lumière leur avaient échappé entièrement. Cependant il n'est pas rare de voir ces voyageurs, forts de leur théorie savante, soutenir pertinemment leurs opinions, et s'étonner extraordinairement quand des personnes qui n'ont pour eux que l'expérience leur prouvent par les faits qu'ils se trompent. J'ai eu quelquefois le plaisir de produire cet étonnement chez eux : je suis toutefois loin de vouloir blâmer la science ; je prétends seulement dire que l'homme savant n'examine pas toujours le matériel avec la même précision que l'homme moins confiant dans son savoir.
(...) En continuant de creuser sur le côte oriental, nous trouvâmes la partie inférieure d'un grand temple lié au portique, et s'étendant jusqu'à cinquante pieds de la base de la pyramide. Ses murs extérieurs étaient formés de gros blocs de pierre, qui sont maintenant à découvert : quelques blocs des portiques avaient vingt-quatre pieds de haut. En dedans, ce temple est bâti en pierres calcaires de diverse grosseur, dont plusieurs sont taillées aux angles avec beaucoup de précision ; cette partie est probablement bien plus ancienne que le mur extérieur qui pourtant paraît de l'âge des pyramides mêmes. Pour trouver de ce côté la base de la pyramide, et savoir si elle communiquait avec l'ancien temple, j'avais à couper un amas de matériaux qui s'élevaient à quarante pieds, et qui consistaient, comme sur le côté septentrional, en blocs de pierre et en mortier tombés du revêtement. Nous atteignîmes enfin la base, et j'aperçus un pavé plat, taillé dans le roc vif. Je fis percer en droite ligne une route depuis la base de la pyramide jusqu'au temple ; je trouvai que le pavé continuait jusqu'à cet édifice ; ainsi un large chemin a dû être taillé anciennement entre le temple et la pyramide, et je ne balance plus de croire que le même pavé entoure toutes les pyramides. Il me paraît que le sphinx, la pyramide et le temple ont été élevés tous trois à la fois, puisqu'ils paraissent être sur une même ligne et de la même antiquité.
(...) En observant le dehors de la pyramide, je remarquai que le roc qui l'entourait du côté du nord et de l'ouest était de niveau avec le haut de la chambre sépulcrale ; et comme il est coupé et enlevé tout autour, il m'a paru que les pierres provenant de ces excavations ont été employées dans la construction de la pyramide. Je pense donc que toutes les pierres de ce monument gigantesque n'ont pas été tirées de la rive occidentale du Nil, comme d'anciens auteurs le rapportent et le croient. Je ne saurais concevoir comment les Égyptiens auraient été assez simples d'aller chercher des pierres à la distance de sept à huit milles, et de les transporter à travers le Nil, quand ils pouvaient s'en procurer dans le voisinage et sur le lieu même où ils construisaient les pyramides. Il n'y a pas de doute qu'ils n'aient coupé, dans les rochers autour des pyramides, des blocs d'une grosseur prodigieuse : à quelle fin auraient-ils fait ces extractions, si ce n'est pour élever les monuments artificiels qui ont remplacé les rochers naturels ? D'ailleurs, quiconque se donne la peine de s'éloigner à un demi-mille des pyramides, surtout du côté de l'est et du sud, y peut trouver beaucoup d'endroits où les carrières ont été exploitées à une grande profondeur : il remarquera qu'il reste encore de quoi bâtir beaucoup d'autres pyramides, s'il le fallait. Hérodote assure, il est vrai, que les pierres employées à la construction des pyramides ont été tirées des carrières de l'autre rive du Nil ; mais je crois fermement que l'historien grec a été induit en erreur à ce sujet, à moins qu'il n'ait voulu parler seulement du granit. Quant aux chaussées pratiquées en face de ces monuments, et qu'on suppose avoir servi à faciliter le transport des pierres, il me paraît qu'elles ont été construites plutôt pour la commodité de ceux qui viendraient visiter les pyramides, surtout dans la saison des inondations. En effet, si on avait pratiqué ces chemins uniquement pour le transport des pierres, la peine de les construire aurait presque égalé celle d'élever les pyramides.
Au reste, on a déjà tant dit sur ces monuments qu'il ne reste guère de remarques à faire. Leur vétusté annonce suffisamment qu'il faut qu'ils aient été construits antérieurement à tous les autres monuments qu'on voit encore en Égypte. Il est assez singulier qu'Homère n'en fasse aucune mention ; mais son silence ne prouve point qu'ils n'aient pas encore existé de son temps. Peut-être n'a-t-il pas jugé à propos d'en parler, précisément parce qu'ils étaient connus de tout le monde. Il paraît que du temps d'Hérodote on n'en savait pas plus, sur la seconde pyramide, que lorsque je commençai à l'ouvrir, avec cette différence que, de son temps, la pyramide était à peu près dans le même état où l'avaient laissée ses constructeurs. Ainsi l'entrée devait être cachée par le revêtement qui s'étendait sur le monument entier, tandis qu'à l'époque où j'entrepris de l'ouvrir, cette entrée n'était plus masquée que par les décombres de ce revêtement : ce qui n'empêchait pas que nous ne fussions aussi ignorants qu'au temps d'Hérodote sur la distribution de l'intérieur de la pyramide. L'inscription arabe que j'ai trouvée en dedans prouve qu'elle a été ouverte par quelques-uns des maîtres mahométans de l'Égypte, il y a un millier d'années. Il est sans doute fâcheux qu'on n'ait pas découvert des inscriptions plus anciennes, et plusieurs personnes ont exprimé leurs regrets à cet égard. Mais cette inscription même nous apprend un fait assez curieux ; et d'ailleurs, sans avoir besoin d'inscription, on peut maintenant savoir, presque avec certitude, quelle a été la véritable destination des pyramides.
Inscription en arabe trouvée par Belzoni à l'intérieur de la pyramide de Khéphren. Voici la traduction qu'en a proposée M.Salame :"Le maître Mohammed-Ahmed, carrier, les a ouvertes, et le maître Othman a assisté à ceci (l'ouverture), et le roi Ali-Mohammed d'abord (depuis le commencement) jusqu'à la clôture."
Puisqu'elles renferment l'une et l'autre des chambres et un sarcophage destiné, sans doute, à la sépulture de quelque grand personnage, il ne reste guère de doute qu'elles n'aient servi toutes deux de tombeaux ; et je conçois à peine comment on a pu en douter d'après ce qu'on avait vu dans la première pyramide, qui depuis longtemps est ouverte. N'y trouve-t-on pas en effet une vaste chambre avec un sarcophage ? Les couloirs n'ont pas plus de largeur que ce qu'il en faut tout juste pour que ce sarcophage ait pu passer. On les avait fermés ensuite en dedans par de gros blocs de granit, dans l'intention évidente d'empêcher l'enlèvement de ce cercueil. Les auteurs anciens s'accordent d'ailleurs à assurer que ces deux monuments ont été élevés pour servir de sépulture aux deux frères Chéops et Céphrénés, rois d'Égypte. Ils sont entourés d'autres pyramides plus petites, entremêlées de mausolées élevés dans des champs de sépulture. On y a trouvé un grand nombre de puits à momies ; et, en dépit de tant d'indices concluants, on a supposé des destinations plus absurdes les unes que les autres, jusqu'à avancer que les pyramides n'ont été que des greniers d'abondance.
(...) Tout ce que l'on peut (...) conclure de l'absence des hiéroglyphes dans les pyramides et dans la plupart des mausolées, c'est que les générations ou les peuples qui les ont élevés ne faisaient pas usage de cette écriture symbolique dans leurs tombes ; mais l'absence des hiéroglyphes ne prouve rien en faveur de l'antiquité de ces monuments.
On a présumé que la première pyramide, ou celle de Chéops, n'avait point de revêtement. Je le crois aussi : du moins on n'en trouve pas la moindre trace. Quant au revêtement de la seconde pyramide, j'eus l'occasion de faire des recherches à ce sujet pendant les excavations que je fis faire sur le côté oriental du monument. J'y trouvai la partie de la construction inférieure au revêtement restant, travaillée partout avec la même rudesse ; cette observation vient à l'appui de l'assertion d'Hérodote qui dit que le revêtement fut commencé par le haut ; je crois qu'il n'a jamais été continué jusqu'à la base ; car s'il l'avait été, j'en aurais probablement trouvé en bassons les décombres qui, s'étant amoncelés autour de la base, auraient maintenu les pierres dans leur position naturelle, ou qui du moins auraient conservé quelques fragments de l'ancien revêtement, comme ce fut le cas sur la troisième pyramide (...).
On a présumé aussi que le Nil, dans ses inondations, a entouré autrefois les pyramides de manière à les isoler comme des îles. Je ne saurais soutenir le contraire ; puisque effectivement les pyramides sont situées, comme dans une île, sur un banc de rochers qui ne sont séparés de ceux de l'ouest que par une vallée de sable accumulés par le vent dans le cours d'une suite de siècles. On voit une preuve évidente de cette accumulation sur le sphinx dont la base est tellement enfoncée dans le sable que si les pyramides le sont autant, il n'y a pas de doute que le Nil n'ait pu les entourer de ses eaux dans des temps très reculés.
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