mardi 19 janvier 2010

"Il n'est pas impossible que [la Grand Pyramide] renferme d'autres chambres et d'autres galeries qu'on n'a pas encore trouvées" (Ernest Breton - XIXe s.)

Il fut un temps où les appareils photographiques étaient, sinon inexistants, du moins très rares. Les visiteurs du site de Guizeh palliaient alors cette absence par des observations méticuleuses et moult mesures de longueur, largeur et hauteur des monuments. On avait beau, je suppose, disposer des calculs effectués par des prédécesseurs, on s'empressait de sortir son double-mètre (pour ne plus parler de coudées !) afin d'apporter sa pierre à l'édifice de l'archéologie égyptienne.
Et vas-y que je te mesure tel mur, tel couloir, tel détail architectural ! Les autres l'ont déjà fait précédemment ? Qu'à cela ne tienne ! Et si, par hasard, ils s'étaient trompés !
Voici une nouvelle illustration de cette habitude des "voyageurs" dans la vallée du Nil, avec François Pierre Hippolyte Ernest Breton (1812-1875), "membre résidant", de 1838 à 1854, de la Société nationale des antiquaires de France.
Dans son ouvrage Monuments de tous les peuples, décrits et dessinés d'après les documents les plus modernes, tome 2, 1846, dont est extrait le texte ci-dessous, il passe évidemment en revue les trois pyramides majeures de Guizeh, pour les décrire... en mètres et en centimètres. On relèvera quand même quelques annotations non chiffrées, dont celle que j'ai fait figurer en titre de ce post.


Illustration extraite de l'ouvrage d'E. Breton
Les plus célèbres monuments du monde, et les plus anciens sans doute, sont les fameuses pyramides, érigées par les premiers rois de la quatrième dynastie de Manethon, c'est-à-dire 5.300 ans avant Jésus-Christ. Les pyramides se trouvent dans le voisinage du Caire, entre la rive gauche du Nil et la chaîne libyque, et de la localité moderne qu'elles occupent ; elles ont pris le nom de pyramides de Gizeh.
Elles sont au nombre de trois, disposées sur une même ligne, de l'est à l'ouest, et à quatre à cinq cents pas de distance les unes des autres.
La plus grande de toutes, celle de Chéops, est aussi la plus connue. La longueur de la base actuelle, le monument étant un peu enterré dans le sable, est de deux cent soixante et douze mètres dix-huit centimètres. L'angle que forment avec l'horizon les quatre faces de la pyramide est de cent vingt-huit degrés. La hauteur perpendiculaire jusqu'à la plate-forme actuelle est de cent cinquante mètres. Cette plate-forme, qui termine la pyramide, est un carré de dix mètres 18 centimètres. Cette pyramide, comme les autres, est construite de blocs énormes de pierres calcaires ; la première assise repose sur le rocher dans une ligne parfaitement dressée et creusée verticalement de vingt à vingt-cinq centimètres. Au-dessous de cette première assise encastrée, le rocher est taillé en socle régulier, ayant un mètre quatre-vingts centimètres de hauteur. Ce rocher est élevé de trente-trois mètres au-dessus des plus grandes eaux du Nil, et il forme une masse dont on n'a pas trouvé la base à soixante mètres de profondeur.
Au-dessus de la première assise, on en compte deux cent et deux autres, placées successivement en retrait, et formant autant de gradins. Il devait y avoir au sommet au moins deux assises de plus qui ont été détruites. La grande pyramide est exactement orientée ; chacun des angles fait face à l'un des quatre points cardinaux. On a pu tirer de là une observation d'une haute importance pour l'histoire physique du globe : c'est que depuis plusieurs milliers d'années la position de l'axe terrestre n'a pas varié d'une manière sensible, et la grande pyramide est le seul monument sur la terre qui, par son antiquité, puisse fournir l'occasion d'une semblable étude.
La face nord-ouest de la grande pyramide est celle où se trouve son entrée actuelle, au niveau de la quinzième assise, et à quinze mètres environ au-dessus de la base. On trouve d'abord une sorte de corridor, incliné vers le bas, de vingt-cinq mètres de longueur, et de un mètre quatorze centimètres de largeur, sur autant de hauteur ; ce corridor aboutit à un autre de même dimension, mais ascendant, et de trente-quatre mètres de longueur. Un gros bloc de granit le ferme exactement vers le coude de jonction des deux galeries, et il a fallu tourner cet obstacle, en brisant les pierres, plus tendres, qui forment le massif du monument. À l'extrémité du second corridor, on trouve une sorte de palier ; à droite, est l'entrée d'un puits taillé dans le roc, profond de plus de soixante-sept mètres, mais large seulement de soixante sur soixante-trois centimètres.
Sur le même palier, on trouve aussi l'entrée d'une galerie horizontale de trente-neuf mètres d'étendue ; elle conduit à une chambre qu'on a nommée Chambre de la Reine, et qui a six mètres sur cinq mètres trente-trois centimètres : elle est vide.
En retournant à l'entrée du canal horizontal, on monte dans une nouvelle galerie, longue de quarante et un mètres soixante centimètres, et qui a huit mètres trente centimètres de hauteur, sur six mètres trente centimètres de largeur ; huit assises de pierre en encorbellement forment les murs de cette galerie, et donnent l'aspect d'une voûte à son plafond. Nous retrouverons cette disposition dans les monuments cyclopéens et étrusques. À l'extrémité de cette galerie, ou trouve un palier, puis un vestibule, qui conduit à une ouverture de un mètre sept centimètres de largeur, sur un mètre dix centimètres de hauteur, et de deux mètres soixante centimètres de longueur. C'est l'entrée de la chambre supérieure, nommée la Chambre du Roi, entrée primitivement fermée et cachée par des blocs de granit, parfaitement dressés et polis. La hauteur de la salle est de six mètres, sa longueur de treize mètres, sa largeur de cinq mètres trente centimètres.
À l'extrémité ouest de la chambre, on voit le sarcophage, aussi en granit, de deux mètres trente-quatre centimètres de long, sur un mètre trois centimètres de large, et un mètre quinze centimètres de haut ; le couvercle n'existe pas. Enfin, un vide existe au-dessus de cette chambre sépulcrale ; il n'est élevé que de un mètre. Ce vide était probablement destiné à préserver la chambre sépulcrale des effets de la surcharge supérieure. Il n'est pas impossible que cette pyramide renferme encore d'autres chambres et d'autres galeries qu'on n'a pas encore trouvées.
La seconde pyramide est celle de Chephrènes, dont la base est de deux cent dix-huit mètres et dont la hauteur est de cent trente-deux mètres soixante centimètres. Hérodote prétendait qu'il n'y avait aucune chambre dans son intérieur, et pourtant Belzoni, qui y a pénétré le premier de nos jours, en 1818, y a trouvé une grande salle qui occupe le centre. Sur la muraille était une inscription, tracée par des Arabes, qui l'avaient visitée en l'an 782, sous le règne et en présence du calife Aly Méhémet. Contre la paroi est un immense sarcophage, où étaient des ossements qui furent reconnus avoir appartenu à un bœuf.
La troisième pyramide, qu'on attribue à Mycerinus, est beaucoup moins grande que les précédentes, puisqu'elle n'a que quatre-vingt-treize mètres trente centimètres de base, et cinquante-quatre mètres de hauteur ; mais elle les surpassait de beaucoup en beauté, ayant été toute revêtue de beaux marbres de la Thébaïde, que les Arabes ont arrachés pour en orner d'autres édifices. Non loin de là se trouvent plusieurs pyramides, mais de si petites dimensions, que leur hauteur se trouverait dépassée par beaucoup d'obélisques.
C'est au pied des pyramides que se trouve le fameux sphinx colossal, la plus grande sculpture que l'homme ait jamais entreprise. Il est enfoui en partie dans le sable ; sa longueur est de vingt-trois mètres. Les Arabes donnent à cette figure monstrueuse le nom expressif de Abou-el-Houlâ (1), le père de la terreur. Belzoni découvrit sous le sphinx, en déblayant, les vestiges d'un temple, et des communications souterraines, qu'il présuma aboutir à l'intérieur de la grande pyramide.
Il existe, en outre, aux environs des pyramides, une quantité innombrable de tombeaux, formés de grottes et de couloirs taillés dans le rocher, et dont les parois sont en grande partie revêtues de bas-reliefs et de peintures antiques du plus grand intérêt.

(1) Il aurait fallu écrire : "Abou-l-houl" (sans le "â")

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