dimanche 3 janvier 2010

Les pyramides : une expression de "l'idée de l'infini" selon Giuseppe Filippo Baruffi (XIXe s)

Au cours d'un voyage qu'il effectua en Égypte en 1843, le prêtre piémontais Giuseppe Filippo Baruffi (1809-1875) rédigea plusieurs lettres consacrées aux pyramides de Guizeh, qui furent publiées dans la revue Museo scientifico, letterario ed artistico, en 1847, sous le titre "Viaggio da Torino alle Piramidi".
De cette relation en plusieurs épisodes, j'ai relevé quelques points, à mon sens particulièrement dignes d'intérêt :


- à propos de ce qu'affirmait Strabon sur l'accès à la Chambre du Roi, dans la pyramide de Khéops, par une ouverture pratiquée au sommet de la pyramide, l'auteur écrit :"Je n'ai pu relever aucun indice d'une telle ouverture, ni interne, ni externe."
- concernant les chambres de la Grande Pyramide, il précise que "celles qui sont aujourd'hui connues" sont au nombre de huit ; puis il ajoute :"Qui sait combien d'autres chambres ou simples vides sont encore cachés ?"
- tout en reconnaissant que les "canaux" de la Chambre du Roi avaient, selon l'interprétation de certains, une finalité d'aération de la pièce, il signale que, selon les Bédouins, ces conduits servaient plutôt de canalisations pour l'eau du Nil (sans aucune précision complémentaire sur cette seconde fonction).
- à noter également cette lecture de l'histoire qui contraste avec l'actualité archéologique de l'Égypte : "Je suis certain que sous le règle de Méhémet-Ali, furent détruits plus de monuments que durant de nombreux siècles avant lui. Il convient donc de savoir gré aux voyageurs qui viennent étudier les monuments historiques en Égypte et qui en rapportent certains dans leurs pays (...)."
- "En ce qui concerne l'idée du professeur Fochhammer, lequel pense que les grandes pyramides ont pu être, à l'origine, comme des collines artificielles superposées à de très grands réceptacles d'eau afin de la conserver pure et fraîche pour les milliers d'habitants de Memphis (...), bien qu'au premier aspect une telle idée apparaisse un peu étrange, elle a été développée de manière très rationnelle par le savant danois. Même si je ne suis pas d'accord avec Mr Forchhammer, je vous assure cependant qu'au vu des traces très évidentes des canaux par lesquels l'eau du Nil parvenait jusqu'aux parois souterraines des pyramides (...), l'idée de l'archéologue de Kiel ne semble plus aussi étrange et absurde (...)."

Dans ses différentes lettres où il relate son séjour au Caire, Giuseppe Filippo Baruffi s'attarde surtout sur la construction des pyramides. En réalité, plutôt que de développer une analyse personnelle, il reprend fidèlement à son compte la théorie de Lepsius, avec ce préambule :"Selon Lepsius, la vie d'un seul pharaon n'a pas pu suffire pour la construction d'une seule pyramide. Il a observé que chacune des pyramides serait formée de plusieurs pyramides en guise de revêtement, lesquelles seraient les œuvres distinctes d'autant de souverains, comme cela résulte de la diversité des pierres et du ciment de chaque couche."
"Les pyramides de Guizeh, poursuit l'auteur, s'élèvent sur un rocher dont on aperçoit quelques vestiges à l'intérieur. On peut croire que les premiers travaux [de construction] ont été exécutés autour d'un escarpement d'une hauteur de peut-être cent cinquante pieds. À ce propos, le maréchal Marmont suppose que le Sphinx colossal, qui est à proximité, peut indiquer la hauteur du rocher avant la construction des pyramides. Cela permet de comprendre comment les pyramides ont pu être construites de haut en bas, un mode de construction qui a suscité les plus étranges observations critiques de la part de plusieurs personnes. (...) Le professeur Lepsius (...) expliquerait la construction des pyramides de haut en bas en admettant comme noyau une première petite pyramide interne, de la cime de laquelle aurait été commencée une seconde pyramide qui aurait revêtu la première en descendant jusqu'à la base, et de même pour une troisième pyramide, de telle manière que chaque pyramide interne aurait servi de plan incliné et d'"échafaudage" pour soulever à de grandes hauteurs les énormes blocs de pierre nécessaires à la construction de la pyramide suivante.
(...) Il importe avant tout d'admettre comme principe que les pyramides ne furent pas édifiées selon un dessin préconçu (...) de la masse qu'elles eurent par la suite. Moins importantes au point de départ, elles grossirent au cours des années, la masse ou le noyau d'origine augmentant avec une enveloppe ou un revêtement nouveau. Elles crûrent par le travail de l'homme, à peu près comme les plantes croissent par l'œuvre de la nature, en se fabriquant chaque année de nouvelles strates (...)
Les faces des pyramides ne sont pas planes : elles comportent des marches ou degrés. Leur cime n'est pas pointue, mais tronquée en un plan horizontal. Il s'ensuit que pour élever les pyramides et augmenter leur volume, il suffisait de leur donner un nouveau revêtement, et pour cela, de recouvrir les degrés antérieurs de nouveaux degrés et les superposant les uns aux autres.
Les blocs mis en œuvre dans l'édification des pyramides étaient taillés en hauteur et en largeur de manière régulière et uniforme, même si, avec la longueur des degrés, devait également varier celle des blocs utilisés pour les former, lorsque leur nombre ne suffisait pas à maintenir la régularité de la forme pyramidale, laquelle a les faces penchant vers l'intérieur et se rétrécissant vers la cime.
(...) La hauteur actuelle [des pyramides] pourrait être considérée comme le noyau d'une pyramide sans cesse plus haute et plus grande, jusqu'à ce qu'elle soit parvenue à une hauteur et une grandeur auxquelles s'oppose une loi de la nature. C'est pour cela que, telles qu'elles sont actuellement, il est tout à fait possible de les accroître sans limites, à la fois dans la pensée et dans la réalité. Les agrandir veut dire leur donner un nouveau revêtement, puis un autre, puis un troisième et un quatrième, sans que l'on puisse encore en fixer le nombre.
On peut donc en déduire que les pyramides, telles qu'on les contemple aujourd'hui, ne sont pas encore parvenues, bien qu'elles soient grandes et démesurées, au terme [de la croissance] auquel les constructeurs voulaient peut-être les faire parvenir. On a donc tout lieu de croire que ces bâtisseurs, ou bien avaient l'intention d'en augmenter le volume avec de nouveaux revêtements, ou bien prétendaient, avec de telles masses démesurées, donner une idée de leur grandeur et de leur puissance et (...) exprimer l'idée de l'infini. Pour terminer les pyramides, il ne leur restait donc qu'à renverser sur chaque degré un prisme triangulaire et, sur le sommet considéré comme base, d'ériger une nouvelle pyramide terminée en pointe.
Ceci dit, j'affirme que revêtir les pyramides en commençant par le haut était et devait être plus commode et rapide, pour une économie de temps et de forces, deux objectifs que les hommes ont dû avoir en point de mire.
"
Pour illustrer ce dernier propos, Giuseppe Filippo Baruffi s'attache à démontrer que dans l'hypothèse d'une construction à partir de la base, celle-ci s'élargissant au fur et à mesure que la construction progresse en hauteur, chaque bloc doit parcourir une plus longue distance : en effet, il faut non seulement le hisser, mais aussi, à chaque degré, le transporter latéralement pour le rapprocher du centre du noyau. C'est ce que l'auteur appelle la "translation" ou la "transposition", une opération nécessitant à la fois du temps et une dépense de forces.
Dans le schéma qu'il propose et que j'ai reconstitué ici, la mise en place du bloc X en position E - selon la technique de la construction de bas en haut - nécessite de le hisser cinq fois successives (en A, B, C, D et E) et donc de le déplacer latéralement autant de fois, soit au final une distance sensiblement plus longue que si le bloc n'était soumis qu'à un mouvement vertical (par exemple : de la position X' à la position E).
Selon la technique de la construction de haut en bas, le noyau 1-E est construit en premier lieu, chacun des blocs étant hissé et mis directement à sa place définitive, sans mouvements de "translation" intermédiaires. De même, ensuite, pour la couche X'-D, puis pour la couche X''-C, etc.
L'auteur ajoute, non sans un brin d'humour de bon aloi : la théorie de la construction "de haut en bas" n'exclut évidemment pas que les blocs de pierre doivent être soulevées du sol, donc du bas vers le haut, à moins que l'on admette, au nom de je sais quelle absurdité, que les blocs sont suspendus en l'air (par quelle force ?)... ou bien qu'ils pleuvent du ciel !
Puis de conclure :"J'estime que la forme des pyramides, apte à supporter tout accroissement supplémentaire, devait représenter la grandeur à laquelle les Égyptiens avaient le sentiment d'être parvenus, et signifier l'éternelle et infinie grandeur de la Vérité qu'ils furent les premiers à honorer par leurs sciences et leurs savoir-faire."

Texte en italien : ICI

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