jeudi 20 janvier 2011

“Ce ne sont que de grosses masses de pierres mises les unes sur les autres” (Vincent de Stochove - XVIIe s.), à propos des pyramides de Guizeh

Le Belge Vincent de Stochove (1610-1679) fut un grand voyageur. En mars 1630, il se rendit à Rouen (France) pour y retrouver trois amis (Fauvel, Fermanel et Baudouin), avec lesquels il entreprit un voyage en Orient, qui dura deux ans et demi.
Le récit de ce périple, sous le titre Voyage du Levant du Sieur de Stochove,  ne sera publié qu’en 1643. Le texte qui suit en est extrait. J’ai simplement rétabli l’orthographe actuelle.
Outre le fait que l’auteur voit des pyramides partout, plusieurs de ses remarques relatives à la Grande Pyramide méritent une attention particulière : l’encoche, sur l’arête nord-est de la pyramide, qui est appelée “taverne” (nous avons déjà rencontré cette appellation, semble-t-il bien “française” !) ; le “trou qui va en haut” (apparemment : le Grande Galerie) ; un autre tombeau “tout semblable”, à côté de celui du Pharaon ; les “grandes salles coupées dans la roche”, à proximité des pyramides (des mastabas ?), qui servaient de “retraite”.
Quelle que soit leur pertinence ou leur exactitude, ces notations témoignent d’une observation directe et d’un réel souci de savoir, par-delà les “différentes opinions touchant l’art des pyramides”.

A 1650 engraving of Vincent de Stochove by Wenceslas Hollar
“Nous passâmes la rivière pour aller voir les pyramides qui en sont éloignées (de) deux lieues, mais à cause du débordement du Nil, il nous en fallait bien faire la moitié davantage.
Ces renommées pyramides estimées entre les sept merveilles du monde, et les seules qui restent maintenant dans leur entier, sont situées au commencement des déserts d’Afrique, et environ de deux jets de pierre des terres que la rivière du Nil peut inonder. Il y en a deux fort grandes et une un peu moindre. L’une des grandes est toute unie et n’y peut-on aucunement monter ; même l’on ne peut connaître en quel endroit était l’entrée, laquelle j’estime être couverte par quantité de sable qui s’est assemblé à l’entour.

Illustration de 1891 - auteur inconnu
La “taverne”
Ces pyramides sont bâties de grandes pierres de marbre brun tacheté de rouge et blanc. Il y en a une où l’on peut monter dessus, les pierres étant mises les unes sur les autres en forme d’amphithéâtre. Nous y montâmes jusques au sommet quoiqu’avec grande difficulté, parce que la montée est fort raide, et plusieurs pierres rompues (ce) qui fait que souvent, il faut grimper sur des pierres qu’à peine arrivent jusques à la ceinture. À environ le milieu de la montée, et sur un des coins, qui regarde le Caire, il y a une place, où se peuvent tenir huit ou neuf personnes ; ceux qui y montent (se) reposent ordinairement en cet endroit et s’y rafraîchissent. C’est pourquoi les Français l’appellent la taverne.
De là nous montâmes jusques au haut de la pyramide, laquelle par en bas paraît pointue, ce néanmoins nous y trouvâmes une plate-forme de dix-huit pas de tour, couverte de huit pierres, ce qui nous fit aisément juger que cet ouvrage n’avait point été achevé, d’autant qu’il devait avoir été pointu et couvert de sa clef ou chapiteau.
Nous demeurâmes quelque temps assis au haut de cette pyramide, contemplant le pays d’Égypte, lequel pour lors était encore la plupart inondé de la rivière. Quelques terres d’où l’eau s’était déjà retirée paraissaient couvertes de la plus belle verdure du monde. Les villages étant hors de l’eau se montraient comme des îles, et la ville du Caire comme un bois rempli de pyramides, tant il y a de palmiers et de mosquées. De l’autre côté, nous découvrions les déserts, et tant que la vue pouvait porter, nous ne voyions que du sable, et çà et là de petites pyramides. Cette vue si bien diversifiée y fait la plus belle prospective (1) du monde, de façon que nous ne pouvions nous y ennuyer de contempler ce pays.

“Un trou qui va en haut”
Nous demeurâmes assis en haut bien une demie heure devant que de descendre, laquelle descente nous trouvâmes plus pénible et difficile que la montée. Nous fûmes à l’entrée de la pyramide, laquelle est faite en façon de portail, de manière que nous y demeurâmes à l’ombre et y dinâmes devant que d’y vouloir entrer, et quoiqu’il fût midi, nous ne reçûmes aucune incommodité de la chaleur, tant ces pierres de marbre rendent de la fraîcheur.
Devant que d’y entrer, nous fîmes tirer dans l’entrée trois ou quatre coups d’arquebuse, afin de faire retirer les serpents et vipères qui s’y tiennent fort souvent. Nous entrâmes chacun un flambeau à la main, et marchâmes environ vingt-cinq pas par une allée d’environ quatre pieds de haut, où nous trouvâmes un passage si étroit qu’il nous fallait traîner sur le ventre pour y entrer. De là, continuant à nous traîner sur les bras et jambes, nous arrivâmes environ le milieu de la pyramide, où il y a un trou qui va en haut sans qu’il y ait aucun escalier pour y monter, sinon des trous coupés dans la pierre d’un côté et d’autre, par où nous montâmes environ d’un étage de haut, où nous trouvâmes une assez belle chambre ayant douze pas de long et dix de large, toute revêtue de marbre tacheté de rouge et de blanc. Au bout de cette chambre, il y a une tombe faite de semblable marbre. Lorsqu’on la frappe, elle sonne comme une cloche. Elle est ouverte, sans qu’il y ait aucune chose dedans. Elle peut avoir sept pieds de long, trois de large, et autant de haut, toute unie.
L’on tient que Pharaon avait fait bâtir ce mausolée pour sa sépulture, et que ce tombeau avait été destiné pour mettre son corps, lequel n’eut point cet honneur, mais fut enseveli dans les ondes de la mer Rouge, en poursuivant le peuple d’Israël que Moïse menait hors de la servitude d’Égypte.

“Différentes opinions touchant l’art des pyramides”
À côté de cette chambre où est le tombeau de Pharaon, il y en a un autre tout semblable, mais un peu plus petit sans qu’il y ait aucune chose dedans. Nous y vîmes encore plusieurs trous et descentes pour aller en d’autres lieux, mais nos guides n’y voulurent entrer disant que personne n’y allait jamais, de façon que nous sortîmes hors de la pyramide par le même chemin qu’étions entrés.
Plusieurs sont de différentes opinions touchant l’art de ces pyramides, estimant qu’elles ont été mises au rang des sept merveilles du monde, à cause des ouvrages qui étaient en bas, que l’on ne voit à présent, car ils sont tous couverts de sable, et à la vérité cela a bien de l’apparence, car maintenant on ne peut connaître aucun artifice en cette oeuvre ; ce ne sont que de grosses masses de pierres mises les unes sur les autres, y en ayant une si grande quantité que j’estime qu’il y en avait assez pour bâtir une ville entière.
La pyramide où nous montâmes, depuis le haut en bas a deux cent quarante rangs de pierres d’environ trois pieds de haut, et mille et quatre-vingt et huit pas de tout, de façon que tout ce qu’il y a d’admirable en cette fabrique n’est autre chose que la quantité et grosseur des pierres qui sont assemblées les unes sur les autres.

Auteur inconnu
“L’abrégé des merveilles”
À environ cent pas de là, se voient des choses où il y a bien plus d’artifice qu’à ces pyramides : ce sont de grandes salles coupées dans la roche, à la pointe du ciseau, percées à jour avec plusieurs petits cabinets, le tout couvert de hiéroglyphes ; le haut est tout travaillé comme des soliveaux, coupé du même roc. L’on tient que ces lieux servaient de retraite aux Rois d’Égypte lorsqu’ils faisaient bâtir ces pyramides, afin d’y être hors du soleil et voir travailler leurs ouvriers.
Environ à quatre cents pas de là, nous fûmes voir un grand Colosse appelé Sphinx. Les anciens Égyptiens l’appellent l’abrégé des merveilles : c’était le principal (2) de leurs Idoles, lequel par le moyen du diable leur rendait des oracles. La forme en est moitié de femme et moitié de taureau, le reste avec le devant du corps reste encore hors du sable, mais le reste en est tout couvert. La tête qui a le visage de femme est de la hauteur de deux piques, et le reste du corps à l’advenant le tout coupé d’une pierre seule ; de là l’on peut juger de sa démesurée grandeur.”
(1) lire : perspective
(2) “idole” est un mot masculin pour l’auteur

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