jeudi 6 janvier 2011

Selon Guillaume Antoine Olivier (XVIIIe-XIXe s.), la chambre de la Reine (Grande Pyramide) comporte un “second canal” et une “autre chambre dont aucun voyageur n’a fait mention”

Guillaume Antoine Olivier(1756-1814) était un naturaliste et un entomologiste. Rien au demeurant, dans son profil, n’autorisait ce spécialiste des bébêtes rampantes ou volantes à donner un éclairage particulier et compétent sur le pourquoi et le comment des pyramides.
Au cours d’un voyage, qui dura six années, au Moyen-Orient, il visita l’Égypte, à commencer par le site de Guizeh.
Dans son ouvrage Voyage dans l'Empire othoman, l'Égypte et la Perse, fait par ordre du gouvernement, pendant les six premières années de la République ; avec atlas. Tome troisième, voyage en Égypte, 1807, il relata notamment sa découverte de la Grande Pyramide.
Là, ô surprise, nous nous retrouvons embarqués dans un récit des plus palpitants. Notre auteur, de formation scientifique, se pose soudain en connaisseur, au point de revoir et corriger la copie de Maillet - rien que cela ! - ce dernier, de l’avis d’Olivier, ayant eu tort sur deux points importants : son interprétation de la fonction des conduits partant de la chambre du Roi et sa lecture de la configuration de la niche dans la chambre de la Reine. Pour se faire sa propre idée, il a recours aux moyens du bord (des bougies allumées, des cannes mises bout à bout) et, surtout, ne rechigne pas à ramper au milieu des décombres.
Bilan des opérations, au terme de plus de quatre heures d’exploration : des points d’interrogation, de bonnes questions, des suggestions pour des compléments d’exploration. Sans oublier quelques notions de maçonnerie, où l’admiration pour les bâtisseurs égyptiens se trouve modérée par la supériorité du savoir-faire des Romains et des Grecs.

Guillaume Antoine Olivier

“Tant que le jour dura, nos yeux restèrent fixés sur les deux grandes pyramides de Gizéh, sur les deux plus majestueux monuments de l’antiquité. Plus on les considère, plus on est étonné qu’un peuple ait pu exécuter des travaux si fort au-dessus du pouvoir ordinaire des hommes. Que de bras il fallut arracher à l’agriculture, aux arts, au commerce ! Que de trésors il fallut dépenser !
Mais quel fut le motif qui fit élever les pyramides ? A-t-on voulu se procurer un méridien impérissable ? Une seule eût suffi ? Les a-t-on voulu ériger en l’honneur de l’astre bienfaisant qui éclaire le monde ? On ne les eût pas multipliées. A-t-on voulu seulement déposer dans chacune d’elles les dépouilles mortelles d’un roi ? Dans ce cas, est-ce de l’orgueil ou de la piété ? Est-ce la flatterie des grands ou la reconnaissance du peuple, qui fit employer presque sans interruption plus de cent mille ouvriers à creuser les entrailles de la terre, en extraire des pierres d’une énorme grosseur, les entasser les unes sur les autres, et former ces montagnes qui se sont conservées intactes jusqu’à présent ?

Ces monuments, qui attestent l’opulence des rois, sont-ils un témoignage de leur sagesse ? Furent-ils élevés, après leur mort, par une contribution volontaire ? Ou bien ces travaux furent-ils ordonnés de leur vivant ? Le peuple fut-il accablé d’impôts ? Chaque pierre fut-elle arrosée de larmes ? Aristote les regarde comme des monuments de tyrannie. Les rois ne furent portés à cette dépense, selon lui, que pour appauvrir leurs sujets, que pour les accabler sous le poids d’un travail pénible et continuel, capable d’énerver leurs facultés, et leur ôter tout moyen de se révolter.

Celui qui ne verrait dans les pyramides que la grandeur des rois qui en conçurent le projet, et du peuple qui vint à bout d’en couvrir le sol de l’Égypte, aurait, selon nous, une bien fausse idée de la véritable grandeur d’une nation. (...)

Après avoir monté au-dessus du coteau, dont l’élévation est évaluée à cent pieds, on se trouve à peu de distance de la première pyramide, que l’on attribue au roi Chéops. Si l’on avance quelques pas, on aperçoit une grande tranchée ouverte dans le roc, qui semble avoir conduit anciennement, par une pente assez douce, à un souterrain actuellement comblé de sables. Nous avons conjecturé que c’est l’ouverture du canal dont parle Hérodote, qu’on avait creusé sous la roche pour amener par eau les matériaux qu’on retirait de la Haute-Égypte pour le revêtement des pyramides. Nous aurions bien désiré avoir le temps et les moyens de déblayer ces sables ; mais il fallut y renoncer et nous en tenir à des conjectures, faute de mieux. (...)


Photo Edgar Brothers (source : Jon Bodsworth)

Sur les deux murs latéraux [de la chambre du Roi, dans la Grande Pyramide], on aperçoit, en face l’un de l’autre, deux trous, l’un carré et l’autre ovale, auxquels Maillet a donné une destination assez singulière : le premier allait, suivant lui, par une ligne droite, jusqu’à l’extérieur de la pyramide ; il servait à donner de l’air aux personnes qui, par attachement ou par devoir, s’étaient enfermées vivantes auprès du corps de leur roi ; c’est par là qu’elles recevaient aussi les aliments dont elles avaient besoin. L’autre trou devait recevoir leurs excréments, qui tombaient dans un réduit profond, pratiqué au bas de la pyramide pour cet usage.

Cette conjecture d’un homme très judicieux, qui a résidé longtemps au Caire, et a visité plusieurs fois avec la plus grande attention l’intérieur de cette pyramide, nous porta à faire quelques efforts pour reconnaître la direction de ces trous. Il nous parut qu’elle était d’abord horizontale, et qu’ensuite, à la distance de sept à huit pieds, ils s’élevaient l’un et l’autre vers le haut de la pyramide ; car en y introduisant quelques bougies au moyen de nos cannes liées l’une à la suite de l’autre, nous vîmes, au fond, des pierres qu’on y avait jetées, dont une partie était cachée vers le haut et jamais vers le bas. La lumière d’ailleurs put s’élever dans l’espace que les pierres n’occupaient pas, et disparaître à nos yeux.

Le cit. Grobert croit que ces trous furent destinés à conserver des manuscrits ou des aromates qu’on avait coutume d’ensevelir avec les morts.



Photo Edgar Brothers (source : Jon Bodsworth)

La chambre inférieure n’a que dix-huit pieds de long sur seize de large ; le plafond n’est pas uni, mais formé de pierres qui s’avancent les unes en avant des autres, ainsi que la galerie qui conduit à la chambre supérieure. On voit sur le mur à gauche un enfoncement, que Maillet croyait avoir été destiné à recevoir une momie. Cet auteur s’est encore trompé dans cette conjecture ; car cet enfoncement est terminé au bas par un canal carré, semblable à celui par où on arrive à la chambre de la reine, et qu’on peut présumer devoir conduire à une autre chambre dont aucun voyageur n’a fait mention. Nous avons tenté inutilement d’y pénétrer : ce canal est tellement obstrué par des décombres, qu’à peine on peut s’y glisser de toute la longueur du corps ; mais par le moyen des bougies allumées que nous y avons introduites, nous avons reconnu que ce canal est horizontal, qu’il est semblable au premier, que les murs en sont intacts, et que les décombres dont il est rempli, n’y sont que déposés. Depuis Maillet on a généralement cru que tous les décombres, qui s’élèvent à plusieurs pieds au-dessus du sol de la chambre de la reine, étaient le produit d’une fouille faite sous le sol même de cette chambre. Si cette opinion est fondée, ceux qui entreprirent cette fouille, se trouvant embarrassés par la quantité de pierres qu’ils en tirèrent, durent les transporter jusque dans la chambre où ce nouveau canal conduit, en remplir le canal lui-même, et en couvrir le sol de la chambre de la reine à la hauteur de quatre ou cinq pieds. Il est également probable que du temps de Maillet, les décombres cachaient l’ouverture du second canal, et ne laissaient voir que l’enfoncement qui lui était supérieur ; ce qui porta cet auteur à présumer que c’était une niche à momie, bien loin d’imaginer qu’il désignât un second canal.

Cette chambre, au surplus, comme la supérieure, est toute formée de gros blocs de granit rose ; mais le canal par lequel on y arrive, est de pierre calcaire, blanche, enfumée comme celle des autres passages, et on y remarque une grande fente qui dépend, selon toutes les apparences, de quelque affaissement qu’aura éprouvé toute la masse de cette immense maçonnerie. (...)


Photo Edgar Brothers (source : Jon Bodsworth)

En retournant sur nos pas pour sortir de ces lieux méphitisés, nous vîmes à notre gauche, vers l‘endroit où les deux canaux inclinés se joignent, une ouverture en forme de grotte, qui n’est que le commencement d’un chemin forcé, par où l’on espérait sans doute parvenir à quelque autre appartement de ce vaste édifice. Le chemin ne s’étend pas à moins de quatre-vingts pieds ; il est très irrégulier : tantôt il faut ramper sur le ventre pour y pénétrer, et ailleurs on y marche debout. Les pierres qui en ont été arrachées y ont laissé des parois très irrégulières, qui nous ont permis de connaître plus particulièrement la construction de ce monument. Il s’en faut de beaucoup que sa maçonnerie soit autant signée que celle des édifices romains ou grecs ; dans ceux-ci, lorsque le mortier fut employé, les pierres y étaient toujours noyées, et il est bien rare d’y rencontrer le plus petit vide ; dans la maçonnerie de la pyramide, au contraire, on rencontre, dans l’entre-deux des pierres, des vides à y passer le bras. Il nous arrivait souvent de l’y introduire avec une canne dans toute leur longueur ; souvent nous n’apercevions aucune trace de mortier, tandis qu’ailleurs les pierres y étaient noyées. (...)

Nous avions résolu de passer une journée entière dans l’intérieur de la pyramide, afin de tout voir et revoir, tout observer, tout mesurer : nous nous flattions de n’en sortir qu’avec une idée exacte de sa distribution intérieure et de la destination de chaque objet qu’on y remarque ; mais l’air, qui s’y renouvelle avec une extrême lenteur, fut bientôt vicié par les bougies que nous étions obligés de tenir allumées, et par le grand nombre de personnes qui nous accompagnaient (...). Nous y restâmes cependant plus de quatre heures.”


Source : Digimom – Maison de l’Orient et de la Méditerranée

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