mercredi 5 janvier 2011

“Ces gigantesques monuments qui semblent l’oeuvre d’une race supérieure” (Émile Amélineau - XIXe-XXe s. - à propos des pyramides égyptiennes)

L’archéologue et égyptologue français Émile Amélineau (1850-1915) fut membre de la Mission archéologique française au Caire (1883-1885), maître de conférences à l’École pratique des hautes études, en histoire des religions (1887-1903), responsable des fouilles annuelles d’Abydos en Égypte (1895-1898) et directeur adjoint, puis directeur de la chaire des religions égyptiennes à l’École pratique des hautes études (1903-1915).
On lui doit la découverte, en 1895, de la stèle de Ouadji, le roi-Serpent, souverain d’Égypte de la 1ère dynastie.
Dans son Résumé de l'histoire de l'Égypte : depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours, 1894, l’auteur décrit sommairement l’évolution de l‘architecture funéraire égyptienne, dont l’expression majeure prit forme avec les pyramides. Pour ces “gigantesques monuments”, les superlatifs sont de mise : quel contraste entre le génie que ces monuments expriment et la faiblesse des moyens mécaniques ayant servi à les édifier !
Au passage, on notera la petite pique, au demeurant sans acrimonie, à l’adresse de ceux qui cherchent à apprécier l’habileté et l’ingéniosité des architectes égyptiens : “Seuls les gens de métier pourront s’en rendre un compte exact.”
Stèle du roi-Serpent - Musée du Louvre  
(photo de Guillaume Blanchard - Wikimedia commons)

“L'Égypte fut amenée tout naturellement à pratiquer les arts en l'honneur des dieux qu'elle s'était formés. Quand l'idée de Dieu se fut un peu tirée de la bassesse primitive et commença de prendre l'essor que l'on a vu, le peuple égyptien se dit qu'il devait loger magnifiquement l'image de ce Dieu et ce Dieu lui-même, non pas dans les maisons de boue qui lui suffisaient, mais en des temples magnifiques. Il exécuta son dessein, et ses maisons de Dieu sont encore debout pour nous montrer quelles furent sa foi et son habileté. Les premiers exemplaires des temples égyptiens ne nous sont point parvenus ; ils devaient être bâtis en briques, et les monuments en briques ont été détruits. Mais dès la XIIe dynastie, et surtout à la XVIIIe et à la XIXe dynastie, nous trouvons des spécimens de l'art égyptien, sous toutes ses faces, et même dès le plus ancien empire nous pouvons l'admirer dans les tombeaux.
Les plus anciens monuments qui nous soient parvenus de l'architecture égyptienne sont les pyramides. Énormes, elles ont toujours stupéfié ceux qui les ont vues, et c'est vraiment un spectacle digne de l'enthousiasme qu'il a suscité. Ce qu'il fallut d'habileté aux architectes égyptiens pour bâtir ces pyramides, avec leurs corridors ascendants et descendants, leurs chambres, ce qu'il fallut d'ingéniosité pour parer aux inconvénients qui résultaient de la masse extraordinaire et du poids des matériaux employés, seuls les gens du métier pourront s'en rendre un compte exact.
L'effet qui en ressort tout d'abord, c'est l'écrasement du spectateur en face de ces gigantesques monuments qui semblent l'œuvre d'une race supérieure, autrement forte et habile que les races modernes, et cependant ce fut l'œuvre d'hommes doués de beaucoup moins de moyens mécaniques et livrés à leurs propres forces. Dès ce moment, environ quatre mille cinq cents ou cinq mille ans avant Jésus-Christ, le génie égyptien montre son goût pour le grandiose. Il conservera ce goût jusqu'à sa dernière heure, tout en se livrant à d'autres manifestations.
L'architecture égyptienne, si nous en jugeons par ce qui en reste aujourd'hui, se manifesta plus par des œuvres funéraires que par d'autres monuments. Les pyramides sont des tombeaux, et de même aussi ce qu'on appelle les mastabas de l'Ancien Empire. Ces mastabas, ou bancs, sont ainsi nommés des la surface plane que présentait leur partie extérieure et sur laquelle on pouvait s'asseoir. Sa partie intérieure se composait d'une ou de deux salles, dont le plafond est quelquefois soutenu d'un pilier avec un puits menant à la salle où l'on déposait la momie, et d'un couloir nommé serdâb, suivi d'un petit réduit qui était soigneusement caché dans l'intérieur de la maçonnerie et qui était destinée contenir les statues du défunt. Dans ces sortes de tombeaux, on trouve déjà employée la voûte en briques pour former au-dessus du cercueil comme une défense qui empêchait le pillage du défunt. Sous la VIe dynastie, les piliers massifs deviennent des colonnes de diverses sortes avec abaques et chapiteaux.
À la XIIe dynastie, on trouve à Béni-Hassan des colonnes cannelées à seize pans qui sont le prototype de la colonne dorique. Vers la même époque, les tombeaux d'Abydos nous montrent comment on abandonna peu à peu la forme pyramidale pour une forme plus commode, parce qu'elle était moins gigantesque. Ces mêmes tombeaux nous font voir, trois mille ans au moins avant Jésus-Christ, l'emploi courant du plein cintre et de l'ogive dans l'architecture égyptienne. Le tombeau tendait de plus en plus à devenir une maison de mort qui fit le pendant de la maison où s'était écoulée sa vie ; aussi son nom le plus fréquent était celui de maison d'éternité. Mais il ne prit guère son complet développement que sous le nouvel Empire thébain, de la XVIIe à la XXIe dynastie. Ce fut alors que les architectes égyptiens creusèrent dans la montagne ces monuments étonnants que l'on admire encore dans la nécropole thébaine, surtout les tombeaux des Pharaons dans la vallée de Biban el-Molouk. Mais soit qu'ils aient regardé la colonne cannelée et à chapiteau lotiforme comme peu sévère pour leurs maisons d'éternité, soit pour toute autre cause que nous ne connaissons pas, ils ne l'employèrent plus dans les constructions funéraires et la réservèrent uniquement pour la construction des grands temples élevés en l'honneur de leurs dieux.”

Source : Gallica


Sur cet auteur, un "morceau choisi" dans l'Égypte entre guillemets :
Les splendeurs enfouies dans le secret du sol égyptien semblent inépuisables"

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