vendredi 7 janvier 2011

Les pyramides d'Égypte, “stérile et folle ostentation de la richesse des rois” (Louis-François Jéhan de Saint-Clavien - XIXe s.)

Le texte qui suit est extrait du Dictionnaire historique des sciences physiques et naturelles, depuis l’antiquité la plus reculée jusqu’à nos jours, par le vulgarisateur scientifique Louis-François Jéhan de Saint-Clavien (1803-1871), membre de la Société géologique de France, de l’Académie royale des sciences de Turin, etc. (ouvrage édité par l’abbé Jacques Paul Migne dans sa Troisième et dernière encyclopédie théologique, tome 30, 1857).
Deux remarques :
- l’auteur a apparemment consulté une douzaine de sources, d’Hérodote à Apion, à moins qu’il ne les ait citées qu’en passant ;
- malgré cela, il limite son inventaire à deux seules théories pour la technique de transport des pierres destinées à intégrer le corps des pyramides : des “monceaux de nitre et de sel”, dissous en fin de chantier par les eaux du Nil, et le recours à des briques “distribuées ensuite aux particuliers pour se bâtir des maisons”.
Reconnaissons que ce choix est pour le moins limité.
Par ailleurs, dans sa très courte allusion à la Grande Pyramide, seul retient l’attention de l’auteur le puits. Il n’est même pas question de la chambre funéraire, ni de la Grande Galerie. Étonnant !
Quant au Sphinx, il tire bien son épingle du jeu, car il se voit honorer de “merveille encore plus mémorable” que les pyramides.

Illustration de Lehnert et Landrock (source : Tulipe Noire)

“Disons aussi quelque chose des pyramides d'Égypte, stérile et folle ostentation de la richesse des rois, puisque la plupart les ont fait construire pour ne pas garder des trésors qui pouvaient tenter leurs héritiers et leurs rivaux, ou pour empêcher que le peuple ne restât oisif. La vanité de ces rois s'est exercée souvent en ce genre. On trouve les vestiges d'un grand nombre de pyramides commencées (1). Il en existe une dans le nome Arsinoïte ; deux dans le pays de Memphis, non loin du labyrinthe (...) ; deux autres, dans le lieu où fut le lac Méris, étang immense creusé par la main des hommes. L'Égypte vante, comme une des merveilles les plus étonnantes, la pointe do ces pyramides, qu'on dit les plus hautes de toutes.
Devant elles est le sphinx (2), merveille encore plus mémorable, espèce de divinité sauvage adorée dans le pays. S'il faut en croire ces peuples, le roi Amasis y est enseveli, et cette masse a été apportée chez eux. Mais c'est le rocher lui-même ainsi façonné par l'art et taillé en dos d'âne. La tête du monstre a cent deux pieds de circonférence, en la mesurant par le front : la longueur du corps est de cent quarante-trois pieds, et la hauteur, depuis le ventre jusqu'au sommet de la tête, est de soixante-douze pieds.
La plus grande pyramide est de pierres d'Arabie. Trois cent soixante mille hommes, dit-on, y travaillèrent vingt ans. Elles furent achevées toutes les trois en soixante-dix-huit ans et quatre mois. Les auteurs qui en ont parlé sont Hérodote, Evhémère, Duris le Samien, Aristagore, Denys, Artémidore, Alexandre Polyhistor, Butoride, Antisthène, Démétrius, Démotèle, Apion. Le nom des princes qui les ont construites est encore un problème, et l'oubli est la juste punition de leur vanité. Quelques-uns de ces auteurs rapportent qu'on dépensa seize cents talents (8.610.000 fr.) en raves, en ail, en oignons.
La plus grande pyramide occupe huit jugerum (*) : les quatre faces sont égales ; chaque côté a sept cent quatre-vingt-trois pieds ; la largeur au sommet est de quinze pieds et demi. La seconde forme aussi quatre angles égaux, et chacun des côtés est de sept cent trente-sept pieds. La troisième, moins grande, mais plus admirable, est en pierres d'Éthiopie. La distance entre les angles est de trois cent soixante-trois pieds. On n'aperçoit aucun vestige des matériaux. Partout, à une grande distance, on ne trouve que du sable, qui a la forme d'une lentille, comme dans la plus grande partie de l'Afrique.
Mais le plus difficile à expliquer, c'est de quelle manière les pierres furent portées à une telle hauteur. Les uns disent qu'on entassait des monceaux de nitre et de sel à mesure que l'ouvrage s'élevait ; et que, tout étant achevé, on les fit dissoudre, en amenant les eaux du Nil. Les autres prétendent que ce fut à l'aide de briques, qui furent distribuées ensuite aux particuliers pour se bâtir des maisons. Ils croient le lit du fleuve trop inférieur, pour qu'on ait pu amener les eaux jusque-là.
Dans l'intérieur de la grande pyramide est un puits de quatre-vingt-six coudées, dont on croit que l'eau vient du Nil. Thales de Milet découvrit le moyen de déterminer la grandeur des pyramides, ainsi que de toutes les hauteurs semblables, en mesurant l'ombre au moment où elle est égale au corps.
Telles sont ces pyramides si merveilleuses ; et afin qu'on ne s'extasie pas en voyant l'ouvrage des rois, ajoutons un seul mot ; c'est que la plus petite, mais aussi la plus vantée de toutes, a été construite aux frais de la courtisane Rhodope. D'abord esclave, elle avait appartenu au même maître qu'Esope, ce fabuliste philosophe ; ce qui rend plus inconcevable qu'elle ait acquis d'aussi grandes richesses par le trafic de ses charmes.”

(1) On ne trouve plus de pyramides que depuis Gisé jusqu'au Fayoum, sur les limites du désert occidental. À Saccarah, on en voit une commencée très solidement, mais qu'on parait avoir été contraint d'abandonner avant qu'elle eût été achevée. Ces dernières, en s'avançanl vers le midi, ne paraissent en quelque sorte qu'ébauchées. Tout est concentré autour de Memphis, autrefois capitale de la Basse-Égypte. On trouve des obélisques sur tous les points dé l'Égypte, depuis les cataractes jusqu'à la mer.
(2) Environ à trois cents pas à l'orient de la seconde pyramide, est située la statue du sphinx, formée d'une seule pièce de pierre, qui fait partie du rocher même sur lequel les pyramides sont placées. Le corps est presque entièrement enseveli sous le sable. On n'aperçoit que la partie supérieure du dos, qui a plus de cent pieds de long. La tête s'élève à la hauteur de vingt-sept pieds. Les Arabes, qui ont de l'horreur pour toutes les représentations d'hommes ou d'animaux, en ont défiguré le visage à coups de flèches et de lance. Savary observe que ces sphinx, composés du corps d'une vierge enté sur celui d'un lion, était un hiéroglyphe, qui apprenait au peuple le temps où devait arriver l'événement le plus important de l'année ; c'est sous le signe du lion et de la vierge que le Nil croît et féconde l'Égypte. Des sphinx sont placés dans ce pays devant tous les monuments remarquables.

(*) Le jugère romain fut en usage depuis l'époque de la république romaine. Il correspond à deux arpents carrés de terre, soit deux fois 144 perches carrés, 28 800 pieds carrés, un demi acre ou environ 25,20 ares : c'est-à-dire approximativement un quart d’hectare. (source : Wikipédia)

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