mardi 31 mai 2011

Mission Djedi : le “bonus” vidéo


Placée sous l’autorité directe de Zahi Hawass, ministre égyptien des Antiquités,
la Mission Djedi comprend comme membres Shaun Whitehead (Scoutek Ltd, UK),
TC Ng (Independent researcher, Hong Kong), Robert Richardson (University of Leeds, UK),
Andrew Pickering (University of Leeds, UK), Stephen Rhodes (University of Manchester, UK),
Ron Grieve (Tekron, Canada) (Ron Grieve est décédé en décembre 2010), 
Adrian Hildred (Independent researcher, UK), 
Mehdi Tayoubi (Dassault Systèmes, France), Richard Breitner (Dassault Systèmes).
Les premiers résultats de la Mission Djedi, à la recherche de la configuration et du “contenu” du conduit sud de la Chambre de la Reine (Grande Pyramide de Guizeh), ont été récemment présentés dans ce blog. Voir ICI
Les experts informaticiens de Dassault Systèmes (leader mondial en univers virtuels 3D, partenaire de la Mission) ont d’ores et déjà “mis en forme” ces résultats issus des observations et informations collectées par le robot fureteur et sa haute technologie embarquée. Il en est résulté la vidéo qui suit.
Est-il besoin de le préciser ? Le document, à ce stade des recherches, n’a pas encore pour but d’”interpréter”, mais de “montrer”, de rendre notamment plus lisibles les marques et “graffiti” observés par le robot dans le petit espace (la “chamber”) situé derrière le premier bloc de fermeture du conduit.
On ne manquera pas d’apercevoir, en cours de vidéo, un point d’interrogation apposé sur le second bloc faisant suite à la “chamber”. Ce qui revient à dire que la Mission Djedi est encore en cours et qu’il faudra attendre fin 2011-début 2012 pour prendre connaissance d’un complément d’informations sur l’un des espaces les plus secrets de la Grande Pyramide.
Source : perspectives.3ds.com/

Les pyramides d’Égypte : des “monuments qui semblent l’image de l’éternité sur la terre” (Amboise Firmin-Didot -XVIIIe-XIXe s.)


Des Notes d'un voyage fait dans le Levant en 1816 et 1817, de l’imprimeur, éditeur, helléniste et collectionneur d'art français Ambroise Firmin Didot (1790-1876), j’ai retenu le court extrait qui suit.
Ce texte, à l’instar de nombreux autres récits de voyageurs, souligne le contraste, la disproportion entre le gigantisme des pyramides et les “forces de l’homme” dans lesquelles ces monuments ont trouvé leur origine. Étrange paradoxe en effet que celui d’une construction dont le résultat est voué à traverser les siècles, et l’acteur, lié à sa condition éphémère, fût-il pharaon.



“Le 8, à la pointe du jour, je sortis de ma chambre, et le soleil levant me fit apercevoir les pyramides de Gyzé, l'une des sept merveilles de l'antiquité et la seule qui subsiste encore en entier. Leur aspect, auquel les Turcs et les Arabes restaient dans une indifférence stupide, me causa une vive émotion, et je restai longtemps frappé d'une sorte d'étonnement en me voyant enfin parvenu auprès de ces monuments qui semblent l'image de l'éternité sur la terre, puisque ces édifices gigantesques, dont l'origine se perd dans la nuit des temps, doivent survivre encore pendant bien des siècles à tous les monuments que l'on construit de nos jours, et à ceux aussi éphémères que la postérité élèvera sur leurs ruines.
À mesure que nous avancions, en naviguant sur le Nil, phénomène de la bonté de la nature, des
idées mêlés de tristesse me faisaient comparer la magnificence de ces tombeaux d'un seul homme à la misère de ces humbles huttes de terre qui apparaissaient à peine au-dessus du sol, et qui contiennent cependant des familles entières : jamais l'étrange disproportion qui existe dans la condition des hommes ne fut marquée d'une manière plus affligeante. Ces idées m'occupaient tout entier, et, s'il faut l'avouer, elles m'avaient encore plus frappé que les pyramides ; car à la distance d'où ces monuments de la forme la plus simple se montraient à mes regards dans d'immenses plaines, n’apercevant entre eux et moi aucun point de comparaison qui m'aidât à juger de leurs proportions, et la transparence de l'air ne leur donnant point cette teinte bleuâtre que prennent dans nos climats les objets éloignés, je ne pouvais me former une juste idée de leurs vastes proportions. (...)
Environ à un quart de lieue des pyramides, nous fûmes obligés de faire le reste du chemin à pied, ou montés sur des ânes. À mesure que nous approchions, nous voyions encore s'accroître ces énormes monuments, qu'à chaque instant depuis plusieurs heures nous nous croyions sur le point d'atteindre.

1890 (auteur inconnu)
Arrivés à leur base, nous commençâmes à les gravir, afin de parvenir à l'entrée des chambres souterraines, où l'on ne pénètre qu'avec assez de peine, et quelquefois même en rampant. C'est alors que les proportions étonnantes de ces singulières constructions font réfléchir qu'elles ne sont point en rapport avec les forces de l'homme ; et, en traversant les longues galeries qui y conduisent, on ne peut s'empêcher de songer avec un étonnement mêlé de terreur à ces énormes masses de pierres qui sont suspendues sur la tête.
Dans la chambre sépulcrale toute de granit, et dont les blocs sont si bien joints qu'on ne peut apercevoir l'endroit où ils s'unissent entre eux, on voit encore le sarcophage de celui dont l'orgueil croyait, en traversant les âges, trouver dans ce tombeau un asile inviolable et aussi éternel que le temps. Vain espoir ! Ses ossements ont disparu ; et, sans Hérodote, son nom même resterait éternellement inconnu.
Nous parvînmes ensuite au sommet de cette montagne de pierres qui suffiraient pour construire une ville toute entière (1); et, malgré l'ardeur du soleil, nous nous reposâmes quelque temps sur la plate-forme en suivant des yeux le cours du Nil qui serpente au milieu des sables qu'il fertilise. À nos pieds nous apercevions la tête du Sphinx, quelques petites pyramides et des débris épars de temples et d'édifices ; dans le lointain, on distinguait les nombreuses pyramides de Saccarah.
Quelques-unes des dames nous accompagnèrent dans la promenade pénible et sombre de l'intérieur de ce monument, et eurent même le courage de monter jusqu'au sommet, quoique les pierres qui forment les assises de la pyramide, dépouillée maintenant de son revêtement, aient souvent plus de quatre pieds de hauteur ; mais l'usage général aux dames de l'Orient de porter des espèces de pantalons, leur permettait de s'exposer à de telles enjambées. Après être descendus du côté qui est le moins endommagé, nous nous rendîmes auprès du Sphinx dont les formes colossales, quoique défigurées par le temps, ont cependant un caractère de noblesse très remarquable.
M. Salt (*) fit monter un Arabe sur la deuxième pyramide ; vers son sommet, une partie du revêtement existe encore : le morceau qu'il en rapporta était d'une pierre calcaire extrêmement blanche, mais n'était point du marbre comme on l'avait cru jusqu'alors, et comme on l'a répété dans bien des livres. On nous fit voir les travaux que quelques bataillons français avaient commencés pour ouvrir la petite pyramide de Mycérinus : mais, quoique peut-être dix fois moins grande que les deux autres, elle lassa bientôt leur courage.”

(1) On a trouvé, sur l'exemplaire du Voyage de Volney que Napoléon Bonaparte avait emporté à Sainte-Hélène, cette note curieuse, écrite de sa main : “La roche sur laquelle est assise cette pyramide est à 130 pieds au-dessus du Nil, 134 pieds au-dessus du chapiteau de la colonne de Mékias [**], 143 pieds au-dessus de la mer Rouge, vives eaux, 173 au-dessus de la Méditerranée. Sur le plateau ou base de la pyramide tronquée, on est élevé de 551 pieds 9 pouces ⅒ au-dessus de la vallée du Nil, 594 pieds 9 ponces au-dessus de la mer Méditerranée, 564 pieds 9 pouces au-dessus de la mer Rouge. Cette pyramide a 1,128,000 toises cubes, (...), ou des pierres pour faire une muraille de 4 toises de haut et une de large pendant 563 lieues, ou de quoi ceindre l'Égypte del Barathron à Sienne, à la mer Rouge ; et de Suez à Rafia, en Syrie.”
Par un calcul de M. Charles Dupin, il résulte que, pour élever la masse de pierres qui forme ce monument, il a fallu cent mille ouvriers employés pendant vingt ans ; et si aujourd'hui il fallait extraire les pierres des carrières, et les placer de manière à former cette pyramide, l'action des machines à vapeur mises actuellement en activité dans l'Angleterre, manœuvrées par 36.000 ouvriers, ferait ce même travail en dix-huit heures.

Source : Gallica

(*) Voir Pyramidales : ICI
[**] Le Nilomètre

lundi 30 mai 2011

Selon Nicolas Bergier (XVIe-XVIIe s.), la forme des pyramides est liée à l’invention, par les Égyptiens, de la durée précise de l’année solaire

Nicolas Bergier
L’historien rémois Nicolas Bergier (1567 ou 1557-1623) était avocat, homme de lettres et jurisconsulte.
Il abandonna le barreau pour se consacrer à l'antiquité romaine. Son ouvrage Histoire des grands chemins de l’Empire romain, édité en 1622, représente l'une des toutes premières recherches sur la topographie romaine antique, la publication de la célèbre Table de Peutinger (carte des voies de l'empire romain) ne remontant qu'à 1591.
Dans les extraits de cet ouvrage que j’ai choisis, l’auteur traite, par mode de comparaison, de l’art funéraire en Égypte, avec notamment un bref commentaire sur la forme particulière donnée par les bâtisseurs de pyramides à leurs monuments, comme un “hiéroglyphe à la postérité”, les quatre côtés d’une pyramide symbolisant la récurrence, tous les quatre ans, d’une année bissextile.

“Tout ce qui pouvait arrêter les yeux des passants en ce qui est des sépulcres anciens bâtis sur les grands chemins consistait généralement en deux choses : savoir en la forme de l'architecture, et en la beauté et subtilité des inscriptions. Ce que les Latins comprennent sous ces deux termes : forma operis, et titulus. C'est donc de ces deux choses qu'il faut maintenant parler, pour faire paraître la grandeur du plaisir et de la volupté d'esprit que les passants pouvaient concevoir en la contemplation des choses, de la beauté et magnificence desquelles nous ne laissons encore de tirer quelque délectation par la lecture des Livres.
Donc pour entrer en matière sur les sépulcres, je dirai qu'il s'en est trouvé sur les grands chemins de trois façons : non pas différents au droit de sainteté et de religion, qui était unique et commun à tous, mais en somptuosité d'édifice, et en gravité et majesté d'inscriptions. Les uns donc étaient grands et magnifiques, les autres médiocres en leur structure, et les autres bas et humbles en comparaison des deux premiers. Les grands étaient pour les rois, princes et hommes illustres ; les médiocres, pour gens riches et d'honnête famille ; et les plus petits pour le commun du peuple. (...)
Telle était la folie des anciens rois d’Égypte ès bâtiments de leurs pyramides, que Pline appelle Regum pecuniae otiosam ac stultam ostentationem, et Jule Frontin Pyramides otiosas, inertia opera. Il y en a néanmoins qui estiment que ces grandes masses de maçonnerie, construites avec tant d’hommes, d’argent et de temps, n’ont pas été faites sans quelque cause qui valût la peine : principalement chez les Égyptiens, parmi lesquels, en ces premiers siècles, les études et la connaissance des choses étaient en grande vogue. Ils disent donc qu’il faut que sous ces vastes bâtiments, il y ait quelques mystères cachés de ceux qui appartiennent à la religion, ou au règlement et direction des temps, et qui n’étaient anciennement connus sinon aux prêtres en Égypte, aux hiérophantes en Grèce, et aux pontifes à Rome.
Ceux qui se vantent d’en avoir découvert quelque chose disent que les Égyptiens sont ceux qui [les] premiers ont trouvé le cours ou [la] durée précise de l’an solaire, de quoi plusieurs nations se débattaient ensemble, comme d’une chose qui était de grande importance pour régler beaucoup d’affaires, et divines et politiques. Ils voulurent donc laisser de cela par ces pyramides comme un hiéroglyphe à la postérité. Et d’autant qu’ils avaient reconnu par fréquentes observations que l’an solaire était de 365 jours et un quart ; et partant, que chacun an était défectueux en soi de six heures selon le cours du Soleil, et que par l’addition d’un jour ces quatre ans étaient remplis et parfaits en même temps. Pour signifier cela par un certain symbole qui fut de durée, ils bâtirent des grands corps de pyramides, dont les quatre côtés peu à peu s’élevant, venaient à se terminer et aboutir en un seul point, tout ainsi que les quatre années en soi imparfaites recevaient leur perfection par un seul jour ajouté, qui les restituait en leur entier. (...)
Les autres couvrent ces grands édifices d’un autre prétexte, disant que la plupart du genre humain faisait une grande faute, en ce qu’ils bâtissaient des maisons très excellentes pour leur servir de domicile perpétuel. (...)
Et à la vérité, les sépulcres dans les lois romaines sont appelées maisons des morts. En sorte que ces Égyptiens semblaient être fondés en quelque raison : vu que quelques-uns se moquaient de ces grands palais que plusieurs font construire de matières aussi fermes que s’ils devaient toujours vivre ; mais à considérer leurs banquets si somptueux, il semblait qu’ils dussent mourir dès le lendemain. Et à ce propos, saint Jérôme disait :”Vivimus quasi altera die morituri : et aedificamus quasi semper in hoc seculo victuri.”  C’est-à-dire : “Nous nous traitons comme si nous devions mourir dès demain, et édifions comme si nous devions vivre à jamais en ce monde.”

samedi 28 mai 2011

Les pyramides en pierres ré-agglomérées : une théorie partiellement remise en cause par le Sphinx, selon Jean-Pierre Dupeyron

Deux notes de ce blog ont déjà été consacrées à l’“égyptologue amateur“ Jean-Pierre Dupeyron : l’une traitant de l’énigme de la Chambre du Roi ; l’autre, des “étonnants paliers” de la pyramide de Khéops.
Cet auteur complète son parcours en pyramidologie par un examen critique de la théorie de Joseph Davidovits, laquelle explique la construction des pyramides par un recours à la technique des pierres ré-agglomérées.
On pourra se remémorer cette théorie à partir de trois notes publiées ici (présentation de l’ouvrage La nouvelle histoire des pyramides ; bref aperçu de l’ouvrage Why the Pharaohs built the pyramids with fake stones ; Selon le professeur Davidovits, les pyramides ont été construites en pierres de synthèse ré-agglomérées), ainsi qu’à l’aide d’une vidéo dont on trouvera une copie ci-après.
Jean-Pierre Dupeyron réserve en exclusivité aux lecteurs de Pyramidales le fruit de son analyse. Qu’il en soit chaleureusement remercié.

Illustration extraite de la Description de l’Égypte
“Normalement, la validation d’une théorie, en matière d’égyptologie, relève d’une confrontation directe et contradictoire entre le chercheur et la communauté scientifique. Il n’y a donc a priori aucune raison qu’un amateur, même passionné d’égyptologie, n’intervienne dans ce genre de débat, notamment via le support privilégié d’expression que représente aujourd’hui Internet, les égyptologues n’ayant généralement pas pour habitude de développer leur argumentation sur la “toile”.
Même si la théorie de la construction des pyramides en pierres ré-agglomérées suscite depuis plusieurs décennies, en coulisse, de vives critiques de la part des géologues et des égyptologues, elle semble néanmoins avoir rencontré de nombreux échos favorables auprès des internautes. Or, cette théorie du professeur Davidovits m’apparaît comme incompatible avec certaines caractéristiques de la Grande Pyramide de Guizeh. C’est en essayant d’expliquer, sur un forum, pourquoi cette théorie ne résout pas les problèmes que pose l’érection de la grande pyramide, que je me suis aperçu qu'il suffisait d'une toute petite modification dans son énoncé pour la rendre parfaitement cohérente à mes yeux.

Deux remarques importantes préliminaires : premièrement, l’objectif principal de cet article est uniquement de préciser les quelques points de blocage de ladite théorie et de proposer des
explications pour les faire sauter. Mes propos ne représentent donc ni une critique, ni une nouvelle théorie, car je ne remets nullement en cause l’hypothèse de base, à savoir la méthode de fabrication des pierres. N'étant ni chimiste ni géologue, je ne peux en effet me prononcer sur la validité de cette hypothèse ; je m’intéresse uniquement à sa cohérence par rapport aux spécificités des pyramides.
Deuxièmement, mes réflexions s'adressent à tous les curieux passionnés de pyramides et disposant de bonnes connaissances sur le sujet.


Mon analyse tient en trois points principaux que je résume comme suit :


1- Pour tous les égyptologues, le massif des deux grandes pyramides de Khéops et de Khéphren est constitué à 100 % de pierres naturelles, généralement appelées blocs de libage, qui auraient été extraites de la formation dite de Mokattam. Cette formation est composée de calcaire relativement dur, principalement constitué de coquillages fossiles appelés nummulites. Comme les deux grandes pyramides sont érigées sur cette formation, les carrières d'extraction à ciel ouvert étaient exploitées à proximité.


2- Pour le professeur Davidovits : la découverte de la possibilité de réaliser des pierres ré-agglomérées aurait permis de faciliter la construction des deux grandes pyramides. Leur masse serait ainsi constituée de 97 à 100 % de pierres ré-agglomérées, les matériaux de base étant du calcaire tendre, naturellement délité, provenant de carrières situées à environ un kilomètre à vol d'oiseau, et à une quarantaine de mètres en contrebas.


3- La modification que je propose porte sur la suppression du mot “faciliter” (en gras et en bleu ci-dessus) pour le remplacer par les mots en italique et en rouge, tels qu’ils apparaissent dans ce qui suit : Pour le professeur Davidovits, la découverte de la possibilité de réaliser des pierres réagglomérées aurait permis la construction des deux grandes pyramides telles que nous les voyons. Le massif des deux grandes pyramides est alors constitué de 55 à 64%% de pierres ré-agglomérées.
Je nommerai désormais cette proposition la “version B”. Le changement du pourcentage de pierres ré-agglomérées ne résulte pas d’une tentative de ma part de marquer ma différence, mais de la modification apportée à la formulation de l’hypothèse.

Ma méthode d’analyse sera identique à celle que j’ai appliquée pour ma précédente enquête sur le système de descente des herses de la pyramide de Khéops (voir Pyramidales : ICI) : je commencerai par décrire les points qui, d'après moi, posent problème dans l'énoncé actuel de la théorie de Davidovits ; je développerai ensuite la petite modification qui me semble devoir y être apportée..


Les points de désaccord avec la formulation de la théorie de Joseph Davidovits
Je suis en désaccord avec le professeur Davidovits sur trois points :
- les pierres ré-agglomérées auraient facilité l'érection des pyramides ;
- l'aspect des pierres ré-agglomérées ;
- les hauteurs d'assises variables.


Premier point : les pierres ré-agglomérées auraient facilité l'érection des pyramides
Cette affirmation a convaincu de nombreux passionnés d'égyptologie. Leur réaction est assez compréhensive, car, de prime abord, il paraît plus simple de transporter des paniers sur une piste étroite que de hisser de lourdes charges sur une monumentale rampe provisoire.
En supposant que l’on admette cette seconde hypothèse, et en dépit des nombreux théories émises pour la développer, on ne sait toujours pas avec précision comment les blocs de libage ont ou auraient été réellement hissés.
Généralement, quand on met en œuvre un processus complexe (tel le recours aux pierres ré-agglomérées), c'est pour l’une des deux raisons suivantes : soit l'on en retire un bénéfice important ; soit l'on y est plus ou moins contraint. Dans notre cas, je penche plutôt pour la seconde raison.
Plutôt que d'essayer de prouver que le premier point, tel que formulé ci-dessus, est en partie faux, j’expliquerai pourquoi, d'après moi, Khéops et Khéphren ont choisi une “cuisine” de calcaire.


Deuxième point : l'aspect de pierres ré-agglomérées
Ai-je les bonnes lunettes ? Je ne sais... En tout cas, je ne vois absolument pas la même chose que le professeur Davidovits.

Illustration extraite de la vidéo du Pr Davidovits

La photo de l'expérimentation qu'il a réalisée représente, comme on peut le voir ci-dessus, de magnifiques blocs compacts.

Photo Marc Chartier

Pour ma part, je ne vois, sur le plateau de Guizeh, que des blocs distincts comme sur la photo ci-dessus.

Photo de 1920 (auteur inconnu)


Une photo prise au sommet de la pyramide de Khéops, dans l’Entre-deux-guerres (voir ci-dessus), est par ailleurs très éloquente : si le sommet du monument avait été réalisé avec la méthode préconisée, non seulement les vandales n'auraient pas réussi facilement à l'écrêter de près de huit mètres, mais, même s’ils avaient insisté, le sommet aurait dû avoir plutôt l’aspect que je représente sur cette photo-montage :



Faut-il incriminer les intempéries (pourtant rares en Égypte) ? Si c’est le cas, les dommages causés remontent à un passé récent. Le niveau que nous voyons sur la photo ci-dessous correspond à l'assise numéro 201. Comme le prouve cet agrandissement d’une planche de La Description de l’Égypte (vol. V, pl. 14), pendant la campagne d'Égypte de Bonaparte, une petite partie des assises 202 et 203 était encore en place.

L'état actuel de cette assise est donc en contradiction avec l'explication du professeur Davidovits. Celui-ci consent à admettre quelques pour-cent de pierres naturelles, mais celles-ci sont plutôt disposées sur les premières assises de la pyramide.
Conformément à ma “version B” que je développerai ultérieurement, je pense a contrario qu’au niveau supérieur de la pyramide, le transport par panier n’a pas été privilégié, et que le sommet, tel qu’il apparaît aujourd’hui, est tout compte fait normal, constitué de pierres naturelles.
Les deux aspects positifs de la vidéo du professeur Davidovits sont, d'une part, qu'elle démontre que l'on peut reconstituer des pierres de calcaire en utilisant des ingrédients facilement disponibles et que, d'autre part, la ré-agglomération, avec un faible taux d'humidité, produit effectivement une pierre à l'aspect crédible.


Troisième point : les hauteurs d'assises variables
Les pyramides de Khéops et de Khéphren ont la particularité étonnante d'avoir des assises de hauteurs différentes à chaque niveau (pour la pyramide de Khéops, le maximum est de 150 cm, et le minimum de 51,5 cm). De plus, la variation semble aléatoire, comme on peut le voir sur le graphique ci-dessous, qui concerne la pyramide de Khéops. Par exemple : l'assise n°117 fait 78 cm, et les suivantes font : 90.5, 83, 75 cm.

Évolution de la hauteur des rangs d'assises (relevés de Flinders Petrie, coin sud-ouest)
 (source : Wikimedia commons)

Si l'on admet l'explication que la principale cause de l'utilisation des pierres ré-agglomérées aurait été de faciliter l'érection des pyramides, comment peut-on expliquer alors cette singularité ? Pour quelle raison Khéops aurait fait modifier de manière aléatoire la hauteur des moules à chaque nouvelle assise ?


L’égyptologue Georges Goyon a donné dans son livre Le secret des bâtisseurs des grandes pyramides une explication parfaitement cohérente de cette singularité. D'après lui, c'est la particularité du calcaire du plateau de Guizeh qui en est la cause. Au vu des deux figures ci-dessus, extraites de l'ouvrage de Georges Goyon, on constate que la sédimentation de calcaire de la formation de Mokattam s'est faite par strates, deux strates successives, de hauteur variable, étant séparées par une mince couche d'argile. L'extraction des blocs se faisait, paraît-il, à grand-peine, en creusant des tranchées tout autour et en décollant la partie centrale après avoir atteint cette couche d'argile.

Des vestiges de carrières, comme on peut le voir sur la photo ci-dessous, prouvent la justesse d’une telle interprétation.
Illustration extraite de l'ouvrage de G.Goyon


Le professeur Davidovits pense pouvoir se sortir de cette difficulté en avançant que la hauteur des strates sur le pourtour des pyramides est beaucoup trop importante par rapport à la hauteur des assises des pyramides et, d'autre part, que la création de ces assises variables aurait été délibérée pour réaliser une protection parasismique.


Pour ma part, je vais faire appel au Sphinx, non pas pour tenter de résoudre une quelconque énigme, mais pour lui demander son avis. Par chance, la tête du Sphinx fait partie de la même formation de Mokattam et nous pouvons vérifier que les dimensions des strates qu’il comporte sont parfaitement conformes à celles des pyramides.


Si les oreilles du Sphinx font bien 130 cm comme il est écrit un peu partout, je trouve approximativement par déduction, en partant du bas : 66, 78, 100, 52 cm, à comparer avec les valeurs données citées plus haut : 78, 90.5, 83, 75 cm. Il n'y a donc pas de correspondance exacte concernant la pyramide de Khéops, car les strates de ces zones ont très certainement été utilisées pour ériger la pyramide de Khéphren. Toutefois, ces valeurs nous prouvent que la formation de Mokattam était composée, avant d’être totalement exploitée, de strates de hauteurs compatibles.
Afin de comprendre la hauteur variable des assises des pyramides, examinons à nouveau le graphique ci-dessous, précédemment montré et relatif, je le rappelle, à la pyramide de Khéops.



On remarque que la variation n'est pas qu'aléatoire. Elle a parfois une allure de courbe exponentielle décroissante.
Heureux hasard ou pas, on retrouve, sur les strates de la tête du Sphinx, cette même caractéristique. Bien entendu, l'extraction s’étant faite en commençant par les couches supérieures, la courbe exponentielle est inversée et elle est donc en réalité croissante.
Pour une raison que j'ignore, après la strate n°1, le dépôt de nummulites a été plus important sur la strate n°2, puis également plus important sur la n° 3, pour redescendre ensuite. Cela ressemble à un phénomène naturel que les spécialistes doivent pouvoir expliquer.
De toute manière, quelle qu'en soit la cause, tout indique que les hauteurs variables des assises
n'ont pas été choisies délibérément, mais imposées par l'épaisseur des strates de calcaire.
Les égyptologues ont donc bien raison sur ce point.

Une petite remarque en passant, concernant le Sphinx et les strates de hauteurs variables. Comme les strates du Sphinx ne se retrouvent pas dans la pyramide de Khéops, je pense que l’on peut éliminer ce pharaon de la liste des créateurs de cette œuvre. De surcroît, si l’on retrouve dans la seconde pyramide cette même séquence de strates, ce sera une preuve assez convaincante que c’est bien Khéphren qui en est le commanditaire et donc que la création du Sphinx date de cette même époque, et non pas des siècles avant comme le prétendent certains.


La “version B” : la réutilisation des gravats d’extraction des blocs naturels, pour en fabriquer des blocs ré-agglomérés
Après cet exposé de mes points de désaccord avec la théorie telle que formulée par le professeur Davidovits, voici la “version B” que j’en propose.
Elle comporte deux volets : l'approvisionnement et l'acheminement des matériaux de remplissage ; puis la cause réelle de l'utilité des pierres ré-agglomérées.

En examinant attentivement les illustrations extraites de l’ouvrage de Gorges Goyon, on remarque que l'extraction d'un bloc obligeait à creuser une tranchée dont le volume de gravats correspondait, d’après une estimation simple, à environ 125 % du volume du bloc extrait.
Il était tout à fait logique alors de réutiliser ces gravats et de les ré-agglomérer pour en fabriquer une deuxième catégorie de blocs de libage. Les carriers utilisaient ensuite un seul moyen de transport pour acheminer les deux sortes de blocs : les blocs naturels, et les blocs ré-agglomérés.
On comprendra dès lors pourquoi, si la ré-agglomération a bien été utilisée, les deux grandes pyramides ne sont pas d'énormes agglomérats de béton de calcaire, mais des assemblages de blocs distincts.
La réutilisation des gravats expliquerait également pourquoi ils ont mystérieusement disparu. En effet, si les deux grandes pyramides sont faites entièrement en pierres naturelles extraites sur place, il ne reste rien du volume phénoménal de gravats correspondant approximativement aux volumes de ces deux pyramides multiplié par 1,25 ; les égyptologues n'ont pas, que je sache, d'explication à cette anomalie.
On notera que les pierres ré-agglomérées ne modifient en rien la problématique de l'élévation des blocs de libage, ce qui est une bonne nouvelle pour tous les pyramidologues proposant une autre solution...

Sur le point de l’approvisionnement en matériaux de construction, le professeur Davidovits a peut-être partiellement raison.
Il ne faut pas oublier en effet que l'approvisionnement a été un chantier beaucoup plus
important que l'acheminent des blocs. Le travail était, c’est le cas de le dire, pharaonique. Si l’on
table sur 20 ans de travaux, il fallait extraire et ré-agglomérer manuellement chaque jour environ
300 blocs de 2 tonnes 1/2 chacun et ce, sans compter la fabrication d’une hypothétique rampe. Il
est donc concevable que, pour fournir au minimum ces 750 tonnes de blocs de libage, il ait été
nécessaire, pour faire feu de tout bois, de rajouter à ces gravats du calcaire tendre provenant de
carrières en contrebas. De plus, cet ajout était peut-être indispensable pour améliorer la qualité de la colle géologique. Ces deux causes expliqueraient, en partie, pourquoi il semble compliqué de déterminer, avec précision, la provenance des matériaux utilisés.


Une histoire d’ego démesuré

Khéops et Khéphren

Quelles sont les contraintes qui ont, selon moi, obligé Khéops et Khéphren à mettre en œuvre toute cette “cuisine” de calcaire ?
Pour le comprendre, il nous faut examiner à nouveau le graphique de la hauteur variable des assises. On constate qu'en dessous de la 150 ème, les assises sont toutes différentes. Ce qui prouve que les bâtisseurs ont eu d'énormes difficultés à trouver des strates de la même hauteur. Autrement, on aurait vu comme au-dessus de la 150 ième, plusieurs assises de même hauteur. Or, sans la découverte de la ré-agglomération, il n'aurait pas été facile de terminer une assise si la strate en cours d'exploitation était soit peu étendue, soit enfouie profondément sous d'autres strates.
Il ne reste alors que trois solutions qui, semble-t-il, ont également été utilisées. Il fallait soit retailler un bloc trop épais, soit trouver deux blocs dont la somme en hauteur fasse la bonne valeur, soit extraire des blocs avec une largeur légèrement supérieure à la hauteur de l'assise, les basculer sur le côté et les retailler ensuite à la bonne hauteur.
Avec les pierres ré-agglomérées, le travail ne posait pas ce genre de difficulté, car il était relativement facile de fabriquer des blocs à la bonne hauteur, même s’il fallait modifier les moules à chaque assise. De plus, le rattrapage de l'horizontalité des assises s'en trouvait simplifié.
Il existait en outre une autre possibilité : rehausser des blocs de pierre naturelle plus petits, comme semble l'avoir constaté le physicien Guy Demortier (voir note de Pyramidales sur cet auteur : ICI) qui attribue cette particularité à des accidents de démoulage.
Après toutes ces constatations, compte tenu de la difficulté de disposer facilement et en grande
quantité de strates de bonne qualité, on peut imaginer que, sans la possibilité de ré-agglomérer le calcaire, Khéops et Khéphren auraient été obligés de réduire leurs ambitions et de réaliser des pyramides beaucoup plus petites.
C’est donc, à mon avis, leur ego démesuré qui les aurait poussés à utiliser des pierres
ré-agglomérées.



De 55 à 64 % de pierres ré-agglomérées
Pour terminer, il ne me reste plus qu'à me livrer à un petit exercice que certains chercheurs aiment faire et qui consiste à déterminer le pourcentage de pierres ré-agglomérées utilisées pour construire la Grande Pyramide.
Le dessin ci-dessous représente la vue de dessus d’une partie de la carrière d’extraction des blocs de libage.


En prenant un bloc standard (au centre) de 1m sur 1,50 m et une tranchée de 60 cm, un calcul simple permet d'estimer que l'extraction de quatre blocs produisait assez de gravats pour en faire cinq ré-agglomérés, soit 55 % (les gravats de ce bloc sont représentés en noir). En ajoutant à ceux-ci du calcaire naturellement délité, on pouvait en faire six ou sept. On peut alors en déduire que les deux grandes pyramides sont faites avec environ 55 à 64 % de pierres ré-agglomérées.

Après réflexion, je pense que la répartition n'est pas homogène et doit être la suivante : la zone de 0 à 100 mètres de hauteur a certainement été faite avec cette proportion. Par contre, à partir d'une centaine de mètres de hauteur, qui correspond approximativement à la dernière année de construction, la majorité des blocs doit être en pierres naturelles. D'une part, grâce à la réduction de la surface des assises, il était plus facile de trouver des strates de même hauteur et, d'autre part, il devait rester des blocs de dégagement des strates précédentes et mis en réserve pour cause de surface insuffisante.
Toutefois, il existe une petite zone particulière qui débute à environ 5 à 10 mètres en dessous du
pyramidion et qui, compte tenu des difficultés évidentes à manœuvrer, devait avoir nécessité en partie un recours à la ré-agglomération sur place. Il ne faut pas pour autant croire que toute cette zone devait être entièrement faite de cette manière, car de solides échafaudages ont certainement été nécessaires pour hisser les derniers blocs de parement en calcaire de Tourah, qui devaient peser chacun plus d’une tonne.
Par contre, le pyramidion (qui était, paraît-il, recouvert d’or ou d’électrum) était-il en calcaire de Tourah ou en calcaire ré-aggloméré sur place ? Bien entendu, nous ne le saurons jamais. Toutefois, je pense qu’il serait peut-être intéressant d’examiner minutieusement le sommet de la pyramide de Khéphren, pour voir s’il ne reste pas encore des informations intéressantes à découvrir.


En conclusion, j'estime que cette “version B” de la théorie du professeur Davidovits est globalement satisfaisante. La reconnaissance de la part de la communauté scientifique n’est pas pour autant encore acquise car il est difficile d’imaginer qu'une telle découverte ait pu être faite et mise en œuvre par des hommes à peine sortis du néolithique.”


Jean-Pierre Dupeyron