G. Ebers (source : Wikimedia commons)
"Nos genoux tremblent encore d'avoir escaladé la grande pyramide. Nous nous reposons à l'ombre, regardons le sommet, et nous demandons de quelle manière et avec quels moyens il a été possible d'ériger cette œuvre de géant. Nous pensons ensuite à l'étrange récit d'Hérodote, d'après lequel on aurait commencé à construire par la pointe et terminé par les parties qui touchent au sol. Preuve faite, son assertion s'est trouvée aussi bien fondée que cette autre affirmation du même auteur, dont l'exactitude s'impose désormais à tous les spectateurs : la grande pyramide de Chéops "a été construite par étages".
Si les Anglais Perring et Wyse nous ont rendu le service d'avoir les premiers mesuré exactement les pyramides dans toutes leurs parties, c'est aux Allemands Lepsius et et Erbkam que revient le mérite d'avoir découvert, à force de recherches fatigantes et de combinaisons ingénieuses, la méthode d'après laquelle elles ont été élevées. Celui qui connaît le travail des deux savants allemands comprendra la relation d'Hérodote et pourra facilement répondre à toutes les questions qui assaillent le spectateur réfléchi en face des pyramides.
Nous savons maintenant comment il advint que tel roi se fit élever un monument de taille gigantesque, tandis qu'un autre se contenta d'un tombeau beaucoup plus petit. Nous savons pourquoi on ne peut découvrir qu'une seule pyramide inachevée. Nous savons ce qui encouragea Chéops à entreprendre une œuvre, à l'accomplissement de laquelle la durée moyenne d'un règne n'aurait nullement suffi, et dont pourtant on ne pouvait guère confier l'achèvement à des successeurs, dont chacun devait songer à son propre tombeau.
Sitôt qu'un Pharaon montait sur le trône, il commençait la construction de son mausolée. C'était d'abord un édifice de dimensions restreintes, une pyramide tronquée à parois presque droites. Quand la mort venait le surprendre, et pas avant, on surmontait ce noyau d'une pointe dont on prolongeait les surfaces d'inclinaison jusqu'au ras du sol. Si, après l'achèvement du premier noyau, on avait encore devant soi le temps et le pouvoir suffisants, on enveloppait la pyramide tronquée d'une couverture nouvelle de blocs formant degrés ; et ainsi de suite, jusqu'au moment où toute addition nouvelle constituait à elle un ouvrage de géants. Dès qu'il s'agissait de terminer le monument, il fallait toujours commencer par élever la pointe, puis on remplissait les degrés qui attenaient à la pointe, et, en dernier lieu, les degrés inférieurs. La forme de la pyramide de Dahshour, celle qu'on nomme la pyramide tronquée, est des plus instructives à cet égard : elle a reçu sa pointe ; mais le successeur impie du roi, qui l'éleva, négligea d'en achever la partie basse.
Les pyramides ont donc été, en fait, achevées de haut en bas. Les pierres dont on remplissait les degrés n'étaient pas de celles qui pouvaient tomber aisément de leur place : c'étaient des blocs de cette forme (voir illustration ci-dessous) dont les larges faces adhéraient l'une à l'autre, et qui, par leur propre poids, se sont maintenus pendant le cours des milliers d'années, aussi solidement que s'ils étaient reliés par le meilleur mortier. Il va de soi que le revêtement en plaques de pierre polie, qui s'est encore conservé sur le Chéops et le Mykérinos, partait également de la pointe.
Nous savons donc que la grandeur des pyramides augmentait selon la durée de vie de leur constructeur, et qu'on était libre, à tout instant, de les terminer. On pouvait abandonner à la piété de l'héritier le soin de remplir les degrés, et, dans les premiers temps, on ne jugea même pas que pareille opération fût nécessaire, comme semblent le montrer les pyramides de Meïdoum et la pyramide à degrés de Saqqarah.(...)
Le fini de chacune des parties est au-dessus de tout éloge. Hérodote savait déjà que les blocs avaient été pris dans les carrières situées au delà du Nil, transportés en bateau de l'autre côté du fleuve, et conduits au chantier par une levée qu'on avait passé dix ans à construire. On rencontre aujourd'hui encore des restes considérables de cette chaussée ; et quand même les pyramides auraient disparu, les carrières de Tourah et de Masara, au sud du Caire, dans la chaîne du Mokattam, nous apprendraient qu'ici vivait jadis le plus bâtisseur de tous les peuples. (...)"
L'auteur décrit ensuite sa visite de l'intérieur de la Grande Pyramide. De la grande Galerie, il remarque les "entailles parallèles" sur le sol et les parois, qui, selon lui, "étaient destinées à faciliter le transport du sarcophage". Puis il critique les hypothèses selon lesquelles la pyramide aurait eu une fonction astronomique... "en dépit de la sagacité qu'on a dépensée à les soutenir", ainsi que de nombreuses autres "spéculations ingénieuses", en terminant ainsi :
"Nous pouvons tenir pour assuré que les édifices indestructibles dont nous parlons étaient destinés à procurer une longue durée non seulement au cadavre, mais à la mémoire du prince qu'on y déposait."
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