Chambre funéraire de la pyramide d'Ounas découverte par Gaston Maspero en 1881 (dessin de Boudier, 1881) - source Wikimedia commons
Il m'a simplement semblé intéressant, évocateur, de faire figurer ici l'interprétation de la pensée des bâtisseurs de pyramides, telle que développée par Kurt Lange dans son ouvrage Pyramiden, Sphinxe, Pharaonen, München, 1956 (traduit de l'allemand en français, sous le titre Des Pyramides, des Sphinx, des Pharaons, par Michel Tournier, éditions Rombaldi, 1976).
L'auteur a consacré un chapitre du livre aux pyramides pour démontrer qu'elles "parlent". Après avoir, en guise de définition de ces monuments, rappelé que "leur utilité pratique est aussi mince que les efforts qu'ils ont coûté sont considérables", "tout cela pour abriter un petit cercueil de pierre dans un caveau de médiocres dimensions", il avance l'idée (rappelons-nous que l'ouvrage date de 1956), désormais devenue une conviction unanimement admise depuis les découvertes du "village des ouvriers" faisant partie du site de Guizeh, que les ouvriers n'étaient pas des "esclaves épuisés et torturés" et que les pharaons et les contremaîtres du chantier n'étaient pas des tortionnaires. Certes, l'édification des pyramides exigeait une organisation des tâches exemplaire, "mais les pyramides n'ont pas, ne pouvaient pas avoir une origine aussi barbare".
La réalité historique, à la lumière des acquis de l'archéologie, veut, selon Kurt Lange, que ces monuments aient été inspirés par un "enthousiasme religieux", inspirés par des "connaissances et (des) représentations métaphysiques". En épinglant au passage ceux qui s'adonnent à la mystique des nombres, aux "rêveries mathématiques (faisant) des anciens Égyptiens les émules des savants modernes" et autres "tentatives oiseuses", il affirme :"Il y a les murs intérieurs des pyramides et les inscriptions qui les couvrent. C'est là qu'est écrite la vérité. (...) Aussi étrange que cela puisse paraître : les pyramides parlent, et nous comprenons ce qu'elles disent."
Certes, hormis un cartouche trouvé dans l'une des chambres dites "de décharge" de la Grande Pyramide et mentionnant le nom de Khoufou, les murs et les chambres des pyramides de Guizeh sont désespérément muets. Par contre, "ce qui n'avait été que gestes et paroles dans les grandes pyramides se trouve inscrit dans les petites, comme à notre intention. Il s'agit des pyramides des rois Ounas, Teti, Pepi et Mérentrê qui régnèrent vers le milieu du troisième millénaire av. J.-C. et qui appartiennent aux Ve et VIe dynasties."
Dans la logique de son raisonnement, Kurt Lange pense que ce qui est valable pour les petites pyramides l'était également pour les grandes :"Comme les rituels des morts demeurent généralement inchangés pendant de très longues périodes de temps, il est possible que les plus anciennes de ces formules (sacrées) remontent au règne du roi Djéser, sous lequel les premières constructions de pierre dignes de ce nom apparurent (...). Il n'est même pas exclu qu'elles constituent un fond plus ancien - les premiers réflexes religieux de la sensibilité archaïque."
Les "générations nouvelles" ne pouvaient rivaliser avec la splendeur inimitable des "grandes" pyramides, suffisamment éloquentes par elles-mêmes, semble-t-il, quant à leur perfection technique et à leur signification religieuse. Elles ont toutefois pris le soin de graver sur la pierre de leurs propres monuments leurs convictions religieuses : le voyage céleste du pharaon défunt, l'examen de la valeur morale de la vie passée des défunts, la vie paradisiaque dans l'au-delà...
"Ces textes (hiéroglyphiques) joints à d'autres documents, conclut l'auteur, nous donnent la clé du sens des pyramides. La pyramide est le trône solaire sur la surface lisse et brillante duquel l'astre divin doit se poser pendant sa course quotidienne. Le dieu et le roi-dieu doivent s'unir alors comme le père et le fils. Le pharaon défunt retrouve ainsi chaque jour son unité d'essence avec le dieu suprême dont il n'était durant sa vie que l'image charnelle. (...) Les constructions imposantes du peuple des paysans égyptiens sont donc des monuments élevés par la foi, au même titre que les cathédrales de nos villes médiévales." (*)
(*) Cette comparaison, déjà formulée par le grand égyptologue français François Daumas dans les années 1940, a fait l'objet, de la part de Jean Yoyotte, de la remarque suivante :"Je trouve cette comparaison très éclairante. Même si je lui donne une portée plus matérielle. Les églises abbatiales étaient la partie le plus éminente, la culmination matérielle et spirituelle d'un complexe économique : défrichement de forêts, production agricole et artisanale, etc. La pyramide, c'est la même chose dans l'ancienne Égypte, mais une entreprise royale, chaque roi faisant édifier à son tour sa pyramide, avec sa 'ville de pyramide'." (entretien réalisé par la revue L'Histoire, n° 298, mai 2005)
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