vendredi 20 novembre 2009

"La vue de cette construction prodigieuse inspire des réflexions philosophiques bien différentes" (Laurent de Saint-Aignan - XIXe s.)

Sans émettre de point de vue personnel dans son récit de voyage La Terre Sainte : Syrie, Égypte et Isthme de Suez (1868), l'abbé Laurent de Saint-Aignan passe en revue quelques théories admises de son temps sur la destination des pyramides.
On ne manquera pas de noter la pique qu'il lance aux "insulaires" Anglais "qui ont généralement remplacé leur foi religieuse par la foi commerciale" et dont le comportement au sommet de la Grande Pyramide était pour le moins étrange.
De l'abbé de Saint-Aignan, je n'ai trouvé que les deux informations suivantes : il était prêtre à Orléans et membre de la Société asiatique de Paris, qui compta parmi ses fondateurs et premiers membres Sylvestre de Sacy, Champollion, Pierre Rémusat, Henri Maspéro...




"La science de construction que révèlent les pyramides est immense, dit M. F. Lenormant, et n'a jamais été surpassée. Avec tous les progrès des sciences ce serait, même de nos jours, un problème bien difficile à résoudre que d'arriver, comme les architectes égyptiens de la IVe dynastie, à construire, dans une masse telle que celle des pyramides, des chambres et des couloirs intérieurs qui, malgré les millions de kilogrammes qui pèsent sur eux, conservent au bout de soixante siècles toute leur régularité première et n'ont fléchi sur aucun point."
(...) Les pyramides jouissent du privilège d'attirer l'attention de tous le savants et de tous les voyageurs. Elles le méritent bien. La pyramide de Chéops est, sans contredit, le monument le plus ancien et le plus élevé même qui existe dans le monde. La vue de cette construction prodigieuse inspire aux diverses classes de spectateurs des réflexions philosophiques bien différentes.
Les uns, et ce ne sont pas les moins sages, y aperçoivent un exemple frappant de la vanité des biens et des grandeurs terrestres, et s'écrient avec Bossuet : "Ô mortels ! venez contempler le spectacle des choses mortelles ! Quelqu'effort que fassent les hommes, leur néant paraît partout. Ces pyramides étaient des tombeaux, et encore les rois qui les ont bâties n'ont-ils pas joui de leurs sépulcres."
Les autres s'indignent contre l'orgueilleux Chéops, ce tyran de l'Égypte, qui n'a pas craint de sacrifier les sueurs et la vie de plus de cent mille hommes, pour s'édifier un palais funéraire qui n'a pu préserver son cadavre du contact des vivants. Volney, par exemple, déclame contre "l'extravagance et la cruauté des despotes qui ont commandé ces barbares ouvrages". II est très vrai, je l'avoue, que Chéops a opprimé son peuple dans ce but par des travaux excessifs.
D'autres, en calculant les efforts, les matériaux et les sommes énormes qui ont été dépensés pendant trente années à cet édifice, regrettent que tant de frais n'aient pas été employés pour une œuvre utile au pays. Beaucoup d'Anglais pensent ainsi, et ne voient dans les pyramides et le sphinx que : "A great misapplication of labour and capital" comme le dit un de leurs Guides. Car ces insulaires, qui ont remplacé généralement leur foi religieuse par la foi commerciale, prisent avant tout les intérêts matériels. Ils s'amusent souvent à dîner sur le sommet de la grande pyramide, puis à faire rouler en bas les barils qui contenaient leurs vins et leurs viandes. C'est très spirituel !
Voici comment Châteaubriand réfute les détracteurs du Pharaon qui eut assez de génie pour concevoir cet ouvrage empreint de tant de simplicité et de tant de grandeur, et assez de puissance pour l'exécuter :
"Je sais que la philosophie peut gémir ou sourire, en songeant que le plus grand monument sorti de la main des hommes est un tombeau ; mais pourquoi ne voir dans la pyramide de Chéops qu'un amas de pierres et un squelette ? Ce n'est point par le sentiment de son néant que l'homme a élevé un tel sépulcre, c'est par l'instinct de son immortalité ; ce sépulcre n'est point la borne qui annonce la fin d'une carrière d'un jour, c'est la borne qui marque l'entrée d'une vie sans terme... La vue d'un tombeau n'apprend-elle donc rien ? Si elle enseigne quelque chose, pourquoi se plaindre qu'un roi ait voulu rendre la lecon perpétuelle ? On ne peut condamner ces édifices qui portent la mémoire d'un peuple au-delà de sa propre existence, et le font vivre contemporain des générations qui viennent s'établir dans ses champs abandonnés. Qu'importe alors que ces édifices aient été des amphithéâtres ou des sépulcres ? Quand l'homme a passé, les monuments de sa vie sont encore plus vains que ceux de sa mort ; son mausolée est au moins utile à ses cendres ; mais ses palais gardent-ils quelque chose de ses plaisirs ?... Pour moi, loin de regarder comme un insensé le roi qui fit bâtir la grande Pyramide, je le tiens au contraire pour un monarque d'un esprit magnanime."
À quelle époque, par qui et dans quel but les pyramides ont-elles été construites ? La science moderne peut répondre, en partie du moins, à ces questions naguère tout à fait insolubles, car elle a soulevé le voile mystérieux qui enveloppait ces monuments. Les égyptologues s'accordent avec Hérodote et Diodore de Sicile pour reconnaître que le fondateur de la grande pyramide est Choufou (on y a lu son nom en hiéroglyphes), celui de la seconde Chafra et celui de la troisième Menkari : noms qu'Hérodote a grécisés sous les formes de Chéops, Chéphren et Mycerinus. Mais ils reculent de bien des siècles la date assignée par l'historien grec aux pyramides, et ils admettent que Chéops et les deux rois ses successeurs appartiennent à la quatrième dynastie memphite, et régnèrent à une époque très antérieure à l'invasion des rois Pasteurs (Hyksos}, et par conséquent avant l'arrivée d'Abraham en Égypte . Plusieurs pensent que ces monuments ont été élevés vers l'an 3000 avant J.-C., c'est-à-dire peu de temps après le déluge suivant le calcul des Septante adopté par Eusèbe.
(...) On a fait beaucoup d'hypothèses sur la destination des pyramides. Au XIVe siècle, on les appelait les Greniers de Pharaon, et le seigneur d'Anglure nous apprend qu'on croyait que Joseph les avait fait construire afin d'y garder le blé pour le temps de la disette. (Ce pèlerin champenois vit sur la pyramide des maçons qui en détachaient des pierres, et les laissaient dévaler pour bâtir les édifices du Caire). Quelques-uns en ont fait des sanctuaires, les autres des observatoires astronomiques parce qu'elles sont très exactement orientées. (De cette orientation de la grande pyramide, on a conclu ce fait d'une haute importance pour l'histoire physique du globe : c'est que depuis plusieurs milliers d'années la position de l'axe terrestre n'a pas varié d'une manière sensible. La pyramide de Chéops est le seul monument sur la terre qui puisse fournir le moyen d'une telle observation.) D'autres considèrent les pyramides comme des sortes de digues contre les irruptions sablonneuses du désert. Ce qui est incontestable, c'est qu'elles étaient des tombeaux ; Hérodote, Diodore, Strabon, etc., l'ont affirmé, et les découvertes modernes confirment cette antique tradition.

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