De quelque époque qu’elle soit, une encyclopédie est habituellement le reflet des connaissances de ladite époque de référence.
Ainsi en va-t-il de l’Encyclopédie des gens du monde. Répertoire universel des sciences, des lettres et des arts, tome 20, rédigée par une société de savants, de littérateurs et d’artistes, français et étrangers (1844).Sous la rubrique “Pyramides”, dont on trouvera l’essentiel du contenu ci-dessous, les auteurs se sont contentés de s’appuyer sur les références censées être incontournables que sont Hérodote et Diodore de Sicile, avec quand même quelques ouvertures en direction de “nouveaux explorateurs”.
Bref, compte tenu des acquis de l’égyptologie au XIXe siècle, le texte qui suit n’apporte aucune révolution. Considérons-le comme un condensé honnête, et sans doute fidèle, de ce que les “gens du monde” se devaient de savoir en matière de “pyramidologie”, sinon pour briller en société, du moins pour disposer du bagage intellectuel minimum d’insertion dans leur société.
“Ces monuments, comptés jadis parmi les sept merveilles du monde, sont encore aujourd'hui pour tout voyageur en Égypte un des premiers objets d'admiration et d'études par leurs masses prodigieuses, leur parfaite construction, leur antiquité, qui se perd dans la nuit des temps, et les mystères qu'elles recèlent. Celte forme pyramidale, qui s'appuie sur le sol par une base carrée et avec une inclinaison de 51° 50', s'élève graduellement vers le ciel, caractérise bien le génie des anciens Égyptiens, dont les idées les plus sublimes n'étaient pas dégagées de matérialisme. Ils semblent n'avoir conçu l'immortalité de l'âme que par la durée des tombeaux : aussi négligeaient-ils ce qu’ils nommaient les hôtelleries des vivants pour ces demeures éternelles (Diod. de Sic., I, 5), qui devenaient leurs plus précieux patrimoines et leurs sanctuaires. De là, cette solidité, cette grandeur, qu'ils imprimaient à leurs édifices. Ceux-ci ont résisté non seulement aux siècles, mais aux efforts tentés plusieurs fois pour les démolir. Rien n'est imposant comme ces vieux témoins de la puissance de l'homme rivalisant avec la nature.
On trouve en Égypte et à Méroé un assez grand nombre de pyramides, et l'histoire en mentionne qui n'existent plus ; mais nous nous attacherons ici aux trois pyramides de Djizeh, près l'antique emplacement de Memphis, qui sont les plus grandes et les plus célèbres, et peuvent être prises comme type de toutes les autres, bien que celles de Sakkarah, situées à peu de distance, au nord, dans ce qu’on nomme la Plaine des momies ou la Nécropole, l'emportent peut-être en antiquité.
Hérodote nous a laissé une description assez détaillée des pyramides qu'il avait visitées et, dit-il, mesurées lui-même. Il recueillit aussi les traditions des interprètes grecs qui les lui firent voir. Selon ces récits, la plus grande pyramide, à laquelle il attribue 8 plèthres de largeur sur chaque face et une hauteur égale (ce qui est une erreur) fut construite par Chéops. Ce prince opprima l'Égypte durant 50 ans, tint les temples fermés et força le peuple à lui élever cet édifice pour tombeau. Cent mille ouvriers se relayaient tous les trois mois. Dix ans furent consacrés à construire une route inclinée par laquelle les pierres taillées dans les carrières de la chaîne arabique étaient amenées depuis le Nil jusqu'au plateau de la chaîne libyque où devait s'élever la pyramide. Vingt autres années furent employées à l'édifier. Au-dessous, si l'on en croit Hérodote, la chambre sépulcrale était creusée dans le roc, et formait une sorte d'île entourée par les eaux du Nil, qu'y amenait un canal souterrain. La pyramide, construite d'abord par gradins, fut ensuite revêtue d'un parement et terminée en commençant par le faîte. Les interprètes rapportèrent à Hérodote, d'après des inscriptions égyptiennes tracées sur la pyramide, les sommes énormes dépensées seulement en oignons pour la nourriture des ouvriers, d'où l'on pouvait se faire une idée des trésors que ces travaux absorbèrent.
L'historien grec raconte encore d'autres légendes sur Chéops, sur son frère Chéphren, qui aurait à son tour régné 50 ans (fait inadmissible s'il était frère de son prédécesseur), et qui bâtit une pyramide un peu moins grande ; enfin, sur Mycérinus, fils de Chéops, qui rentra dans les voies de la justice, et se fit construire une pyramide moins grande que les deux autres, mais remarquable en ce qu'elle était en partie revêtue de granit. Les Égyptiens, par aversion pour les deux premiers princes, évitaient de prononcer leur nom, et attribuaient quelquefois Ies pyramides au pâtre Philitis (des modernes ont voulu y voir les Philistins). Diodore de Sicile ajoute que pour soustraire leur dépouille mortelle aux injures du peuple irrité, ils durent cacher ailleurs leur sépulture. Les traditions recueillies par ce dernier historien, qui avait aussi visité l'Égypte, s'écartent en quelques points de celles d'Hérodote. Du reste, il avertit que les Égyptiens eux-mêmes n'étaient pas d'accord sur leurs auteurs.
Des écrivains faisaient honneur de la 3e pyramide à la courtisane Rhodopis. Cinq autres petites pyramides, autour de la grande, et 3 en avant de la 3e, aujourd'hui presque entièrement bouleversées ou recouvertes de sable, renfermaient, dit-on, les épouses ou les parents des anciens rois. L'une d'elles aurait été construite par la fille de Chéops avec les pierres qu'elle se faisait donner par ses amants. La seule chose sur laquelle les anciens soient d'accord, c'est la destination funéraire de tous ces monuments. Cependant, les pèlerins du moyen-âge, tout remplis de souvenirs bibliques, ont voulu y voir les greniers de Joseph. Les Arabes adoptèrent cette dénomination. Mais persuadés que les pyramides renfermaient des trésors, ils ont travaillé à les fouiller. Ils ont attaqué les angles, enlevé le revêtement, ce qui a mis à jour dans la face nord de la grande pyramide, au niveau de la 15e assise, un étroit couloir conduisant à deux chambres vers le centre de l'édifice. Ce qu'elles renfermaient fut sans doute dispersé ; il ne reste aujourd'hui dans la chambre dite du roi qu'un sarcophage de granit dépourvu de sculptures, ainsi que les parois de la chambre.
Quelques savants modernes ont émis sur la destination des pyramides des opinions singulières. Les uns, frappés de ce qu'elles sont exactement orientées selon les points cardinaux, y ont vu des observatoires et ont supposé que le conduit incliné, dont l'orifice est à la face nord, était destiné à observer l'étoile polaire, ce que sir J. Herschel a réfuté. D'autres ont pensé qu'elles conservaient un étalon d'une mesure du degré terrestre. D'autres enfin les ont cru destinées à un vaste système hydraulique. Notre siècle positif se refusait à admettre qu'un peuple eût péniblement amassé ces montagnes de pierres pour couvrir la dépouille mortelle d'un seul homme. Rien n'est, au contraire, plus conforme aux usages égyptiens. Les immenses syringes royales des environs de Thèbes, le labyrinthe, qui était aussi un tombeau, ont dû coûter presque autant de travaux et de dépenses. Toutefois, nous ne contestons pas que les pyramides n'aient, par leur forme et leur orientation, des rapports mystiques avec le soleil. Le cours de cet astre, dans les diverses régions du ciel, est un des sujets habituels de décoration des tombeaux.
Nous devons aux savants de la commission d'Égypte des mesures exactes et des descriptions détaillées de l'état actuel des pyramides. Mais l'occupation précaire de l'Égypte ne leur avait pas permis de faire exécuter dans les sables amoncelés à leur base, ni dans l'intérieur, toutes les fouilles nécessaires. Les publications spéciales, dont elles furent l'objet au commencement de ce siècle, excitèrent le zèle de nouveaux explorateurs. Belzoni ouvrit la 2e pyramide ; M. Minutoli pénétra dans celle de Sakharah ; M. Caviglia sonda le puits de la grande pyramide, y découvrit une chambre souterraine, mais non pas telle qu'Hérodote la décrit ; il reconnut aussi, entre les pattes du grand sphinx, l'entrée d'un petit temple dans lequel on suppose une communication secrète avec les pyramides. Enfin, le colonel anglais Howard Vyse a fait exécuter à ses frais, en 1837, par plus de 250 ouvriers, tant à l'extérieur qu'à l'intérieur des pyramides, divers travaux, dont il a publié le journal, et qui nous les font mieux connaître.
La grande pyramide comprend aujourd'hui 202 assises en retraite formant gradins, qui donnent une hauteur verticale d'un peu plus de 139 m. Mais ce n'est point son état primitif. Les témoignages successifs des voyageurs, sur le nombre des assises, dont, au XVIIe siècle, on comptait encore 208, et la largeur de la plate-forme qui couronne l'édifice, et qui a maintenant 10 m de coté, tandis que Diodore ne lui attribue que 6 coudées (environ 3m), prouvent que les Arabes ont détruit plusieurs des assises supérieures. En outre, il résulte de témoignages antiques que les pyramides avaient un revêtement de pierre dure unie de la base au sommet, de manière à rendre l'ascension impossible, excepté pour les habitants d'un village voisin habitués à ce périlleux exercice. Ce revêtement existe encore à la partie supérieure de la 2e pyramide ; et en dégageant la base de la grande, le colonel Vyse a retrouvé en place quelques-uns des blocs qui le formaient.
Cette première assise reposait dans un encastrement creusé de quelques pouces dans le roc. La base du monument, mesurée par les membres de la commission d’Égypte à cet encastrement, est de 232 m.747. Le volume de la pyramide, en ne tenant pas compte des vides peu considérables qui existent à l'intérieur, est de 1.644.664 toises cubes.
Dans la face nord se trouve, à la hauteur de 45 pieds, l'entrée d'une étroite galerie de 3 pieds 5 pouces de haut et de large, qui descend par une inclinaison de 26°, jusqu'à ce qu'on rencontre un bloc de granit qui la fermait, et à côté duquel les explorateurs ont forcé un passage ; de l'autre coté, est une galerie semblable, mais ascendante ; à son extrémité, on se trouve sur un palier ; à droite, est un puits étroit et profond creusé dans le roc ; en face, une galerie horizontale, aussi basse que les précédentes, et à son extrémité une chambre vide, dite de la reine de 17 pieds 10 pouces de long sur 16 de large.
De ce même palier part une autre galerie ascendante, large de 6 pieds, haute de 25, formée d'assises en encorbellement, qui ont l'aspect d'une voûte. Au bout est la chambre dite du roi, large de 16 pieds sur 32, et haute de 18 pieds. Dans cette chambre, toute en blocs de granit, parfaitement joints et polis, est un sarcophage de granit vide et sans couvercle, dépourvu de sculptures, ainsi que les parois. Deux canaux de ventilation au sud et au nord, s'élevant dans un angle de 27°, ont été récemment reconnus par M. Vyse. Au-dessus de la chambre du roi, et séparée seulement par les blocs du plafond, en est une autre, qui paraît n'avoir eu d'autre destination que de diminuer la charge. Davison la découvrit en 1764, en s'ouvrant un passage dans la masse. Par le même moyen, M. Vyse a trouvé 4 autres pièces superposées, dont la dernière est en forme de toit. Ces chambres, dans lesquelles nul n'avait pénétré depuis la construction des pyramides, étaient entièrement vides. Mais sur leurs parois sont tracées en couleur rouge des signes hiéroglyphiques cursifs qui paraissent avoir été des marques pour les ouvriers. On y a reconnu deux cartouches royaux, dont l'un, qui se lit Choufou (le Chéops ou Souphis des Grecs), avait été déjà remarqué dans un tombeau voisin des pyramides, et qui est celui d'un intendant des bâtiments du roi, Choufou (peut-être l'architecte des pyramides). (...) Ces quelques signes suffisent pour prouver que l'écriture hiéroglyphique était déjà usitée lors de la construction des pyramides, ce que l'on avait révoqué en doute, malgré les témoignages anciens, à cause de l'absence de sculptures dans la chambre du sarcophage. Mais la construction du monument montre qu'il était destiné à rester fermé ; toutes les inscriptions étaient à l'extérieur et ont disparu avec le revêtement.
Une découverte plus satisfaisante encore a couronné les efforts des explorateurs. Dans la 3e pyramide, parmi des décombres qui obstruaient une pièce qui précède celle du sarcophage, on a trouvé des os humains, des bandelettes de laine et une partie d'un cercueil en sycomore portant une inscription hiéroglyphique bien conservée. (...) Les débris de ce cercueil, abandonné tans doute par les Arabes lorsqu'ils volèrent la 3e pyramide, ainsi que le sarcophage en granit resté vide dans la cambre sépulcrale, ont été transportés au musée Britannique.
Ainsi, les monuments ne laissent plus d’incertitudes sur les noms de deux des princes qui construisirent les pyramides, mais l'époque si controversée à laquelle ils vécurent n'est pas pour cela déterminée. Hérodote et Diodore les placent plusieurs générations après le roi qu'ils assimilent au Protée d'Homère. Les pyramides auraient donc été construites dans le XIe ou XIIe siècle av. J.-C, sous la 20e dynastie de Manéthon. Mais cette dynastie fut Diospolitaine : ces tombeaux ne doivent pas se trouver à Memphis. Les monuments de Karnac et de Luxor, qui datent des 18e et 19e dynasties, nous font connaître le style architectural de cette époque bien différent de la simplicité des pyramides. Diodore dit que, selon quelques auteurs, elles avaient un millier d'années à l'époque où il visitait l'Égypte (l'an 60 av. J.-C) ; mais, selon d'autres, plus de 3.400 ans. Ce calcul reste encore au-dessous de celui de Manéthon qui, en plaçant les auteurs de ces tombeaux dans sa 4e dynastie, nous fait remonter à plus de 4.000 ans avant notre ère. La chronologie de Manéthon nous paraît trop incertaine pour oser, d'après elle, préciser la date des pyramides ; mais tout porte à croire qu'elles sont, comme il le dit, l'œuvre des premières dynasties memphites antérieures à l'invasion des Hyksos.”
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