Cagliostro (Wikimedia commons)
On le doit à un Italien, un aventurier de première : Giuseppe (Joseph) Balsamo, dit Alessandro, qui préférait accoler à son nom, entre divers titres possibles, le pseudonyme de comte de Cagliostro (1743-1795).
Une vie, pour le peu que l’on en sache, rocambolesque... et cet écrit qui ne l’est pas moins.
Un personnage fantasque, qui s’était autoproclamé immortel et faisait profession de magie et de sorcellerie.
Donc, faut-il le répéter ? - rien de sérieux à attendre des extraits que j’ai empruntés ici aux Confessions du Conte de C****, avec l’histoire de ses voyages en Russie, Turquie, Italie et dans les Pyramides d’Égypte, 1787.
Dans une sorte de rêve fantasmagorique, l’auteur nous entraîne à sa suite pour une visite de “la plus haute” des étonnantes pyramides. Sans doute quelque chose comme la pyramide de Khéops. Mais, à l’évidence, vous la reconnaîtrez pas, car les chemins de Cagliostro ne sont pas les nôtres, et ce qu’il dit y voir nous demeure étrange, mystérieux, cocasse, surréaliste, farfelu. En guise de préambule à ce que l’on appellera un itinéraire vers l’inconnu, un jeu de piste, ou plus franchement une farce, l’auteur ne nous laisse pas sur le bord du chemin. La preuve : il se fait notre guide et nous donne à consulter la carte à suivre, un peu comme le mode d’emploi de “sa” pyramide.
Rêvons donc un peu à notre tour. L’égyptologie, la vraie, n’a rien à craindre. Ce n’est pas la première - ni la dernière - rêverie à laquelle elle doive faire face !
Représentation du marbre incrusté d’hiéroglyphes,
trouvé dans la plus grande des pyramides
“Montez cet escalier. Entrez avec prudence et armés. Prenez la descente. Entrez et descendez dans le puits hardiment. Prenez le chemin au milieu duquel est une porte. Des trois issues, choisissez celle où il fait chaud. Creusez la terre ici. Prenez la clef, et entrez par la porte qu'elle ouvre. Plan de défilé à suivre. Porte. Puits à descendre. Autre plan de défilé. Pièce à cinq issues. Prendre celle ouverte. Prudence. Armes prêtes. Béquilles. Chemin glissant. Se préserver des vapeurs en se bouchant le nez. Plan de défilé. Porte à choisir. Autre plan de défilé. Choisir le chemin aux arbustes. Vaste pièce. Sentier à suivre pour en trouver l’issue. Défilé. Puits à descendre. Porte à ouvrir. Prudence. Chemin indiqué. Armes prêtes. Porte à choisir. Défilé. Préférer le chemin aux arbustes. Autre défilé à deux portes. Prendre celle qui conduit à une pièce ronde. Couvrez-vous la tête. Passez rapidement. Vaste pièce. Choisir la porte à la flèche. Place de chemin. Au bout. Pierre qui cache des degrés. Dernier défilé qui mène au but.”“Nous voici enfin arrivés près de ces fameuses et étonnantes Pyramides : la plus haute fut celle que nous choisîmes pour faire nos observations. Munis de tout ce que la prudence humaine peut suggérer, afin de les parcourir avec fruit et sûreté, nous avançâmes impatiemment vers son entrée ; nous avions un plan exact de tout son intérieur : après avoir vu ce que d'autres avaient observés avant nous, nous nous regardâmes tristement, Van-Derberg et moi, comme des hommes dont l’avide curiosité n'était rien moins que satisfaite ; nos regards se promenaient avec inquiétude autour de nous. Est-il possible, dis-je à M. Van-Derberg, que nous ayons tout vu ? Je ne puis le penser, répondit-il, il faut redoubler de courage dans nos recherches : elles ne seront pas toujours vaines. À ces mots, il prit un flambeau des mains de Marcel, j'en fis autant de celles de Mérode, et les ayant allumés, nous nous mîmes à parcourir des yeux toutes les surfaces. La patience commençait à nous échapper, et l'activité faiblissait, quand nous aperçûmes un marbre incrusté d'hiéroglyphes dont la première figure me parut avoir un sens qui me frappa.
Dans les plus grandes difficultés, lorsque l'on tient un fil, il ne s'agit que de le suivre avec discernement, et il ne peut manquer de nous mener à leur solution. Comme tous les murs étaient marqués de figures, nous y faisions peu d'attention ; et nous aurions infailliblement passé légèrement sur celles du marbre comme sur les autres, sans cet oiseau, première de ces figures, dont l'attitude me parut avoir une expression que je fus curieux d'approfondir.
Cet oiseau avec sa patte levée ; son bec tourné dans un sens, ne voudrait-il pas dire : montez de ce côté ? Mais non, me dit M.Van-Derberg, nous ne voyons aucune trace de montée ni d'escalier. Ici je donnai quelques coups de la pomme de ma canne sur le marbre, et, l'entendant résonner, je ne doutai point qu'il n'y eût du vide derrière ; M. Van-Derberg fut aussi de cet avis, et nos domestiques ayant saisi notre intention, en deux minutes, le marbre fut enlevé, et nous laissa voir un escalier pratiqué dans le mur.
Alors j'examinai le second hiéroglyphe, et voyant un escalier dont le nombre de marches était le même que celui que nous voyions, je ne doutai pas qu'en saisissant de même le sens des autres figures, nous ne vinssions à bout de mettre à fin l'aventure la plus singulière, dont la curiosité humaine puisse se faire une idée.
En conséquence, je copiai fidèlement toutes les figures du marbre ; après quoi nous montâmes l’escalier découvert, précédés par nos domestiques.
À peine avaient-ils fait quelques pas, qu'ils reculèrent de frayeur, en se précipitant vers l’escalier, et nous y entraînant nous-mêmes ; les mots de serpent qu'ils prononçaient nous firent connaître la cause de leur épouvante. Je regardai ici ma table hiéroglyphique ; y ayant vu un œil et un sabre, nous comprîmes qu'on ne pouvait passer cette pièce, sans prudence et sans armes. Alors nous étant mis en défense, et nos braves serviteurs étant revenus de leur effroi, Mérode, à la tête, qui, dans son enfance, avait combattu les sortes d'animaux qu'il venait de voir, nous nous élançâmes dans cette première pièce, où notre présence excita parmi les plus furieux reptiles que l'œil de l'homme ait jamais pu envisager, des sifflements horribles. La tête du premier de ces monstres, qui s'élança sur nous, fut dans l'instant séparée de son corps, par l'adroit et brave Mérode ; je fis plusieurs tronçons du second qui vint à nous ; trois ou quatre autres, successivement furent sabrés. Il est à croire que l’instinct les détermina à s'éloigner ; car après cette exécution, le passage devint libre.
Nous nous jetâmes dans un défilé à pente douce ; et Mérode s'étant mis à l'arrière-garde dans le dessein de faire face à l'ennemi, nous suivîmes, pendant près d'une demie heure cet étroit passage, au bout duquel nous trouvâmes un souterrain, avec un escalier très rapide : il serait trop long de détailler les diverses épreuves par lesquelles nous passâmes ; le lecteur peut s'en faire une idée d'après la planche, mise et expliquée au commencement de cet ouvrage ; il suffira de dire que nous suivîmes de point en point le sens et l'ordre de ses figures.
Après avoir en dernier lieu rampé quelques minutes, avec un courage que ni la moiteur du terrain, ni l'appréhension des reptiles venimeux, n'affaiblissait, nous parvînmes à une pièce spacieuse et brillante de tous les feux du prisme le plus pur ; notre vue en fut soudain accablée ; peu à peu ce sens si délicat reprit en nous toute sa force, et notre âme alors fut toute en lui.
Que l’on se figure, mais pourra-t-on se figurer, le spectacle ravissant de mille arcs-en-ciel, se croisant en tous sens et variant leurs couleurs étincelantes à chaque mouvement que nous faisions ? Ce prodige de cristallisations ne peut être imaginé que par nous qui l'avons vu. Mais l'homme n'a reçu du ciel qu'une somme de moyens pour sentir ; épuisée, il n'est plus qu'une combinaison passive des éléments. C'est ce que nous éprouvâmes : éblouis, transportés, notre âme fut bientôt dans un état d'ivresse qu'elle ne pouvait plus soutenir ; nous sentîmes nos genoux fléchir ; un lit de mousse légère se trouvant sous nos pas, nous nous y laissâmes tomber sans dessein, et le sommeil vint nous surprendre avant que nous nous fussions dit une seule parole. (...)
Je crois que mon existence est un vrai songe dont la mort sera le seul réveil ; quelquefois je pense que tout ce que j'ai vu n'a été que l'illusion du sommeil.”
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