lundi 4 octobre 2010

Mykérinos “ne pouvait guère songer à faire mieux que son père et que son aïeul” (G. Maspero - XIXe-XXe s.)

Suite de notre lecture de L’Histoire ancienne des peuples de l'Orient classique. Les empires, de Gaston Maspero (1846-1916).
Après des extraits relatifs à la pyramide de Khéops (voir ICI), en voici d’autres consacrés aux pyramides de Khéphren et de Mykérinos.
Qu’on me permettre d’attirer l’attention des lecteurs sur les deux notes de l’auteur, que j’ai reprises au bas de ce post.




Statue en albâtre de Khéphren
dessin de Boudier, d'après une photographie d'Émile Brugsch-Bey
“De Dadoufri, [le] premier successeur [de Khoufou], nous croyons pouvoir dire qu'il régna huit ans ; mais Khéphrèn, celui de ses fils qui exerça ensuite la royauté, érigea comme lui des temples et une pyramide gigantesque. Il l'établit à quelque 120 mètres au sud-ouest de celle de son père et la nomma Ouirou la Grande. Elle est pourtant plus petite que sa voisine et ne mesure que 135 mètres de haut ; mais, à distance, la différence s'efface, si bien que beaucoup de voyageurs anciens et modernes attribuent une égale élévation aux deux sœurs.
Le revêtement, dont un quart environ subsiste à partir du sommet, est un calcaire nummulitique, compact, dur, plus homogène que celui des assises, diapré et comme rouillé çà et là de larges plaques d'un lichen rougeâtre, mais gris aux endroits restés libres, et glacé d'un poli mat qui, de loin, le fait reluire au soleil. Des murs épais en pierre brute encadrent le monument de trois côtés, et l'on aperçoit derrière la façade ouest, dans une enceinte oblongue, une file de galeries bâties sommairement en calcaire et en boue du Nil.
C'est là que les manœuvres employés aux travaux venaient s'entasser chaque soir, et les rebuts de leur ménage encombrent encore les ruines de leurs demeures, tessons de poterie commune, éclats des diverses sortes de pierres dures qu'ils taillaient, granit, albâtre, diorite, fragments de statues brisées pendant l'exécution, blocs de granit tout lissés et prêts à servir.

La pyramide de Khéphren, vue du sud-est
dessin de Boudier, d’après une photographie de Béato

La chapelle commandait le front Est, et communiquait par une chaussée dallée avec le temple du Sphinx, auquel elle devait ressembler singulièrement (1). Le plan s'en dessine encore nettement sur le sol, et l'on n'y peut remuer les décombres sans ramener au jour des morceaux de statues, de vases, de tables d'offrandes, quelques-uns couverts d'hiéroglyphes, comme la tête de massue en pierre blanche qui appartint en son temps à Khéphrèn lui-même.
Les dispositions intérieures de la pyramide sont des plus simples : un couloir en granit réservé secrètement dans la face Nord, incliné selon un angle de 25 degrés, puis horizontal et clos d'une herse en granit au point qui marque son changement de direction; un second couloir, qui commence au dehors, à quelques mètres en avant du parement, et qui va rejoindre le premier  après avoir traversé une cellule inachevée ; enfin une chambre creusée clans le roc, mais surmontée d'un toit pointu en poutres de calcaire fin. Le sarcophage était de granit, et ne portait ni nom de roi, ni représentation de dieu, non plus que celui de Khéops. Le couvercle s'adaptait si solidement à la cuve, que les Arabes ne parvinrent jamais à l'en détacher quand ils violèrent le tombeau en l'année 1200 de notre ère : ils durent défoncer l'un des côtés à coups de marteau pour arriver au cercueil et pour en retirer la momie du Pharaon. 

Statue en diorite de Menkaouri
dessin de Boudier, d'après une photographie d'Émile Brugsch-Bey

Celui des fils de Khéphrèn qui lui succéda, Menkaourî (Mykérinos), ne pouvait guère songer à faire mieux que son père et que son aïeul ; sa pyramide, la Suprême - Hirou - atteint à peine 66 mètres d'élévation et le cède à plusieurs de celles que l'on édifia plus tard. On l'habilla de syénite au quart de sa hauteur, puis de calcaire jusqu'au sommet ; faute de temps sans doute, on n'acheva pas de dresser le granit, mais le calcaire reçut tout le poli qu'il était susceptible de prendre. L'enceinte court rejoindre au Nord celle de la seconde pyramide et se confond avec elle. Le temple se reliait à la plaine par une longue chaussée presque droite, qui cheminait en contre-haut du sol environnant pendant la meilleure partie de son parcours (2). Il était en assez bon état durant les premières années du XVIIIe siècle, et ce qui a survécu aux dévastations des Mamelouks témoigne du scrupule minutieux et de l'art raffiné qui avaient présidé à la construction.
On rencontrait d'abord, en venant de la plaine, une halte immense de 31 mètres sur 14, puis on entrait dans une large cour qui avait deux issues sur les côtés : on ne distingue plus au-delà que les arasements de cinq salles, dont la centrale, placée sur le prolongement du vestibule, s'arrête à 13 mètres environ de la pyramide et répond juste au milieu de la face orientale. Le corps même de l'édifice constitue un rectangle de 56 mètres de longueur sur 54 de largeur environ. Les murs comportaient tous, comme au temple du Sphinx, un noyau de calcaire de 2 m. 40 d'épaisseur, dont les blocs s'ajustaient avec tant d'artifice qu'on est tenté de croire le tout entaillé d'une seule pièce dans le roc. Ils se cachaient sous un placage de granit et d'albâtre, dont les débris ne conservent la trace ni d'un tableau ni d'une légende hiéroglyphique : le fondateur avait inscrit son nom sur les statues qui recevaient pour lui l'offrande, et aussi sur le pan nord de la pyramide, où on le montrait encore aux curieux vers le premier siècle avant notre ère. L'aménagement intérieur est assez compliqué et témoigne des changements survenus au cours des travaux. Le noyau primitif ne comptait probablement que 55 mètres de largeur à la base et 47 mètres de hauteur verticale. Il comprenait un passage en pente, percé dans la montagne même, et une cellule oblongue, basse, sans ornement. On avait déjà terminé le gros œuvre, mais le revêtement manquait encore, lorsqu'on se décida à modifier les proportions de l'ensemble. Mykérinos n'était pas, ce semble, le fils aîné et l'héritier désigné de Khéphrèn : il se préparait une pyramide de prince, semblable à celles qui accompagnent l'Horizon, quand la mort de son frère et de son père l'appela au trône. Ce qui suffisait à l'infant ne convenait plus au Pharaon : on agrandit la masse à ses dimensions actuelles, et l'on y pratiqua un second couloir incliné, au bas duquel un vestibule pannelé de granit livre accès à une sorte d'antichambre. Celle-ci communique par un corridor horizontal avec le premier caveau, qu'on approfondit pour la circonstance : on remblaya tant bien que mal l'ancienne entrée désormais inutile.
Mykérinos ne reposait pas à cet étage supérieur des souterrains : un chenal étroit dissimulé sous le dallage de la seconde pièce descendait dans un réduit mystérieux, doublé de granit et recouvert d'un toit arrondi en voûte.
Le sarcophage était un seul bloc de basalte bleu noir, poli et sculpté en forme de maison, avec une façade percée de trois portes et de trois fenêtres à claire-voie, encadrée d'un tore, surmontée de la corniche saillante à laquelle les temples nous ont accoutumés. Le cercueil en bois de cèdre avait la tête humaine et le corps en gaine : il n'était ni peint, ni doré, mais une inscription en deux colonnes, incisée sur le devant, contient le nom du Pharaon et une prière à son intention : « Osiris, roi des deux Égyptes, Menkaourî, vivant éternellement, enfanté par le ciel, conçu par Nouît, chair de Sibou, ta mère Nouît s'est étendue sur toi en son nom de Mystère du Ciel et elle a accordé que tu sois un dieu et que tu repousses tes ennemis, ô roi des deux Égyptes Menkaourî, vivant éternellement. » Les Arabes éventrèrent la momie, pour voir si elle ne renfermait pas quelque bijou précieux, et n'y découvrirent que des feuilles d'or, probablement un masque ou un pectoral chargé d'hiéroglyphes. Lorsque Vyse rouvrit le caveau en 1837, les ossements gisaient dispersés au hasard dans la poussière, pêle-mêle avec des amas de chiffons salis et de bandelettes en laine jaunâtre. (...)
Les Égyptiens des dynasties thébaines, comparant les deux grandes pyramides à la troisième, imaginèrent que la disproportion qu'ils remarquaient entre leur taille répondait à un contraste de caractère entre les souverains qui les habitaient. Accoutumés qu'ils étaient d'enfance aux constructions gigantesques, ils n'éprouvaient pas devant l’Horizon et devant la Grande l'impression d'écrasement et d'effroi que les modernes ressentent. Ils n'en étaient que plus aptes à comprendre quelle somme de labeur et d'efforts il fallut dépenser pour les finir de la base au sommet. Elle leur parut dépasser l'extrême des corvées qu'un maître juste avait le droit d'imposer à ses sujets, et la réputation de Khéops ou de Khéphrèn en souffrit grandement. On les accusa de sacrilège, de cruauté, de débauches ; on prétendit qu'ils avaient suspendu la vie entière de leurs peuples pendant un siècle et plus afin de s'ériger leurs tombeaux.”

(1) La liaison du temple du Sphinx avec celui de la seconde pyramide a été découverte en décembre 1880, pendant les dernières fouilles de Mariette. Je dois dire que toute la partie de l'édifice dans laquelle la route débouche porte les traces d'un travail hâtif, exécuté longtemps après la construction du reste de l'édifice ; peut-être l'état actuel des lieux ne remonte-t-il qu'à l'époque des Antonins, au temps où le Sphinx fut déblayé pour la dernière fois dans les temps anciens.
(2) Cette chaussée ne doit pas être mise en rapport, comme on le fait trop souvent, avec la chaussée qu'on aperçoit à quelque distance à l'est dans la plaine : cette dernière allait à des carrières de calcaire situées dans la montagne, au sud du plateau qui porte les pyramides, et qui furent exploitées dès une haute antiquité.

Source : Gallica

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