jeudi 8 novembre 2018

La construction des pyramides a exigé "un abus prodigieux de forces humaines" (Henri Joseph Léon Baudrillart)

"Rien n'est donné à l'ostentation dans l'intérieur de la grande pyramide"

Extraits de Histoire du luxe privé et public, depuis l'antiquité jusqu'à nos jours, Tome 1, 1880-1881, par Henri Joseph Léon Baudrillart (1821-1892), économiste français, journaliste de l'école libérale, professeur d'économie politique au Collège de France et à l'École nationale des ponts et chaussées. 

"C'est à la période memphite que remonte l'origine des plus étonnants monuments du faste égyptien. Le fondateur d'une des principales pyramides, Chephrem, le successeur de Cheops, est le troisième roi de la quatrième dynastie. Ce faste diffère sensiblement du luxe décoratif qu'on trouve au temps des rois de Thèbes dans les constructions postérieures de trois mille ans.
Rien n'est donné à l'ostentation dans l'intérieur de la grande pyramide, œuvre à la fois d'une pensée religieuse qui défie le temps, et d'un orgueil monarchique qui se joue de tous les obstacles. 

L'absence de machines suffisantes, la nécessité de traîner et de faire monter à la hauteur nécessaire les blocs de pierre par la force des bras, qui n'étaient guère aidés que par des câbles et des rouleaux, ont exigé un emploi, ou plutôt un abus prodigieux de forces humaines. Il a fallu des populations innombrables et d'épouvantables corvées pour élever au faste ce monument impérissable et merveilleux, dont l'habileté d'exécution ne commande pas moins l'étonnement que la masse elle-même.
Les hommes de l'art admirent comment les chambres intérieures peuvent porter sans fléchir le fardeau d'un poids si énorme depuis tant de siècles.
Au reste, l'importance de tels colosses a pu être déterminée par le calcul avec une précision qui met la réalité au-dessus de ce que l'imagination pourrait se figurer.
C'est sur plus de deux cents couches d'énormes blocs que la grande pyramide de Chéops repose. La hauteur, intacte, était de cent cinquante-deux mètres : la base, en longueur, en avait deux cent trente-cinq. Les pierres dont cette masse est formée équivalent à vingt-cinq millions de mètres cubes, et pourraient fournir les matériaux d'un mur haut de six pieds et long de mille lieues.
Il serait superflu d'insister sur ce côté gigantesque du faste égyptien. On n'a plus à le décrire : il suffit de le rappeler. Ce qu'ont coûté ces colosses de pierre, devenus si intéressants au point de vue historique, à peine le pouvons-nous conjecturer par les indications qui nous ont été léguées : car il faudrait tenir un compte exact de
la dépréciation monétaire. La plus grande pyramide porte une inscription indiquant les dépenses en légumes et en raves consommés par les ouvriers ; elles se sont élevées à plus de mille six cents talents, ce qui fait huit millions huit cent mille francs. De combien faut-il augmenter ce chiffre pour arriver à une évaluation qui donne une notion approximative de la valeur actuelle de l' argent et de cette dépense de forces ? Comment s'étonner qu'une immense impopularité ait pesé sur les princes qui fondèrent ces monuments en y employant les bras, non seulement des captifs, mais des indigènes ? Ils craignirent pour leurs cadavres les haines qu'ils avaient bravées de leur vivant. La population menaçait de les arracher de leurs tombeaux et de les déchirer ignominieusement. Voilà pourquoi ils ordonnèrent en mourant à leurs serviteurs de les ensevelir clandestinement et dans un lieu inconnu.
Bossuet, toujours éloquent, sinon toujours exact, en parlant de l'ancienne Égypte a exprimé cette idée dans une phrase justement célèbre : "Quelque effort que fassent les hommes, leur néant paraît partout. Ces pyramides étaient des tombeaux, encore les rois qui les ont bâties n'ont-ils pas eu le pouvoir d'y être inhumés, et ils n'ont pas joui de leur sépulcre." 


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