samedi 17 novembre 2018

Selon Maurice Valette (XIXe s.), les pyramides égyptiennes ont été construites "à l'aide de procédés très simples", parmi lesquels "le plan incliné paraît avoir joué le principal rôle"

Aucune information n'est à ma disposition à propos de l'auteur du texte qui suit : Maurice Valette. 
Seule la préface de l'ouvrage, sous la plume du peintre et sculpteur Jean Léon Gérôme, donne quelques brefs éléments :
"Ce travail, écrit-il, m'a vivement intéressé, et j'ai, en le parcourant, appris beaucoup de choses que j'ignorais. Vous avez dû, avant de l'entreprendre, faire bien des recherches, réunir bien des documents, exécuter de véritables fouilles dans le domaine de l'histoire de l'Art. Voilà pourquoi votre livre est un ouvrage sérieux ; il est établi sur de bonnes bases ; voilà pourquoi il est attachant : on sent qu'on n'est pas dans des choses probables, mais tout à fait dans le vrai."
Avouons quand même que, s'ils sont élogieux, ces propos ne nous apprennent pas grand-chose ! 



"L'art de construire, dans lequel les Égyptiens ont excellé, nous offre, dans ses productions les plus remarquables, ce caractère de résistance et de force inerte que signale le grand philosophe grec (Platon), non seulement dans la pensée, mais dans les moyens ou procédés matériels d'exécution d'ouvrages qui semblent vouloir braver l'éternité. (...) L'Égyptien regardait son habitation sur la terre comme une hôtellerie où il n'avait pas à faire un long séjour, et donnait seulement le nom d'éternelle demeure à son tombeau, d'où il ne sortait plus une fois entré. C'est pourquoi tous les édifices de l'ordre civil et les habitations particulières étaient de construction légère, faites de matériaux relativement fragiles, parfois même avec le simple limon du Nil et les roseaux qui croissent sur ses bords. Les rois eux-mêmes étaient indifférents à la beauté de leurs palais, et ils n'employaient leurs richesses qu'à l'édification de superbes monuments funèbres. C'est pour la mort seule qu'ils réservaient et la magnificence et les éléments d'éternelle durée que l'architecture pouvait déployer. Les Pyramides et les temples qu'ils élevèrent longtemps avant les âges historiques semblent en effet défier la dent du temps et être bâtis pour atteindre les dernières limites du monde.  
Les monuments qui ont pu résister à cette action du temps (...) procèdent d'un système architectonique grandiose, superbe, auquel la plupart des peuples, Grecs et Romains en tête, ont fait de larges emprunts. Ces monuments qui assignent à l'Égypte une place à part dans l'histoire, couvrent encore la vallée du Nil, où l'œil du savant et de l'artiste peut les interroger. Or, ce qui frappe tout d'abord dans ces énormes constructions, c'est la difficulté qu'a dû présenter l'élévation des grands blocs de pierre ou de granit dont ils se composent jusqu'aux hauteurs vertigineuses où nous les voyons dans les Pyramides et sur le faîte des palais et des temples dont ils forment la couverture, posés à plat sur les chapiteaux des colonnes. 
On a supposé que les prêtres qui inspiraient et dirigeaient la construction de ces ouvrages employaient des procédés mécaniques dont le secret s'est perdu avec eux. Mais Diodore de Sicile dit positivement que les Égyptiens n'avaient pas de machines, et Letronne, l'illustre égyptologue, ajoute : "S'ils les avaient connues, on en trouverait trace dans un bas-relief du temps de Sésostris qui nous représente le transport d'un colosse. On le voit entouré de câbles et tiré par plusieurs rangées d'hommes attachés à des cordages ; d'autres portent des seaux pour mouiller les cordes et graisser le sol factice sur lequel il est traîné. La force tractive de leurs bras était concentrée dans un effort unique au moyen d'un chant ou d'un battement rythmé qu'exécutait un homme monté sur les genoux d'un colosse. Si mille hommes ne suffisaient pas, on en prenait dix mille, autant qu'on en pouvait réunir sur un point et pour une même action. C'est ainsi que d'après le témoignage de Pline, Rhamsès avait employé cent vingt mille hommes pour dresser un des obélisques de Thèbes."
C'est donc à l'aide de procédés très simples et en se servant d'un très grand nombre de bras, qu'on parvenait à élever à de si grandes hauteurs ces masses colossales. Parmi les procédés employés, le plan incliné paraît avoir joué le principal rôle. On enterrait les colonnes, les architraves à mesure qu'elles s'élevaient, et l'on allongeait graduellement le plan incliné suivant le besoin. Une application du même procédé, c'est-à-dire un plan incliné en spirale, a fourni le moyen de dresser les obélisques sans autre secours que celui des leviers et d'une multitude de bras dont l'action était habilement combinée.
Les Pyramides ne sont, elles, qu'un quadruple plan incliné qui s'est suffi à lui-même pour sa propre élévation.
Malgré ces moyens primitifs et relativement imparfaits de l'art de
bâtir, on est frappé de la hardiesse autant que de l'harmonie qui éclatent dans les constructions égyptiennes. L'architecte a procédé audacieusement, par masses, s'emparant résolument du caractère d'une ligne dont il suivra les directions et les déductions logiques jusqu'au parfait achèvement de l'œuvre. Cette ligne, c'est la ligne droite, légèrement oblique par rapport au sol, et qui apparaît comme la génératrice constante de tout le système architectonique."

extrait de Les révolutions de l'art, 1890, par Maurice Valette