Le texte d'Edme-François Jomard (voir les publications consacrées à cet auteur, en cliquant ICI) que l'on lira ci-dessous est extrait de L'art antique : Choix de lectures sur l'histoire de l'art, l'esthétique et l'archéologie accompagné de notes explicatives, historiques et bibliographiques, de Gaston Cougny (1857-1908), avocat et historien français.
Les Pyramides (1)
"L'aspect général de ces monuments donne lieu à une observation frappante : leurs cimes, vues de très loin, produisent le même genre d'effet que les sommités des hautes montagnes de forme pyramidale, qui s'élancent et se découpent dans le ciel. Plus on s'approche, plus cet effet décroît. Mais quand vous n'êtes plus qu'à une petite distance de ces masses régulières, une impression toute différente succède, vous êtes frappé de surprise, et dès que vous gravissez la côte, vos idées changent comme subitement ; enfin, lorsque vous touchez presque au pied de la grande pyramide, vous êtes saisi d'une émotion vive et puissante, tempérée par une sorte de stupeur et d'accablement. Le sommet et les angles échappent à la vue. Ce que vous éprouvez n'est point l'admiration qui éclate à l'aspect d'un chef-d’œuvre de l'art, mais c'est une impression profonde. L'effet est dans la grandeur et la simplicité des formes, dans le contraste et la disproportion entre la stature de l'homme et l'immensité de l'ouvrage qui est sorti de sa main (2) ; l’œil ne peut le saisir, la pensée même a peine à l'embrasser. C'est alors que l'on commence à prendre une grande idée de cet amas immense de pierres taillées, accumulées avec ordre à une hauteur prodigieuse. On voit, on touche à des centaines d'assises de 200 pieds cubes du poids de 30 milliers, à des milliers d'autres qui ne leur cèdent guère, et l'on cherche à comprendre quelle force a remué, charrié, élevé un si grand nombre de pierres colossales, combien d'hommes y ont travaillé, quel temps il leur a fallu, quels engins leur ont servi ; et moins on peut s'expliquer toutes ces choses, plus on admire la puissance qui se jouait avec de tels obstacles.
Bientôt un autre sentiment s'empare de votre esprit, quand vous considérez l'état de dégradation des parties inférieures ; vous voyez que les hommes, bien plus que le temps, ont travaillé, à leur destruction. Si celui-ci a attaqué la sommité, ceux-là en ont précipité les pierres, dont la chute en roulant a brisé les assises. Ils ont encore exploité la base comme une carrière ; enfin le revêtement a disparu, sous la main des barbares. Vous déplorez leurs outrages, mais vous comparez ces vaines attaques au massif de la pyramide, qu'elles n'ont pas diminué peut-être de la centième partie, et vous dites avec le poète : "Leur masse indestructible a fatigué le
temps." (3) Suspendons ici nos réflexions sur ce monument, et achevons de jeter un coup d’œil général sur l'ensemble des lieux.
Dès qu'un voyageur arrive sur le plateau des pyramides, c'est comme un besoin pour lui d'en faire le tour au moins de la première ; et cette promenade lui donne encore de celle-ci une plus grande idée ; elle demande au moins un quart d'heure en marchant vite, à cause des monticules de sable et de débris accumulés à la partie inférieure de chaque face.
Quiconque vient ici payer un tribut de curiosité à ces monuments, mais qui n'y apporte pas des opinions faites à l'avance, n'est frappé que du spectacle qu'il a devant lui ; il ne cherche pas à maîtriser ses impressions par des réflexions vagues sur la destination des pyramides, parce qu'elle lui est inconnue ; sur ce qu'elles ont coûté aux peuples de fatigues et de sacrifices, parce qu'il l'ignore, et qu'il ne s'en rapporte pas aux assertions sans preuve des esprits prévenus ni aux incertitudes des étymologies (4). Il observe, il compare, ne jugeant que des faits qu'il a sous les yeux ; il voit que les auteurs, quels qu'ils soient, de la Grande pyramide, ont construit le monument le plus durable et le plus élevé sous le ciel (5) ; et il conclut que, sous ce rapport et par ce fait seul, les Égyptiens se sont placés au premier rang des peuples de la terre. En donnant à ces masses, comme Pline, le nom de prodigieuses, portentosoe moles, il se garde de décider avec lui que c'est le fruit d'une vaine et folle ostentation de la richesse des rois ; enfin il s'abstient de prononcer, avec Bossuet, que ces ouvrages ne sont rien que des tombeaux (6), parce qu'il sait que ce grand écrivain a voulu surtout faire sortir de son sujet une grande pensée morale, sans songer à l'histoire des arts chez les Égyptiens et à leurs progrès dans les sciences, chose qu'il n'a pu connaître."
Jomard
NOTES
(1) Les pyramides, exception faite des ruines encore incomplètement étudiées, se partagent en six groupes qui suivent la lisière du plateau de Libye, de Gizeh au Fayoum. Le groupe de Gizeh en compte neuf, et, dans le nombre, celles de Cheops (grande pyramide), celles de Chéphren et de Mykérinos : on sait que l'antiquité les avait mises au rang des merveilles du monde. La plus ancienne pyramide dont les textes nous certifient l'existence au nord d'Abydos, est celle de Snofrou ; les plus modernes appartiennent aux princes de la douzième dynastie. Le plan comme l'ensemble de la forme, l'aspect extérieur varient sensiblement d'une pyramide à l'autre, il ne faudrait pas prendre celles de Gizeh pour un type uniforme : par exemple, la pyramide méridionale de Dashour présente, à chacune de ses arêtes, non pas une ligne droite, mais une ligne brisée. La grande pyramide de Sakkarah, ou pyramide à degrés, que Mariette regarde comme la plus vieille de toutes et qu'il attribue au quatrième roi de la première dynastie, se divise en six larges gradins dont les pans inclinés sont répétés sur les quatre faces. (2) Ces divers points ont été éclaircis par la science moderne. Lepsius et Mariette ont expliqué le mode de construction qu'employaient sans doute les architectes des pyramides : ils ont montré le monument s'agrandissant par l'addition d'enveloppes successives "construites, dit M. G. Perrot, soit en assises horizontales qui seraient venues se superposer autour du noyau central, soit en tranches parallèles dont les joints auraient été dirigés vers l'axe de l'édifice". On sait aussi par quel moyen on réunissait, dans l'ancienne Égypte, les bras nécessaires à l'exécution de ces grands travaux publics : ce moyen, c'était la corvée, la levée en masse de tous les hommes valides, la conscription du travail forcé.
(3) Un auteur arabe, Abd-ul Latif, écrivait au treizième siècle : "Toutes choses craignent le temps, mais le temps craint les Pyramides."
Cf. ces vers de M. Sully-Prudhomme :
"Et depuis cinq mille ans, sous l'énorme bâtisse, Dans sa tombe Chéops inaltérable dort."
(4) C'est à tort probablement, que l'on a cru trouver l'origine du mot puramis, Pyramide, dans le copte pirama, la hauteur. Il s'agit, suivant toute vraisemblance, d'un terme purement grec, et serait dérivé de pur, feu, à cause d'une certaine analogie entre la forme du monument et celle que présente une flamme.
(5) Il ne faudrait pas croire que la pyramide de Chéops, ou grande pyramide de Gizeh soit actuellement le plus haut monument du globe : elle n'a, en effet, que 137m d'élévation, alors que les tours de Cologne atteignent 160m, la flèche de la cathédrale de Rouen 150m, la coupole de Saint-Pierre à Rome, 143m, et le clocher de Strasbourg, 142. Elle n'en mesure pas moins une hauteur double de celle des tours de Notre-Dame de Paris.
D'après Letronne et M. Maspero, la grande pyramide, au temps de Chéops, aurait eu 144m60, la disparition du revêtement a facilité cette destruction graduelle du sommet, signalée plus haut par Jomard. En revanche, la plus petite des pyramides connues ne culminait pas au delà de 10m au-dessus du sol. Faut-il penser que, la tombe royale étant édifiée du vivant même du prince, la masse bâtie s'est trouvée en proportion directe du temps consacré à la bâtir, c'est-à-dire de la durée de chaque règne ?
M. G. Perrot en est d'avis. (Histoire de l'art, l'Égypte, p. 210.) Mais M. Maspero objecte (Archéologie égyptienne, p. 127) que la moindre des pyramides de Saqqarah (explorée par lui en mars 1881), appartient à Ounas, qui régna trente ans, tandis que les deux principales pyramides de Gizeh ont été
construites sous Chéops et sous Chéphren, qui gouvernèrent l’Égypte, l'un vingt-quatre, l'autre vingt-trois ans. "Mirinri, qui mourut fort jeune, a une pyramide aussi grande que Pépi II, qui prolongea sa vie au delà de quatre-vingt-dix ans. Le plan de chaque pyramide était tracé une fois pour toutes par l'architecte, selon les instructions qu'il avait reçues et les ressources qu'on plaçait à sa disposition. Une fois mise en train, l'exécution s'en poursuivait jusqu'à complet achèvement des travaux, sans se développer ni se restreindre."
(6) Ici Jomard se trompait : il est précisément prouvé aujourd'hui, par l'exploration plus attentive de ces édifices et par le déchiffrement des textes égyptiens, que les pyramides ne sont rien que des tombeaux. Le témoignage de M. Mariette confirme, à cet égard, l'assertion d'Hérodote, de Diodore et de Strabon. Il n'est pas en Égypte une pyramide ou plutôt un groupe de pyramides qui ne soit le centre d'une nécropole, et, de plus, on a toujours retrouvé un sarcophage dans la chambre intérieure, qui avec la chapelle et les couloirs, formait une des parties essentielles du plan de toute pyramide. (La chapelle était isolée, au lieu d'être ménagée à l'intérieur du massif.) Ces monuments n'ont jamais été des observatoires : si les quatre faces des pyramides regardaient les quatre points cardinaux, c'est que les Égyptiens avaient coutume d'orienter la tombe, en vertu d'une assimilation mystique entre la carrière du soleil et celle de l'homme. Encore moins est-il permis d'y voir un rempart bâti par la main des hommes pour défendre la vallée du Nil contre les irruptions sablonneuses du désert ; car pourquoi les pyramides se trouveraient-elles toutes rassemblées, à peu d'exceptions près, sur un seul point de l'Égypte : dans le voisinage de Memphis ?
La pyramide, c'est la tombe royale de l'ancien empire : le caractère, la destination sociale de l'édifice ne comportent pas d'autre explication. (Histoire de l'art, tome I, l'Égypte. p. 70-80, passim.)
Les Pyramides (1)
"L'aspect général de ces monuments donne lieu à une observation frappante : leurs cimes, vues de très loin, produisent le même genre d'effet que les sommités des hautes montagnes de forme pyramidale, qui s'élancent et se découpent dans le ciel. Plus on s'approche, plus cet effet décroît. Mais quand vous n'êtes plus qu'à une petite distance de ces masses régulières, une impression toute différente succède, vous êtes frappé de surprise, et dès que vous gravissez la côte, vos idées changent comme subitement ; enfin, lorsque vous touchez presque au pied de la grande pyramide, vous êtes saisi d'une émotion vive et puissante, tempérée par une sorte de stupeur et d'accablement. Le sommet et les angles échappent à la vue. Ce que vous éprouvez n'est point l'admiration qui éclate à l'aspect d'un chef-d’œuvre de l'art, mais c'est une impression profonde. L'effet est dans la grandeur et la simplicité des formes, dans le contraste et la disproportion entre la stature de l'homme et l'immensité de l'ouvrage qui est sorti de sa main (2) ; l’œil ne peut le saisir, la pensée même a peine à l'embrasser. C'est alors que l'on commence à prendre une grande idée de cet amas immense de pierres taillées, accumulées avec ordre à une hauteur prodigieuse. On voit, on touche à des centaines d'assises de 200 pieds cubes du poids de 30 milliers, à des milliers d'autres qui ne leur cèdent guère, et l'on cherche à comprendre quelle force a remué, charrié, élevé un si grand nombre de pierres colossales, combien d'hommes y ont travaillé, quel temps il leur a fallu, quels engins leur ont servi ; et moins on peut s'expliquer toutes ces choses, plus on admire la puissance qui se jouait avec de tels obstacles.
Bientôt un autre sentiment s'empare de votre esprit, quand vous considérez l'état de dégradation des parties inférieures ; vous voyez que les hommes, bien plus que le temps, ont travaillé, à leur destruction. Si celui-ci a attaqué la sommité, ceux-là en ont précipité les pierres, dont la chute en roulant a brisé les assises. Ils ont encore exploité la base comme une carrière ; enfin le revêtement a disparu, sous la main des barbares. Vous déplorez leurs outrages, mais vous comparez ces vaines attaques au massif de la pyramide, qu'elles n'ont pas diminué peut-être de la centième partie, et vous dites avec le poète : "Leur masse indestructible a fatigué le
temps." (3) Suspendons ici nos réflexions sur ce monument, et achevons de jeter un coup d’œil général sur l'ensemble des lieux.
Dès qu'un voyageur arrive sur le plateau des pyramides, c'est comme un besoin pour lui d'en faire le tour au moins de la première ; et cette promenade lui donne encore de celle-ci une plus grande idée ; elle demande au moins un quart d'heure en marchant vite, à cause des monticules de sable et de débris accumulés à la partie inférieure de chaque face.
Quiconque vient ici payer un tribut de curiosité à ces monuments, mais qui n'y apporte pas des opinions faites à l'avance, n'est frappé que du spectacle qu'il a devant lui ; il ne cherche pas à maîtriser ses impressions par des réflexions vagues sur la destination des pyramides, parce qu'elle lui est inconnue ; sur ce qu'elles ont coûté aux peuples de fatigues et de sacrifices, parce qu'il l'ignore, et qu'il ne s'en rapporte pas aux assertions sans preuve des esprits prévenus ni aux incertitudes des étymologies (4). Il observe, il compare, ne jugeant que des faits qu'il a sous les yeux ; il voit que les auteurs, quels qu'ils soient, de la Grande pyramide, ont construit le monument le plus durable et le plus élevé sous le ciel (5) ; et il conclut que, sous ce rapport et par ce fait seul, les Égyptiens se sont placés au premier rang des peuples de la terre. En donnant à ces masses, comme Pline, le nom de prodigieuses, portentosoe moles, il se garde de décider avec lui que c'est le fruit d'une vaine et folle ostentation de la richesse des rois ; enfin il s'abstient de prononcer, avec Bossuet, que ces ouvrages ne sont rien que des tombeaux (6), parce qu'il sait que ce grand écrivain a voulu surtout faire sortir de son sujet une grande pensée morale, sans songer à l'histoire des arts chez les Égyptiens et à leurs progrès dans les sciences, chose qu'il n'a pu connaître."
Jomard
NOTES
(1) Les pyramides, exception faite des ruines encore incomplètement étudiées, se partagent en six groupes qui suivent la lisière du plateau de Libye, de Gizeh au Fayoum. Le groupe de Gizeh en compte neuf, et, dans le nombre, celles de Cheops (grande pyramide), celles de Chéphren et de Mykérinos : on sait que l'antiquité les avait mises au rang des merveilles du monde. La plus ancienne pyramide dont les textes nous certifient l'existence au nord d'Abydos, est celle de Snofrou ; les plus modernes appartiennent aux princes de la douzième dynastie. Le plan comme l'ensemble de la forme, l'aspect extérieur varient sensiblement d'une pyramide à l'autre, il ne faudrait pas prendre celles de Gizeh pour un type uniforme : par exemple, la pyramide méridionale de Dashour présente, à chacune de ses arêtes, non pas une ligne droite, mais une ligne brisée. La grande pyramide de Sakkarah, ou pyramide à degrés, que Mariette regarde comme la plus vieille de toutes et qu'il attribue au quatrième roi de la première dynastie, se divise en six larges gradins dont les pans inclinés sont répétés sur les quatre faces. (2) Ces divers points ont été éclaircis par la science moderne. Lepsius et Mariette ont expliqué le mode de construction qu'employaient sans doute les architectes des pyramides : ils ont montré le monument s'agrandissant par l'addition d'enveloppes successives "construites, dit M. G. Perrot, soit en assises horizontales qui seraient venues se superposer autour du noyau central, soit en tranches parallèles dont les joints auraient été dirigés vers l'axe de l'édifice". On sait aussi par quel moyen on réunissait, dans l'ancienne Égypte, les bras nécessaires à l'exécution de ces grands travaux publics : ce moyen, c'était la corvée, la levée en masse de tous les hommes valides, la conscription du travail forcé.
(3) Un auteur arabe, Abd-ul Latif, écrivait au treizième siècle : "Toutes choses craignent le temps, mais le temps craint les Pyramides."
Cf. ces vers de M. Sully-Prudhomme :
"Et depuis cinq mille ans, sous l'énorme bâtisse, Dans sa tombe Chéops inaltérable dort."
(4) C'est à tort probablement, que l'on a cru trouver l'origine du mot puramis, Pyramide, dans le copte pirama, la hauteur. Il s'agit, suivant toute vraisemblance, d'un terme purement grec, et serait dérivé de pur, feu, à cause d'une certaine analogie entre la forme du monument et celle que présente une flamme.
(5) Il ne faudrait pas croire que la pyramide de Chéops, ou grande pyramide de Gizeh soit actuellement le plus haut monument du globe : elle n'a, en effet, que 137m d'élévation, alors que les tours de Cologne atteignent 160m, la flèche de la cathédrale de Rouen 150m, la coupole de Saint-Pierre à Rome, 143m, et le clocher de Strasbourg, 142. Elle n'en mesure pas moins une hauteur double de celle des tours de Notre-Dame de Paris.
D'après Letronne et M. Maspero, la grande pyramide, au temps de Chéops, aurait eu 144m60, la disparition du revêtement a facilité cette destruction graduelle du sommet, signalée plus haut par Jomard. En revanche, la plus petite des pyramides connues ne culminait pas au delà de 10m au-dessus du sol. Faut-il penser que, la tombe royale étant édifiée du vivant même du prince, la masse bâtie s'est trouvée en proportion directe du temps consacré à la bâtir, c'est-à-dire de la durée de chaque règne ?
M. G. Perrot en est d'avis. (Histoire de l'art, l'Égypte, p. 210.) Mais M. Maspero objecte (Archéologie égyptienne, p. 127) que la moindre des pyramides de Saqqarah (explorée par lui en mars 1881), appartient à Ounas, qui régna trente ans, tandis que les deux principales pyramides de Gizeh ont été
construites sous Chéops et sous Chéphren, qui gouvernèrent l’Égypte, l'un vingt-quatre, l'autre vingt-trois ans. "Mirinri, qui mourut fort jeune, a une pyramide aussi grande que Pépi II, qui prolongea sa vie au delà de quatre-vingt-dix ans. Le plan de chaque pyramide était tracé une fois pour toutes par l'architecte, selon les instructions qu'il avait reçues et les ressources qu'on plaçait à sa disposition. Une fois mise en train, l'exécution s'en poursuivait jusqu'à complet achèvement des travaux, sans se développer ni se restreindre."
(6) Ici Jomard se trompait : il est précisément prouvé aujourd'hui, par l'exploration plus attentive de ces édifices et par le déchiffrement des textes égyptiens, que les pyramides ne sont rien que des tombeaux. Le témoignage de M. Mariette confirme, à cet égard, l'assertion d'Hérodote, de Diodore et de Strabon. Il n'est pas en Égypte une pyramide ou plutôt un groupe de pyramides qui ne soit le centre d'une nécropole, et, de plus, on a toujours retrouvé un sarcophage dans la chambre intérieure, qui avec la chapelle et les couloirs, formait une des parties essentielles du plan de toute pyramide. (La chapelle était isolée, au lieu d'être ménagée à l'intérieur du massif.) Ces monuments n'ont jamais été des observatoires : si les quatre faces des pyramides regardaient les quatre points cardinaux, c'est que les Égyptiens avaient coutume d'orienter la tombe, en vertu d'une assimilation mystique entre la carrière du soleil et celle de l'homme. Encore moins est-il permis d'y voir un rempart bâti par la main des hommes pour défendre la vallée du Nil contre les irruptions sablonneuses du désert ; car pourquoi les pyramides se trouveraient-elles toutes rassemblées, à peu d'exceptions près, sur un seul point de l'Égypte : dans le voisinage de Memphis ?
La pyramide, c'est la tombe royale de l'ancien empire : le caractère, la destination sociale de l'édifice ne comportent pas d'autre explication. (Histoire de l'art, tome I, l'Égypte. p. 70-80, passim.)