jeudi 4 mars 2010

La surface des pyramides "présente toutes sortes d'inscriptions" (Maçoudi - Xe s.)

Le texte ci-dessous est extrait de l'ouvrage de l'écrivain arabe Maçoudi (1) (début Xe s.-956) Livre des Prairies d'Or et des Mines de Pierres Précieuses, texte et traduction par Charles Barbier de Meynard et Abel Pavet de Courteille, tome 2, Société Asiatique, 1863.
Ce livre est un abrégé, rédigé par Maçoudi lui-même, dont il reste plus que des fragments :
Akkbâr al-Zamân.
L'essentiel des "informations" qu'on y lira sont, conformément aux us et coutumes "'journalistiques" de l'époque, empruntées à des récits traditionnels transmis oralement ou repris de relations antérieures. La référence de Maçoudi est ici un très vieux Copte dont la réputation d'érudition ne semblait pas devoir être sujette à la moindre critique.(2)


"On le [le vieux Copte, chrétien jacobite] questionna sur la construction des Pyramides : "C'étaient, reprit-il, les tombeaux des rois. Lorsqu'un de leurs rois venait a mourir, son corps était mis dans un bassin de pierre semblable à ce qu'on nomme djaroun en Égypte et en Syrie ; on en scellait le couvercle, puis on commençait à bâtir la pyramide sur des bases d'une hauteur déterminée. On déposait le sarcophage au centre de l'édifice, et l'on continuait à élever la voûte jusqu'à la hauteur que vous voyez. La porte était placée sous la pyramide même ; on y pénétrait par un couloir souterrain surmonté d'une voûte, qui pouvait avoir une longueur de cent coudées, et au-delà : chaque pyramide avait une porte et une entrée analogues."
"Mais, lui demanda-t-on, comment furent construites les pyramides lisses ? Comment les ouvriers pouvaient-ils y monter et travailler ? À l'aide de quels engins transportaient-ils ces pierres énormes, dont une seule ne peut être soulevée maintenant qu'avec des efforts inouïs, si toutefois c'est possible ?"

Le Copte répondit : "On bâtissait ces pyramides par assises superposées en degrés, comme un escalier ; puis on les polissait, en les grattant depuis le haut jusqu'en bas.(3) Tel était le procédé de ce peuple qui joignait une force et une patience admirables à un respect religieux pour ses rois."
On lui demanda pourquoi les inscriptions qui couvrent les Pyramides et les temples (berba, pluriel berabi) sont indéchiffrables. Il répondit: "Les savants et ceux qui se servaient de cette écriture ayant disparu, et l'Égypte ayant été occupée tour à tour par des peuples étrangers, l'alphabet et l'écriture des Grecs prévalurent. Les Coptes, à mesure qu'ils se familiarisaient avec cette écriture, l'employèrent et en combinèrent les lettres avec celles de leur alphabet ; de leur contact avec les Grecs sortit une écriture qui tenait à la fois du grec et de l'ancien copte, et ils perdirent ainsi l'intelligence de l'écriture de leurs ancêtres."
(…) Les pyramides sont très élevées, et d'une construction remarquable : leur surface présente toutes sortes d'inscriptions, écrites dans les caractères des nations anciennes et des royaumes qui n'existent plus. On ne sait ce que c'est que cette écriture et ce qu'elle signifie. Ceux qui ont étudié les dimensions des pyramides évaluent leur hauteur à quatre cents coudées, ou davantage, ainsi que l'ont constaté ceux qui en ont fait l'ascension ; leur largeur (à la base) égale à peu près ce nombre. Leurs inscriptions sont relatives aux sciences, aux propriétés des corps, à la magie et aux secrets de la nature. On dit qu'une de ces inscriptions est ainsi conçue : "C'est nous qui avons bâti les pyramides. Que celui qui veut égaler notre autorité, obtenir notre pouvoir et renverser notre trône, abatte ces édifices, et en efface les vestiges, bien qu'il soit plus facile d'abattre que de bâtir, et de dispenser des matériaux que de les réunir." On raconte qu'un roi musulman commença la démolition d'une de ces pyramides, mais qu'il dépensa tout le revenu de l'Égypte et d'autres contrées, sans pouvoir arracher les blocs de pierre et de marbre qui ont servi à les construire."


(1) J'ai adopté ici la transcription habituellement retenue pour le nom de l'auteur : Maçoudi. On trouve également Massoudi ou Masoudi. La translittération exacte est la suivante : Abû l-Hasan Ibn al-Husayn al-Mas'ûdî, le ' entre le "s" et le "u" long (à prononcer "ou") étant la consonne "ayn" (contraction de la voix spécifique à la langue arabe).

(2) Voici ce que Maçoudi écrit de ce vieux sage :"Ahmed, fils de Touloun, étant en Égypte, postérieurement à l'an 260 [selon le calendrier  hégirien], fut informé qu'il y avait dans le Saïd, aux confins de l'Égypte, un Copte âgé de cent trente ans, et dont on vantait la science. Depuis sa jeunesse, il avait, disait-on, étudié, d'une manière approfondie, les opinions et les systèmes de tous les philosophes et de toutes les écoles religieuses. Il connaissait à fond les provinces et le fleuve de l'Égypte, son histoire et celle de ses rois. Ses voyages, son séjour dans plusieurs pays lui avaient fait connaître différents peuples de la race blanche et de la race noire ; enfin, il était versé dans l'astronomie et l'étude des lois célestes. Ahmed, fils de Touloun, envoya un de ses officiers et une escorte, avec ordre de le lui amener par le Nil, en lui témoignant les plus grands égards. Ce vieillard vivait loin du commerce des hommes, au faîte d'une maison où il avait vu naître le quatorzième de ses arrière-petits-enfants. On le conduisit donc en présence du sultan. Malgré les traces profondes que le temps avait laissées sur sa personne, il jouissait de toutes ses facultés et de toute sa verdeur ; son esprit lucide saisissait les questions, et y répondait spontanément et avec clarté. Le sultan lui donna un appartement orné de riches tapis, et lui envoya les mets et les boissons les plus recherchés. Mais le Copte ne voulut ni fouler ces tapis ni toucher à ces mets, et se contenta du biscuit et de quelques vivres qu'il avait apportés avec lui. "C'est à ces aliments et à ce costume, disait-il, que l'édifice de mon corps doit sa conservation. Si vous me forcez d'y renoncer pour ces mets et ces vêtements recherchés, cet édifice s'écroulera et tombera en poussière."
On le laissa désormais se conformer à sa vie habituelle. Ahmed, fils de Touloun, lui présenta les personnes' les plus instruites de la cour, et lui témoigna une considération marquée. Il passait des journées et des nuits entières seul avec ce vieillard, écoutant ses récits, ses souvenirs et les réponses qu'il faisait à diverses questions."

(3) note des traducteurs : Cette explication est (…) invraisemblable. On sait, depuis la publication des beaux travaux du Dr Lepsius, selon quelle loi les pyramides étaient construites. On commençait par le centre, en développant successivement le noyau primitif à l'aide de blocs superposés de cinq à six mètres d'épaisseur, à la façon des couches concentriques des arbres, et l'on augmentait ainsi graduellement la masse de l'édifice. La multitude de petites pyramides, germes de monuments inachevés, dont le sol de l'Égypte est couvert, démontre combien cette théorie est fondée.

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