Le colonel Chalbrand (1773?- ) fit partie de la Campagne d'Égypte. Et tant qu'à devoir résider au Caire pour les besoins de la chose militaire, pourquoi ne pas en profiter pour découvrir les richesses archéologiques du pays ?
À en juger d'après certaines relations qui nous sont parvenues, c'est bien en effet ce que firent les officiers de l'armée du futur Empereur des Français. Quant aux bidasses et autres troufions (les futurs "grognards"), les chroniques de l'époque restent muettes à leur sujet...
Mais à lire le texte qui suit, extrait de l'ouvrage Les Français en Égypte, ou souvenirs des campagnes d'Égypte et de Syrie par un officier de l'expédition (1857), rédigé par Just-Jean Étienne Roy (1794-1871?) à partir des observations et indications du colonel Chalbrand, on a comme l'impression que nos braves militaires étaient habitués à des expéditions rondement menées, y compris pour un petit détour à teneur culturelle.
Un simple coup d'œil furtif au Sphinx, un arrêt de quelques instants à Saqqarah, rien à dire - ou si peu - de "ces merveilles de l'antiquité", "rien de bien curieux" à visiter à l'intérieur de la Grande Pyramide : voilà le type même des touristes en goguette ! Fort heureusement, Bonaparte avait emmené dans ses bagages une autre "armée", de savants cette fois-ci, dont la curiosité scientifique et les observations minutieuses des ruines antiques et solennelles de Guizeh donnèrent à l'égyptologie l'impulsion que l'on sait.
"Nous revînmes aux Pyramides, où nous fîmes une halte.
C'était la première fois que je voyais d'aussi près ces gigantesques monuments, vers lesquels mes regards se portaient si souvent depuis que j'habitais le Caire, et que j'avais depuis si longtemps le désir de visiter. Malheureusement ce jour-là nous n'avions pas le temps de nous arrêter à faire des observations ; je ne pus que contempler dans une sorte d'admiration silencieuse ces immenses constructions, dont, suivant la belle expression de Delille, "La masse indestructible a fatigué le temps".
Je fis le tour de la plus grande, appelée Chéops, et je pus m'assurer de la justesse de l'observation faite avant moi : c'est que les pyramides semblent diminuer de hauteur à mesure qu'on en approche, et ce n'est qu'en touchant les blocs de pierre dont elles sont formées qu'on acquiert une idée juste de leur masse et de leur immensité. Je donnai ensuite un coup d'œil au sphinx et aux excavations chargées d'hiéroglyphes, et nous remontâmes à cheval.
Nous nous dirigeâmes, en suivant les confins du désert, sur un village où nous passâmes la nuit. Le lendemain nous continuâmes notre course jusqu'aux pyramides de Sakkarah, bien plus petites et bien plus anciennes que celles de Giseh ; car, s'il faut en croire certains savants, elles auraient été bâties par des rois de la troisième dynastie, qui régnaient cinq mille ans avant Jésus-Christ. Mais, nonobstant mon respect pour ces savants, on me permettra d'opposer plus que du doute à l'exactitude prétendue de cette date.
Sakkarah est l'antique cimetière de Memphis, appelé la Plaine des Momies, parsemée de pyramides et de tombeaux. Son aspect est triste et affligeant. La rapacité des fouilleurs y a répandu la dévastation ; les tombeaux ornés de sculptures sont ravagés, le sol est couvert de monticules de sable produit par les bouleversements, et il est tout parsemé d'ossements humains à découvert, blanchis par le temps, restes des plus vieilles générations.
Nous ne nous arrêtâmes que peu d'instants à Sakkarah, et nous revînmes par le désert en nous dirigeant sur les grandes pyramides. (...)
La vue des pyramides avait excité en moi le désir de les visiter plus complètement que je n'avais pu le faire [au cours d'une excursion précédente]. Kléber, qui était venu passer quelques jours au Caire, voulut voir les pyramides, et il témoigna le désir d'être accompagné par quelques-uns des antiquaires de la commission. Je m'étais lié avec la plupart d'entre eux, et ils voulaient bien encourager mon goût pour l'archéologie et m'éclairer de leurs lumières. Ils me proposèrent de faire partie de la caravane qui devait accompagner Kléber, et je ne laissai pas, comme on le pense bien, échapper une si belle occasion.
Je ne dirai que peu de choses de ces merveilles de l'antiquité, dont la description se trouve partout. La plus grande, le Chéops, a quatre cent quarante-sept pieds de haut ; de loin elle paraît finir en pointe, mais elle se termine par une petite plate-forme sur laquelle je suis monté, et où pourraient tenir plusieurs personnes. Cette plate-forme n'existait pas dans l'origine ; elle a été formée par l'enlèvement des deux assises supérieures qui terminaient la pyramide et portaient sa hauteur à quatre cent cinquante-un pieds (onze pieds de moins que le clocher de Strasbourg).
Sauf un petit nombre de chambres, deux couloirs et deux étroits soupiraux, la pyramide est entièrement pleine. Les pierres dont elle se compose forment une masse véritablement effrayante. Un membre de l'Institut d'Égypte qui nous accompagnait nous dit que cette masse, d'environ soixante-quinze millions de pieds cubes pourrait fournir les matériaux d'un mur haut de six pieds, qui aurait mille lieues et ferait le tour de la France.
Hérodote parle d'une inscription tracée sur la grande pyramide ; des inscriptions en caractères antiques et inconnus y existaient encore au Moyen-Âge, selon les auteurs arabes ; aujourd'hui on ne lit rien sur les murs des pyramides. Notre savant nous expliqua cette contradiction apparente en nous apprenant que la grande pyramide était primitivement recouverte d'un revêtement en pierre polie, ou plutôt d'un marbre blanc appelé marbre arabique, et tiré des bords de la mer Rouge. C'est sur ce revêtement, dont une partie fut enlevée par Saladin pour la construction d'un palais ou d'une mosquée, et dont une partie subsistait encore au XVe siècle, que se lisait sans doute l'inscription rapportée par Hérodote.
Nous voulûmes ensuite visiter l'intérieur, quoiqu'il n'y ait rien de bien curieux. Nous entrâmes du côté du nord, par un corridor qui descend d'abord, puis remonte et conduit à la salle qu'on nomme la chambre du roi, et qui renferme un sarcophage de granit. Le travail de la maçonnerie est merveilleux, et la lumière agitée des torches est reflétée par un mur du plus beau poli. De cette salle partent des conduits étroits qui vont aboutir au dehors ; nous ne pouvions en comprendre la destination, et chacun hasardait ses conjectures ; celle de notre savant nous parut la plus simple et la plus rationnelle : c'est que ces conduits étaient tout simplement des ventilateurs nécessaires aux ouvriers pendant qu'ils travaillaient dans le cœur de la pyramide.
Nous visitâmes ensuite la chambre de la reine, placée presque au-dessus (*) de la première et dans l'axe central de la pyramide ; puis une troisième chambre, beaucoup plus bas et taillée dans le roc. On parvient à cette dernière chambre, ou par un puits, ou par un passage incliné qui va rejoindre l'entrée de la pyramide.
Telle est la disposition de la grande pyramide ; celle des deux autres que nous visitâmes ensuite est analogue ; seulement leur maçonnerie n'offre aucun vide, et les chambres qu'elles renferment sont creusées dans le roc."
(*) lire évidemment "au-dessous"
L'illustration est extraite de l'ouvrage
À en juger d'après certaines relations qui nous sont parvenues, c'est bien en effet ce que firent les officiers de l'armée du futur Empereur des Français. Quant aux bidasses et autres troufions (les futurs "grognards"), les chroniques de l'époque restent muettes à leur sujet...
Mais à lire le texte qui suit, extrait de l'ouvrage Les Français en Égypte, ou souvenirs des campagnes d'Égypte et de Syrie par un officier de l'expédition (1857), rédigé par Just-Jean Étienne Roy (1794-1871?) à partir des observations et indications du colonel Chalbrand, on a comme l'impression que nos braves militaires étaient habitués à des expéditions rondement menées, y compris pour un petit détour à teneur culturelle.
Un simple coup d'œil furtif au Sphinx, un arrêt de quelques instants à Saqqarah, rien à dire - ou si peu - de "ces merveilles de l'antiquité", "rien de bien curieux" à visiter à l'intérieur de la Grande Pyramide : voilà le type même des touristes en goguette ! Fort heureusement, Bonaparte avait emmené dans ses bagages une autre "armée", de savants cette fois-ci, dont la curiosité scientifique et les observations minutieuses des ruines antiques et solennelles de Guizeh donnèrent à l'égyptologie l'impulsion que l'on sait.
"Nous revînmes aux Pyramides, où nous fîmes une halte.
C'était la première fois que je voyais d'aussi près ces gigantesques monuments, vers lesquels mes regards se portaient si souvent depuis que j'habitais le Caire, et que j'avais depuis si longtemps le désir de visiter. Malheureusement ce jour-là nous n'avions pas le temps de nous arrêter à faire des observations ; je ne pus que contempler dans une sorte d'admiration silencieuse ces immenses constructions, dont, suivant la belle expression de Delille, "La masse indestructible a fatigué le temps".
Je fis le tour de la plus grande, appelée Chéops, et je pus m'assurer de la justesse de l'observation faite avant moi : c'est que les pyramides semblent diminuer de hauteur à mesure qu'on en approche, et ce n'est qu'en touchant les blocs de pierre dont elles sont formées qu'on acquiert une idée juste de leur masse et de leur immensité. Je donnai ensuite un coup d'œil au sphinx et aux excavations chargées d'hiéroglyphes, et nous remontâmes à cheval.
Nous nous dirigeâmes, en suivant les confins du désert, sur un village où nous passâmes la nuit. Le lendemain nous continuâmes notre course jusqu'aux pyramides de Sakkarah, bien plus petites et bien plus anciennes que celles de Giseh ; car, s'il faut en croire certains savants, elles auraient été bâties par des rois de la troisième dynastie, qui régnaient cinq mille ans avant Jésus-Christ. Mais, nonobstant mon respect pour ces savants, on me permettra d'opposer plus que du doute à l'exactitude prétendue de cette date.
Sakkarah est l'antique cimetière de Memphis, appelé la Plaine des Momies, parsemée de pyramides et de tombeaux. Son aspect est triste et affligeant. La rapacité des fouilleurs y a répandu la dévastation ; les tombeaux ornés de sculptures sont ravagés, le sol est couvert de monticules de sable produit par les bouleversements, et il est tout parsemé d'ossements humains à découvert, blanchis par le temps, restes des plus vieilles générations.
Nous ne nous arrêtâmes que peu d'instants à Sakkarah, et nous revînmes par le désert en nous dirigeant sur les grandes pyramides. (...)
La vue des pyramides avait excité en moi le désir de les visiter plus complètement que je n'avais pu le faire [au cours d'une excursion précédente]. Kléber, qui était venu passer quelques jours au Caire, voulut voir les pyramides, et il témoigna le désir d'être accompagné par quelques-uns des antiquaires de la commission. Je m'étais lié avec la plupart d'entre eux, et ils voulaient bien encourager mon goût pour l'archéologie et m'éclairer de leurs lumières. Ils me proposèrent de faire partie de la caravane qui devait accompagner Kléber, et je ne laissai pas, comme on le pense bien, échapper une si belle occasion.
Je ne dirai que peu de choses de ces merveilles de l'antiquité, dont la description se trouve partout. La plus grande, le Chéops, a quatre cent quarante-sept pieds de haut ; de loin elle paraît finir en pointe, mais elle se termine par une petite plate-forme sur laquelle je suis monté, et où pourraient tenir plusieurs personnes. Cette plate-forme n'existait pas dans l'origine ; elle a été formée par l'enlèvement des deux assises supérieures qui terminaient la pyramide et portaient sa hauteur à quatre cent cinquante-un pieds (onze pieds de moins que le clocher de Strasbourg).
Sauf un petit nombre de chambres, deux couloirs et deux étroits soupiraux, la pyramide est entièrement pleine. Les pierres dont elle se compose forment une masse véritablement effrayante. Un membre de l'Institut d'Égypte qui nous accompagnait nous dit que cette masse, d'environ soixante-quinze millions de pieds cubes pourrait fournir les matériaux d'un mur haut de six pieds, qui aurait mille lieues et ferait le tour de la France.
Hérodote parle d'une inscription tracée sur la grande pyramide ; des inscriptions en caractères antiques et inconnus y existaient encore au Moyen-Âge, selon les auteurs arabes ; aujourd'hui on ne lit rien sur les murs des pyramides. Notre savant nous expliqua cette contradiction apparente en nous apprenant que la grande pyramide était primitivement recouverte d'un revêtement en pierre polie, ou plutôt d'un marbre blanc appelé marbre arabique, et tiré des bords de la mer Rouge. C'est sur ce revêtement, dont une partie fut enlevée par Saladin pour la construction d'un palais ou d'une mosquée, et dont une partie subsistait encore au XVe siècle, que se lisait sans doute l'inscription rapportée par Hérodote.
Nous voulûmes ensuite visiter l'intérieur, quoiqu'il n'y ait rien de bien curieux. Nous entrâmes du côté du nord, par un corridor qui descend d'abord, puis remonte et conduit à la salle qu'on nomme la chambre du roi, et qui renferme un sarcophage de granit. Le travail de la maçonnerie est merveilleux, et la lumière agitée des torches est reflétée par un mur du plus beau poli. De cette salle partent des conduits étroits qui vont aboutir au dehors ; nous ne pouvions en comprendre la destination, et chacun hasardait ses conjectures ; celle de notre savant nous parut la plus simple et la plus rationnelle : c'est que ces conduits étaient tout simplement des ventilateurs nécessaires aux ouvriers pendant qu'ils travaillaient dans le cœur de la pyramide.
Nous visitâmes ensuite la chambre de la reine, placée presque au-dessus (*) de la première et dans l'axe central de la pyramide ; puis une troisième chambre, beaucoup plus bas et taillée dans le roc. On parvient à cette dernière chambre, ou par un puits, ou par un passage incliné qui va rejoindre l'entrée de la pyramide.
Telle est la disposition de la grande pyramide ; celle des deux autres que nous visitâmes ensuite est analogue ; seulement leur maçonnerie n'offre aucun vide, et les chambres qu'elles renferment sont creusées dans le roc."
(*) lire évidemment "au-dessous"
L'illustration est extraite de l'ouvrage
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