Peter Hodges (? -1980) était un "master builder" expérimenté, qui savait avant tout travailler la pierre.
La théorie sur la construction des pyramides qu'il développe dans son ouvrage How the pyramids were built, edited by Julian Keable, Elements Books, 1989, repose sur le rejet à la fois de l'utilisation des rampes et de la technique de l'accrétion, pour privilégier le recours aux seuls leviers. L'accès au chantier de la Grande Pyramide en cours d'élévation (la pyramide étant construite niveau après niveau) se faisait ainsi non pas avec un quelconque échafaudage, mais à partir de la structure elle-même. C'est ce que Peter Hodges appelle l' "autostatic buildind method" : les ouvriers se tenaient et travaillaient sur la structure elle-même dont la forme se réduisait au fur et mesure qu'elle s'élevait.
Pour étayer son choix et sa préférence, l'auteur s'appuie, en dépit des réticences de nombreux archéologues, sur la référence par excellence : Hérodote et ses fameux "dispositifs faits de courts morceaux de bois", soit "la technique qui fut la seule à pouvoir être utilisée pour pouvoir manipuler des blocs de pierre d'un tel poids et en si grand nombre" (p.19).
La méthode appliquée lors de la construction des pyramides devait être à la fois sûre, rapide, flexible et mise en œuvre avec la seule force humaine : il va sans dire que, pour Peter Hodges, les leviers répondaient à de tels impératifs. Dans la mesure où les Égyptiens ne connaissaient pas la roue, les blocs de pierre n'étaient pas tirés à partir de l'assise en cours, mais hissés de bas en haut.
Les leviers, tels que les conçoit Peter Hodges, avaient un embout recourbé et renforcé par une applique métallique. Le nez de cet embout était glissé sous le bloc à élever, alors que le talon reposait sur un socle dont la hauteur correspondait à la base du bloc à lever. Pour monter un bloc ordinaire d'une assise à l'autre, neuf à dix levées étaient nécessaires. Au terme de chaque levée, effectuée à l'aide de quatre leviers, des tasseaux étaient glissés sous le bloc pour le maintenir à la hauteur atteinte. Une fois parvenu au niveau de l'assise supérieure, le bloc était poussé horizontalement, toujours à l'aide des leviers, pour être stabilisé sur l'assise.
En réponse à l'épineuse question des monolithes de la Chambre du Roi, l'auteur propose la réponse suivante, étonnante de simplicité, mais conforme à la logique adoptée : ces blocs étaient hissés, sur de larges marches provisoires à flanc de pyramide, par des équipes d'une quarantaine d'ouvriers, chacun étant muni d'un levier plus résistant que les leviers habituels. Certes, une telle manœuvre présentait des risques, mais, ajoute Peter Hodges, "Je suis persuadé que les équipes expérimentées, avec la pratique qui était le leur, contrôlaient bien le risque". (p.30)
Ce constat amène l'auteur à une remarque plus globale : les anciens Égyptiens étaient un peuple très conservateur, non adepte des idées par trop nouvelles. Ils n'ont ainsi pas exploité toutes les potentialités de leur savoir-faire de bâtisseurs ; sinon, ils auraient inventé la roue et la poulie. Mais ils utilisaient les leviers, et cet outil rudimentaire mais efficace leur suffisait :"Un levier permettait à un seul homme de faire le travail de douze, si bien que les Égyptiens n'avaient aucune raison de regarder plus loin pour un meilleur système de levage des blocs de pierre." (p.32)
Dans le chapitre de son ouvrage consacré spécifiquement à la construction de la Grande Pyramide (pp.73-84), Peter Hodges précise l'ordre de mise en place des blocs sur chaque assise : tout d'abord, les "primary blocks" aux angles, dont l'ajustement très précis permettait de garder l'inclinaison des faces de la pyramide ; puis les blocs de façade, alignés sur les deux blocs d'angle ; enfin, les blocs de remplissage.
Quant au nombre d'ouvriers employés sur le chantier, voici ce que suggère l'auteur : il suffisait d'un millier d'hommes expérimentés et employés à longueur d'année pour le travail sur la pyramide elle-même. Quant aux autres tâches (travail dans les carrières, transport sur le Nil durant les périodes d'inondation, puis stockage des blocs de pierre au pied de la pyramide), elles étaient confiées à des ouvriers saisonniers.
Dernier point pris ici en considération : la technique de revêtement des pyramides, telle que la conçoit Peter Hodges. Selon lui, deux possibilités se présentent : soit le revêtement a été mis en place par l'ajout sur les degrés de la pyramide de blocs pré-taillés aux bonnes dimensions ; soit les blocs posés en façade de chaque assise, sous forme de degrés, ont été taillés en fin de chantier pour rendre lisses les façades. C'est cette deuxième technique que retient l'auteur. Il la dénomme "trimming method" (méthode de la coupe de bordure ou finition). Elle fut appliquée après que le pyramidion fut mis en place. D'où la conclusion que ces travaux de finition étaient effectués... de haut en bas, en commençant par les arêtes et en complétant par les espaces entre les angles de chaque face, pour respecter la bonne inclinaison de l'édifice.
Les 24 dernières pages de l'ouvrage sont dues à l'architecte Julian Keable qui corrige quelque peu les propositions de Peter Hodges sur la configuration des leviers. Il leur préfère des leviers droits et non plus courbes à leur extrémité.
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