mercredi 10 mars 2010

"Un profond sentiment de vénération en présence de ces constructions merveilleuses, dont les fondateurs même sont presque oubliés" (O.van Ertborn - XIXe s., à propos des pyramides de Guizeh)

Dans la préface de son ouvrage Souvenirs et impressions de voyage en Orient (1867), le géologue belge Octave van Ertborn (1839-1909), spécialiste des puits artésiens, fait preuve d'une modestie intellectuelle exemplaire :"Je n'ai point la prétention, écrit-il, de faire la description des pays que j'ai visités ; d'autres plus habiles que moi l'ont fait avec autant de talent que d'érudition, et il y aurait de la présomption de ma part à chercher à marcher sur leurs traces. Je me suis borné à polir les notes que j'avais ébauchées en voyage il y a trois ans, et s'il m'est arrivé de sortir du cadre que je m'étais tracé, c'est que je me suis laissé entraîner par mes études favorites dans l'espoir d'offrir plus d'intérêt au lecteur et il est probable que j'ai présumé de mes forces, surtout en parlant des Pyramides ; je ne saurais à cet égard réclamer assez d'indulgence de ceux que des études plus approfondies auraient mis à même de me critiquer."
Dans l'extrait ci-dessous de l'ouvrage, l'auteur passe de l'admiration ressentie devant les "monuments éternels" du génie égyptien à la question plutôt technique de l'âge des pyramides, en prenant appui sur les meilleures références en la matière, tout en laissant place à une certaine dose d'incertitude face à "des bases plus ou moins contestables".


"À mesure que nous nous avancions, nous voyions grandir ces monuments éternels du génie de la première Égypte et de la folle ambition des Pharaons ; monuments qui par leur forme gigantesque paraissent écraser la terre de leur masse. Lorsque je fus arrivé à leur base, je fus plus étonné que jamais de leur immensité. Ils étaient là devant moi ces géants de la mort, que quarante siècles ont respectés ; je demeurai longtemps silencieux et pénétré, malgré moi, d'un profond sentiment de vénération en présence de ces constructions merveilleuses, dont les fondateurs même sont presque oubliés, et qui ont survécu à la mémoire de ceux qu'elles devaient immortaliser. (…) Primitivement les pyramides étaient recouvertes d'un revêtement en marbre dont on les a dépouillées, pour en orner les monuments du Caire ; les pierres qui ont servi à la construction forment des marches au nombre de deux cent et neuf. Ces pierres vues de loin, se perdent dans l'immensité de de l'édifice ; mais lorsqu'on en approche, ce sont des quartiers de rocher ; chaque gradin à deux ou trois pieds d'élévation.
(…) Une foule de réflexions se croisaient dans mon esprit à la vue de ces constructions, les plus colossales que l'orgueil de l'homme ait jamais élevées. Que de générations se sont succédé, que de héros, que de rois, que de peuples ont passé à leurs pieds depuis que le monde étonné a vu pour la première fois ces merveilles. Le passage de Chateaubriand me revint en mémoire et je pensai avec lui : "Ce n'est point, par le sentiment de son néant que l'homme a élevé un tel sépulcre, c'est par l'instinct de son immortalité : ce sépulcre n'est point la borne qui annonce la fin d'une carrière, c'est la borne qui marque l'entrée d'une vie sans terme : c'est une espèce de porte éternelle, bâtie sur les confins de l'éternité."
II y a quelque chose de grand dans l'idée, mais de barbare dans l'exécution ; que de vies, que de sueurs il en a coûté pour satisfaire le fol orgueil des Pharaons et les pyramides paraissent, dans leur silencieux isolement répéter aux ambitieux qui se meuvent à leurs pieds, l'inscription qui au dire des auteurs arabes s'y trouvait encore de leur temps : "Moi Souryd, roi, j'ai construit ces pyramides en tel temps ; je les ai terminées en six années ; que celui qui me succédera et croira m'égaler les détruise en six cents ans. I1 est pourtant plus aisé de détruire que d'édifier ; je les ai revêtues d'une étoffe brillante ; qu'il les revêtisse de nattes s'il le peut."
(…) Une foule d'auteurs et de savants se sont occupés des pyramides et ont émis un grand nombre d'opinions. Il en est parmi eux qui en ont fait des monuments sacrés, des gnomons, des observatoires ; d'autres ont cru qu'elles avaient été construites pour préserver certaines parties de la vallée du Nil de l'envahissement des sables. Les recherches les plus récentes ont prouvé que ceux qui en faisaient des monuments funéraires étaient seuls dans le vrai. Il n'est pourtant point impossible que ces monuments n'aient servi plus tard à des observations astronomiques, et il parait indubitable que les données de leur construction reposent sur des observations de ce genre.
(…) Les calculs relatifs à l'âge des pyramides, je dois l'avouer, reposent sur des bases plus ou moins contestables. (…) En prenant les moyennes de tous ces monuments on obtient d'après les mesures de Mahmoud-Bey 2664 ans av. J.-C. pour l'âge moyen des pyramides et d'après les mesures de Bunsen, 2513 ans, nombres qui diffèrent peu entre eux. Mahmoud-Bey obtient par ses calculs 3303, nombre qui diffère sensiblement avec le mien.
Voyons maintenant les résultats obtenus par l'archéologie. Bunsen se basant sur les fragments de Manéthon, sur Erastothène, les papyrus de Turin, les tablettes des rois et d'autres monuments, trouva, avec le général Wyse, après un examen des plus attentifs, qu'il y avait 3555 ans entre Menès et Alexandre-le-Grand, et que la durée des règnes des quatre premières dynasties a été de 570 ans ; de sorte que la quatrième dynastie de Manéthon finit 2985 ans avant Alexandre-le-Grand ou en l'an 3310 avant l'ère chrétienne. Or les deux grandes pyramides de Gizeh ont été construites par Khéops et Khéfren, rois de cette quatrième dynastie, qui n'a duré que 155 ans d'après le même savant. Ce résultat concorde bien avec celui obtenu par Mahmoud-Bey, mais diffère sensiblement avec le mien ; j'ignore où le savant astronome du Caire a puisé les éléments du mouvement de Sirius. qui ont servi de base à ses calculs. Les dates données par le docteur Brugsch, ne diffèrent que d'un siècle avec celles données par Bunsen.
Le tableau suivant tiré du grand ouvrage de Bunsen fera voir que l'angle d'inclinaison de ces monuments est généralement de 52 à 53 degrés, sauf quelques exceptions, pourtant assez remarquables.


Les dates obtenues de cette manière me paraissent manquer un peu de certitude, quoique l'opinion de Mahmoud-Bey, basée sur la singulière coïncidence des angles, soit trop judicieuse pour être rejetée ; des découvertes plus récentes jetèrent probablement un jour nouveau sur la question et l'on peut à présent assigner comme date probable de la construction, l'époque qui s'est écoulée du 23ème jusqu'au 25ème siècle avant notre ère."


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