Le texte ci-dessous est extrait de l'Histoire universelle depuis le commencement du monde jusqu'à présent, traduite de l'anglais d'une société de gens de lettres, tome premier, 1770.
Je n'ai pas cru bon, afin de ne pas alourdir cette présentation, de retenir les descriptions de l'extérieur et de l'intérieur des pyramides, qui, me semble-t-il et après une analyse aussi attentive que possible, ne présentent aucun élément porteur d'un intérêt particulier.
Voici donc ma sélection, où je relève les points suivants :
- pourquoi les pyramides, à la lumière de la théologie des Égyptiens ?
- la pyramide : la "forme de structure la plus durable" (notons au passage le modernisme du qualificatif !)
- l'écho à l'intérieur de la Grande Pyramide
- comment les pierres ont-elles été élevées : Hérodote ("dont les expressions ne sont pas autrement claires") et autres théoriciens face-à-face
- origine des pierres ayant servi à la construction de la Grande Pyramide
- les pyramides : des "bâtiments magnifiques au-delà de toute expression"
- honneur aux architectes !
Les bâtiments et les autres ouvrages des anciens Égyptiens, qui ont fait depuis tant de siècles l'étonnement de tous ceux qui les ont vus, méritent une considération particulière.
La première recherche que font ceux qui souhaitent d'être au fait des raretés de cette contrée, regarde les pyramides, ces prodigieuses masses que les Anciens ont eu raison de ranger au nombre des Merveilles du Monde. Il y en a plusieurs dans différentes parties de l'Égypte, et particulièrement dans la Haute-Égypte (…) ; mais celles dont les voyageurs ont fait plus particulièrement des descriptions sont à l'Occident du Nil, pas loin de Jizah, bâties au même endroit où était autrefois Memphis. Le nombre en monte environ à vingt, dont trois, fort peu éloignées les unes des autres, sont les plus remarquables, et précisément les mêmes que celles dont nous avons tant de descriptions. Les autres sont répandues dans le désert de Libye, et ne sont que des espèces de modèles de celles dont nous venons de parler, quoique quelques-unes d'elles soient assez considérables, particulièrement une qui est située au Sud-Ouest des premières, environ vingt milles plus avant dans le désert, et à laquelle les écrivains anciens et modernes n'ont point paru faire attention, quoiqu'elle n'en fût pas moins digne qu'aucune de celles qui ont été le plus vantées.
(…) Que si nous voulons expliquer pourquoi les rois d'Égypte ont employé des sommes si prodigieuses à la construction de ces pyramides, (…) nous croyons devoir assigner une cause (…) noble, tirée de la théologie des Égyptiens, qui ne croyaient pas seulement la résurrection, mais qu'aussi longtemps que le corps subsistait, l'âme y était comme jointe et ce dernier sentiment était aussi celui des Stoïciens. De-là le soin excessif que se donnaient les Égyptiens pour empêcher que les corps ne se corrompissent, aussi bien que les grandes dépenses qu'ils faisaient pour procurer à leurs corps des sépulcres convenables (...).
La raison qui les portait à faire, dans la construction de ces monuments, si souvent usage de la figure pyramidale (car ils ont quelquefois fait exception à cette espèce de règle) semble, pour laisser là plusieurs imaginations creuses, avoir été parce que c'est la forme de structure la plus durable ; car, comme cette figure va toujours en diminuant jusques au sommet, l'ouvrage ne s'affaisse pas sous son propre poids, ni ne souffre pas tant des injures de l'air que d'autres bâtiments. Peut-être aussi qu'ils ont voulu représenter par-là quelques-uns de leurs dieux, les pyramides et les obélisques, qui ne sont qu'une moindre forme de pyramides, ayant été anciennement vénérés par les Égyptiens et par d'autres païens comme des images de différentes divinités.
[Suit une longue description, empruntée à divers auteurs, des trois pyramides de Guizeh. J'en retiens uniquement ce détail :] Voilà tout ce qu'il y a à voir dans la première pyramide. La seule chose qui nous reste à observer est l'écho, dont Plutarque (1) fait mention, et qui, suivant cet auteur, répète le même son quatre ou cinq fois, mais un voyageur moderne assure que la répétition s'en fait fort distinctement jusqu'à dix ou douze fois : effet que nous n'aurons pas grand' peine à expliquer, si nous considérons l'entrée étroite de la pyramide, et la longueur des deux galeries, qui sont comme sur une même ligne et conduisent toutes vers le milieu de la pyramide ; car le son étant poussé et porté dans ces passages unis, comme en autant de tuyaux, sans trouver de sortie, revient et frappe l'oreille à mesure qu'il arrive de l'endroit où il a été réfléchi.
(…) On a fait force recherches, et eu recours à bien des conjectures, pour savoir comment ces prodigieuses masses ont été formées, et par quel art les pierres, particulièrement de la première pyramide, dont la grandeur est si prodigieuse, ont pu être élevées à une telle hauteur. Hérodote, dont les expressions sur ce sujet ne sont pas autrement claires, suppose qu'après avoir mis la première rangée, les ouvriers ont placé d'autres pierres sur cette rangée par le moyen de quelques machines faites de bois ; que quand ces dernières pierres étaient ainsi élevées, on en prenait quelques-unes, dont on formait une troisième rangée par le secours d'une autre machine placée sur le premier degré, y ayant autant de machines que de rangs de pierres ; ou, autrement, il se pourrait qu'il n'y eût eu qu'une seule machine, qu'ils transportaient dans les endroits où ils en avaient besoin. Le même historien ajoute que les parties les plus hautes, et ainsi de suite, ont été achevées avant les plus basses et les plus proches de terre.
Diodore est de sentiment que les pyramides ont été construites par le moyen de quelques levées, que les Égyptiens, à ce qu'il dit, prétendaient avoir été faites de sel et de nitre, mais qui dans la suite ont été fondues par l'eau du Nil.
Pline est sur ce point d'accord avec Diodore, mais il ajoute au rapport de celui-ci que d'autres étaient d'opinion qu'on avait fait des ponts de briques, et ensuite de ces briques, l'ouvrage étant fini, des maisons particulières ; parce qu'il n'est pas possible de concevoir que le Nil, qui est beaucoup plus bas, ait pu emporter ces ponts.
Greaves ne croit pas que la chose se soit faite d'aucune de ces manières, mais il conçoit qu'ils ont d'abord bâti une grande tour au milieu, aux côtés de laquelle ils ont appliqué le reste de l'ouvrage, pièce à pièce, en diminuant toujours à proportion de la hauteur : morceau d'architecture très difficile, même suivant le plus aisé de ces projets.
Si ce que les Anciens racontent est vrai, savoir que les pierres, qui ont été employées à la construction de ces pyramides, ont été tirées des carrières de certaines montagnes d'Arabie, ou de celles de Thébaïde ou d'Éthiopie, nous n'avons pas lieu d'être surpris de ce qu'on assure que Chéops employa 100.000 hommes à ce travail (...). Mais quelques voyageurs modernes ayant observé que ces bâtiments ne sont pas faits de marbre, mais d'une pierre blanchâtre et fort dure, sont plutôt de sentiment que cette pierre a été prise du rocher même sur lequel la pyramide est appuyée. L'opinion qui tient un juste milieu entre ces deux extrémités nous paraît la meilleure et nous croyons que le rocher dont il s'agit a certainement fourni une grande partie des matériaux aux architectes, mais que le marbre des appartements intérieurs est certainement venu d'ailleurs.
Vansleb s'imagine que la plus grande pyramide n'est autre chose qu'un rocher, à qui on a donné cette figure, et qu'on a couvert d'une muraille de pierre : ouvrage, à notre avis, pour le moins aussi difficile que si on le formait uniquement de pierres tirées de quelque carrière. (…) Quelques écrivains modernes pensent qu'il n'y a aucune beauté dans ces bâtiments, hormis leur prodigieuse grandeur, quoiqu'on ait pu les mettre autrefois au rang des Merveilles du Monde, lorsqu'ils étaient, à ce qu'on prétend, garnis de marbre, avant que les derniers rois d'Égypte l'eussent fait enlever pour en orner leurs palais, [ce] qui est une anecdote dont la vérité ne nous paraît pas assez certaine pour oser en être les garants. Cependant, un voyageur distingué par son génie juge que les pyramides, telles qu'elles sont à présent, sont des ouvrages dignes de la magnificence des anciens rois égyptiens ; ajoutant qu'il n'y a pas à présent de prince au monde (sans faire tort à aucun) qui soit en état de faire construire un pareil édifice.
D'anciens écrivains disent que les pyramides étaient des bâtiments magnifiques au-delà de toute expression, et chacune en particulier comparable à plusieurs grands édifices de la Grèce joints ensemble ; qu'elles surpassaient tous les autres ouvrages de l'Égypte, non seulement en fait de grandeur et de dépense, mais aussi à l'égard de l'industrie et de l'habileté des ouvriers. Les Égyptiens eux-mêmes étaient dans l'idée (sans contredit très raisonnable) que les architectes qui ont exécuté l'entreprise méritent plus d'admiration que les rois qui ont dépensé des sommes immenses pour en faciliter l'exécution, car les premiers y ont employé leur adresse et leurs connaissances, et les autres n'y ont mis que des richesses qui leur étaient venues par héritage et par les travaux d'autrui.
(1) "… la voix se meut et vient frapper des corps, par lesquels elle est réfléchie, comme une balle l'est par un mur. Aussi, dans les pyramides d'Égypte, la voix est tellement réfléchie, qu'elle s'y répète jusqu'à quatre et cinq fois." (Plutarque, Œuvres morales, vol. 4)
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