Cette Lettre est entièrement consacrée à une description des "fameuses pyramides d'Égypte, en particulier de la plus grande, de son intérieur et des secrets qu'elle renferme".
Elle débute par des considérations générales sur les pyramides, notamment sur le but pour lequel elles ont été construites et sur l'identité de leurs auteurs.
Sur ce second point, de Maillet s'attarde sur deux "traditions" liées à la construction de la troisième pyramide, pour affirmer sans ambages qu'il ne leur donne aucun crédit. On n'en lira pas moins avec intérêt le récit de cette "fameuse beauté" dont le Prince s'éprit à la seule vue de l'une de ses mules.
Charles Perrault se serait-il donc intéressé lui aussi à l'histoire des pyramides pour y trouver l'inspiration de sa célèbre Cendrillon à la pantoufle de vair ?
"Il n'est pas encore temps, Monsieur (*), de sortir de la basse Égypte. Les environs du Caire vont nous offrir des spectacles qui ne sont ni moins grands, ni moins dignes de votre curiosité que tout ce que vous avez vu jusqu'ici. Je parle de ces fameuses pyramides qui firent l'admiration de toute l'antiquité, et qui ont été mises au nombre des sept merveilles que l'on a comptées dans l'Univers. Je sais qu'il s'est trouvé, et qu'il se trouve encore aujourd'hui, même parmi les personnes les plus éclairées, des gens qui ne regardent ces monuments célèbres que comme des masses informes de pierres entassées les unes sur les autres sans beaucoup d'art, capables d'étonner peut-être un vulgaire ignorant qui ne manque jamais de se laisser prévenir par les choses grandes, de quelque nature qu'elles puissent être, et de faire admirer la puissance, ou même la folie des monarques qui épuisèrent leurs trésors pour la construction de ces ouvrages prodigieux, mais peu propres en effet à donner une grande idée du goût et de l'habileté de ceux qui présidèrent au dessein de ces dépenses inutiles et insensées.
Pour moi, qui ai vu de près ces monuments superbes de l'ancienne grandeur qui rendit autrefois l'Égypte si célèbre, qui non content d'en parcourir les dehors, ai voulu visiter avec soin les coins et les recoins les plus cachés de leur intérieur, j'avoue que je n'ai pu m'empêcher d'être frappé de la magnificence et de la grandeur qui éclatent de toutes parts dans ces édifices si vantés, et que je n'ai reconnu qu'avec admiration l'habileté des architectes qui présidèrent à l'exécution de cette grande entreprise. Peut-être en dis-je trop ; peut-être sur cet aveu m'accuserez-vous de me laisser aisément prévenir en faveur de tout ce qu'un climat éloigné peut offrir d'extraordinaire à la curiosité d'un étranger. Je veux bien vous en faire le juge.
La description que je vous envoie vous fera peut-être convenir que je n'outre rien ; j'espère même qu'elle ne vous donnera pas une moindre idée de ces monuments si anciens et si fameux que celle que j'en ai conçue moi même.
Cependant, avant que d'entrer sur ce sujet dans un détail, dont j'ose vous prédire d'avance que vous me saurez quelque gré, permettez-moi, Monsieur, de vous faire observer d'abord quel fut le but de ces monarques puissants qui présidèrent à la construction des pyramides. En effet, on ne peut juger sainement de quelque ouvrage que ce soit si l'on ne sait premièrement dans quelles vues le projet en a été conçu, et quel but on s'est proposé lorsqu'on a entrepris de l'exécuter. Bien des gens ont regardé les pyramides comme l'ouvrage d'une vanité outrée, d'une présomption aveugle de ces anciens rois de l'Égypte, qui cherchant à éterniser leur nom, crurent trouver dans la durée de ces édifices, qu'ils jugèrent devoir passer celle des temps mêmes, cette immortalité à laquelle ils aspiraient. Sur ce pied-là, ils ont traité cette entreprise d'insensée, persuadés que la beauté, l'élégance et le goût qui règnent dans quelque ouvrage que ce puisse être sont plus capables de conserver à la postérité la mémoire du Prince qui en a formé le dessein, et celle de l'ouvrier qui l'a exécuté, que la grandeur la plus démesurée d'un colosse, dans laquelle on ne remarque ni délicatesse, ni agrément. En cela je suis de leur sentiment. Mais ces monarques si sages et si éclairés qui, lorsqu'il s'agissait de rendre leurs États florissants, et de procurer le bonheur de leurs sujets, savaient former, comme vous l'avez vu, des desseins si grands, si utiles, si magnifiques, dans ce qui concernait les intérêts de leur réputation et de leur gloire auraient-ils eu des vues si bornées et si imparfaites ?
Non, Monsieur, et le peu d'estime que quelques savants ont paru avoir pour les pyramides d'Égypte vient de ce qu'ils en ont ignoré le secret, et de ce qu'ils n'ont pas été instruits du motif dans lequel elles avaient été bâties.
La passion favorite des anciens Égyptiens était de se faire dès leur vivant des sépultures, où après leur mort leurs corps fussent à couvert, non seulement de la corruption à laquelle nous sommes tous condamnés par la nature, mais encore de toutes les entreprises que la malignité et la témérité des hommes auraient pu former contre ces asiles inviolables. La suite de mes lettres, et surtout ce que j'ai à vous dire de la religion des anciens Égyptiens vous instruira des raisons sur lesquelles cette inclination était fondée. Elle n'était pas particulière au peuple. Elle s'étendait jusqu'aux souverains qui, plus encore que leurs sujets, étaient intéressés à ce qu'après leur mort leurs corps ne fussent exposés à aucune insulte. Les Grands et les Seigneurs de leur Cour, les personnes qui partageaient leur estime ou leur faveur, avaient les mêmes intérêts. Aussi peut-on dire que parmi cette nation, chacun cherchait les moyens les plus sûrs pour se conserver après sa mort à proportion des honneurs et des plaisirs que son rang, ses richesses, sa dignité et son emploi lui procuraient pendant la vie.
De là il est aisé de concevoir que ces fameuses pyramides bâties par quelques anciens rois d'Égypte n'avaient été élevées que pour leur servir de tombeaux et pour être la sépulture des personnes qui leur étaient chères. On jugera de leur magnificence par ce que j'en dirai dans la suite. À l'égard du dessein qu'ils avaient d'y mettre leurs corps à l'abri de toute insulte, je mets en fait qu'ils ne pouvaient imaginer de moyens plus sûrs pour y réussir que ceux qu'ils avaient employés dans la construction de ces monuments célèbres. La description que je donnerai de l'intérieur de la Grande Pyramide justifiera ce que j'avance. Peut-être contribuera-t-elle à faire revenir certaines personnes du faux préjugé qu'elles ont au désavantage de ces ouvrages si vantés.
Il n'est pas aussi aisé de vous donner des lumières certaines sur l'auteur des pyramides que sur le dessein qu'on a eu en les élevant. Les historiens romains, qui ont parlé de ces miracles de l'art, vivaient dans des siècles si reculés de ceux auxquels ils avaient été construits, que le nom des grands rois qui exécutèrent le dessein de ces célèbres ouvrages était déjà parfaitement ignoré. Ils nomment cependant au nombre de ces rois un certain Psammetichus, sans rapporter aucune particularité ni du temps de son règne, ni de ses actions. Ce nom même ne fut jamais égyptien ; il est grec ou latin ; ou du moins, il faut dire qu'il a été accommodé à ces langues.
La description que je vous envoie vous fera peut-être convenir que je n'outre rien ; j'espère même qu'elle ne vous donnera pas une moindre idée de ces monuments si anciens et si fameux que celle que j'en ai conçue moi même.
Cependant, avant que d'entrer sur ce sujet dans un détail, dont j'ose vous prédire d'avance que vous me saurez quelque gré, permettez-moi, Monsieur, de vous faire observer d'abord quel fut le but de ces monarques puissants qui présidèrent à la construction des pyramides. En effet, on ne peut juger sainement de quelque ouvrage que ce soit si l'on ne sait premièrement dans quelles vues le projet en a été conçu, et quel but on s'est proposé lorsqu'on a entrepris de l'exécuter. Bien des gens ont regardé les pyramides comme l'ouvrage d'une vanité outrée, d'une présomption aveugle de ces anciens rois de l'Égypte, qui cherchant à éterniser leur nom, crurent trouver dans la durée de ces édifices, qu'ils jugèrent devoir passer celle des temps mêmes, cette immortalité à laquelle ils aspiraient. Sur ce pied-là, ils ont traité cette entreprise d'insensée, persuadés que la beauté, l'élégance et le goût qui règnent dans quelque ouvrage que ce puisse être sont plus capables de conserver à la postérité la mémoire du Prince qui en a formé le dessein, et celle de l'ouvrier qui l'a exécuté, que la grandeur la plus démesurée d'un colosse, dans laquelle on ne remarque ni délicatesse, ni agrément. En cela je suis de leur sentiment. Mais ces monarques si sages et si éclairés qui, lorsqu'il s'agissait de rendre leurs États florissants, et de procurer le bonheur de leurs sujets, savaient former, comme vous l'avez vu, des desseins si grands, si utiles, si magnifiques, dans ce qui concernait les intérêts de leur réputation et de leur gloire auraient-ils eu des vues si bornées et si imparfaites ?
Non, Monsieur, et le peu d'estime que quelques savants ont paru avoir pour les pyramides d'Égypte vient de ce qu'ils en ont ignoré le secret, et de ce qu'ils n'ont pas été instruits du motif dans lequel elles avaient été bâties.
La passion favorite des anciens Égyptiens était de se faire dès leur vivant des sépultures, où après leur mort leurs corps fussent à couvert, non seulement de la corruption à laquelle nous sommes tous condamnés par la nature, mais encore de toutes les entreprises que la malignité et la témérité des hommes auraient pu former contre ces asiles inviolables. La suite de mes lettres, et surtout ce que j'ai à vous dire de la religion des anciens Égyptiens vous instruira des raisons sur lesquelles cette inclination était fondée. Elle n'était pas particulière au peuple. Elle s'étendait jusqu'aux souverains qui, plus encore que leurs sujets, étaient intéressés à ce qu'après leur mort leurs corps ne fussent exposés à aucune insulte. Les Grands et les Seigneurs de leur Cour, les personnes qui partageaient leur estime ou leur faveur, avaient les mêmes intérêts. Aussi peut-on dire que parmi cette nation, chacun cherchait les moyens les plus sûrs pour se conserver après sa mort à proportion des honneurs et des plaisirs que son rang, ses richesses, sa dignité et son emploi lui procuraient pendant la vie.
De là il est aisé de concevoir que ces fameuses pyramides bâties par quelques anciens rois d'Égypte n'avaient été élevées que pour leur servir de tombeaux et pour être la sépulture des personnes qui leur étaient chères. On jugera de leur magnificence par ce que j'en dirai dans la suite. À l'égard du dessein qu'ils avaient d'y mettre leurs corps à l'abri de toute insulte, je mets en fait qu'ils ne pouvaient imaginer de moyens plus sûrs pour y réussir que ceux qu'ils avaient employés dans la construction de ces monuments célèbres. La description que je donnerai de l'intérieur de la Grande Pyramide justifiera ce que j'avance. Peut-être contribuera-t-elle à faire revenir certaines personnes du faux préjugé qu'elles ont au désavantage de ces ouvrages si vantés.
Il n'est pas aussi aisé de vous donner des lumières certaines sur l'auteur des pyramides que sur le dessein qu'on a eu en les élevant. Les historiens romains, qui ont parlé de ces miracles de l'art, vivaient dans des siècles si reculés de ceux auxquels ils avaient été construits, que le nom des grands rois qui exécutèrent le dessein de ces célèbres ouvrages était déjà parfaitement ignoré. Ils nomment cependant au nombre de ces rois un certain Psammetichus, sans rapporter aucune particularité ni du temps de son règne, ni de ses actions. Ce nom même ne fut jamais égyptien ; il est grec ou latin ; ou du moins, il faut dire qu'il a été accommodé à ces langues.
Quelques-uns ont attribué à Mercure les trois grandes pyramides, dont j'ai résolu de vous entretenir dans cette lettre, comme si la construction d'une seule n'eût pas suffi pour éterniser la mémoire d'un monarque, et pour épuiser les richesses d'un long règne. On prétend, et c'est une tradition constante parmi les Arabes, que ce fut ce fameux Hermès qui les fit bâtir. Si cette opinion avait quelque fondement, ne pourrait-on point dire que ce fut l'exécution de ce grand dessein qui le fit surnommer Trismégiste, ou trois fois grand ? D'autres pensent que la première était destinée à servir de tombeau à ce pharaon qui, en poursuivant les Israélites, fut englouti dans la mer Rouge avec toute son armée.
Vous savez qu'on attribue la construction de la troisième à cette fameuse beauté qui, pour prix de ses faveurs, exigeait de chacun de ses amants une pierre de cette pyramide. Quelques anciens auteurs rapportent cette histoire autrement. Ils disent que cette courtisane, qui par quelques-uns est appelée Doricha, et à qui d'autres donnent le nom de Rhodope, faisait son séjour dans une ville d'Égypte assez éloignée de la capitale, et où elle s'était attiré par ses charmes le cœur de toute la jeunesse des environs. Elle était un jour au bain, ajoutent-ils, lorsqu'un aigle fondant sur une fille qui la servait et qui gardait ses habits, lui enleva une des mules de sa maîtresse. De là cet oiseau prit son vol vers Memphis, où il arriva dans le temps que le roi rendait la justice à son peuple ; et après avoir voltigé quelque temps au-dessus de la tête de ce prince, il laissa enfin tomber doucement cette chaussure sur la robe du monarque. Ce roi, dont l'histoire ne rapporte point le nom, fut aussi surpris de cette aventure qu'il devait l'être naturellement. L'attention avec laquelle il considéra cette mule, qui semblait lui être venue du ciel, lui inspira bientôt d'autres sentiments. Il en admira la magnificence et la délicatesse ; ensuite, à force d'admirer la mule, il souhaita avec passion de voir le pied auquel elle avait servi de chaussure. Ces premiers mouvements furent suivis d'une véritable inclination pour la personne à qui cette mule appartenait. Ce prince dépêcha des courriers dans tout son royaume, pour en apprendre des nouvelles. On découvrit enfin cette belle fille, qui fut aussitôt conduite à la Cour. Le roi l'épousa, et après sa mort, ce prince lui destina pour tombeau cette pyramide qu'il lui fit élever comme un témoignage éternel de sa tendresse.
Je crois que vous me permettrez sans peine de ne pas ajouter plus de foi à cette tradition qu'à la première. Il fallait que les rois de ces anciens temps fussent bien aisés à enflammer pour concevoir une véritable passion à la vue seule d'une mule. Mais on peut dire aussi que les amants de ce temps-là devaient être bien généreux pour faire des présents tels qu'en exigeait, dit-on, cette courtisane. Il ne s'agissait que d'une pierre, il est vrai ; cependant, si on considère que cette pierre devait être de marbre granité telle que toutes celles dont la pyramide est composée, et qu'il fallait la faire venir jusque-là de la haute Égypte, c'est-à-dire de près de deux cens lieues qu'on compte depuis le Caire jusqu'à la carrière d'où ces marbres étaient tirés, on conviendra, je pense, aisément avec moi que peu de personnes étaient en état de faire des présents si considérables. En tout cas, si l'on veut que l'histoire soit réelle, à considérer le nombre des pierres qui forment cette pyramide, on ne pourra s'empêcher de reconnaître que cette beauté si précieuse n'était certainement pas des plus rares. Vous sentez jusqu'où pourrait m'emporter cette réflexion ; je reviens à la matière que je me suis d'abord proposée."
Vous savez qu'on attribue la construction de la troisième à cette fameuse beauté qui, pour prix de ses faveurs, exigeait de chacun de ses amants une pierre de cette pyramide. Quelques anciens auteurs rapportent cette histoire autrement. Ils disent que cette courtisane, qui par quelques-uns est appelée Doricha, et à qui d'autres donnent le nom de Rhodope, faisait son séjour dans une ville d'Égypte assez éloignée de la capitale, et où elle s'était attiré par ses charmes le cœur de toute la jeunesse des environs. Elle était un jour au bain, ajoutent-ils, lorsqu'un aigle fondant sur une fille qui la servait et qui gardait ses habits, lui enleva une des mules de sa maîtresse. De là cet oiseau prit son vol vers Memphis, où il arriva dans le temps que le roi rendait la justice à son peuple ; et après avoir voltigé quelque temps au-dessus de la tête de ce prince, il laissa enfin tomber doucement cette chaussure sur la robe du monarque. Ce roi, dont l'histoire ne rapporte point le nom, fut aussi surpris de cette aventure qu'il devait l'être naturellement. L'attention avec laquelle il considéra cette mule, qui semblait lui être venue du ciel, lui inspira bientôt d'autres sentiments. Il en admira la magnificence et la délicatesse ; ensuite, à force d'admirer la mule, il souhaita avec passion de voir le pied auquel elle avait servi de chaussure. Ces premiers mouvements furent suivis d'une véritable inclination pour la personne à qui cette mule appartenait. Ce prince dépêcha des courriers dans tout son royaume, pour en apprendre des nouvelles. On découvrit enfin cette belle fille, qui fut aussitôt conduite à la Cour. Le roi l'épousa, et après sa mort, ce prince lui destina pour tombeau cette pyramide qu'il lui fit élever comme un témoignage éternel de sa tendresse.
Je crois que vous me permettrez sans peine de ne pas ajouter plus de foi à cette tradition qu'à la première. Il fallait que les rois de ces anciens temps fussent bien aisés à enflammer pour concevoir une véritable passion à la vue seule d'une mule. Mais on peut dire aussi que les amants de ce temps-là devaient être bien généreux pour faire des présents tels qu'en exigeait, dit-on, cette courtisane. Il ne s'agissait que d'une pierre, il est vrai ; cependant, si on considère que cette pierre devait être de marbre granité telle que toutes celles dont la pyramide est composée, et qu'il fallait la faire venir jusque-là de la haute Égypte, c'est-à-dire de près de deux cens lieues qu'on compte depuis le Caire jusqu'à la carrière d'où ces marbres étaient tirés, on conviendra, je pense, aisément avec moi que peu de personnes étaient en état de faire des présents si considérables. En tout cas, si l'on veut que l'histoire soit réelle, à considérer le nombre des pierres qui forment cette pyramide, on ne pourra s'empêcher de reconnaître que cette beauté si précieuse n'était certainement pas des plus rares. Vous sentez jusqu'où pourrait m'emporter cette réflexion ; je reviens à la matière que je me suis d'abord proposée."
A suivre : troisième partie
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