illustration extraite de l'ouvrage d'Antoine Marie Chenavard |
Au cours d'un voyage qu'ils firent, en 1843-1844, en Grèce et au Levant, les architectes Antoine Marie Chenavard (1787-1883) et Jean-Michel Dalgabio (1788-1852 ou 1854), accompagnés par le peintre Étienne Rey (1789-1867), firent halte au pied des pyramides. La relation de ce périple a été faite par A. M. Chenavard dans l'ouvrage Voyage en Grèce et dans le Levant, édité en 1849.
Le regard des deux techniciens de la construction, tel qu'on le perçoit à travers les propos du rédacteur, est assurément digne d'intérêt et riche d'enseignements. La lecture qu'ont ces architectes des pyramides porte leur attention vers certains détails techniques que prend en considération tout vrai bâtisseur qui respecte les règles de son art et comprend le langage de la pierre : nature du mortier utilisé, configuration des assises de la Grande Pyramide, la pierre de revêtement formant "boutisse" avec le corps du monument (autrement dit : "en prise dans le massif du monument")...
Dans la lignée de cette analyse critique des techniques utilisées par les bâtisseurs égyptiens, Hérodote et Diodore de Sicile sont renvoyés dos à dos, leurs théories respectives (machines en bois et terrasses en terre) étant tributaires d'un "conte populaire" peu réaliste. On leur préférera donc "quelque moyen plus simple" : des treuils par exemple...
Par ailleurs, Fialin de Persigny (il n'est pas nommé expressément, mais il s'agit bien de lui) est lui aussi renvoyé à ses chères études : au lieu de s'inviter au "conseil des prêtres", il aurait mieux fait de penser à des "moyens bien plus naturels", pour se protéger de l'invasion des sables du désert, que des pyramides colossales dont la destination n'était autre que funéraire.
Le regard des deux techniciens de la construction, tel qu'on le perçoit à travers les propos du rédacteur, est assurément digne d'intérêt et riche d'enseignements. La lecture qu'ont ces architectes des pyramides porte leur attention vers certains détails techniques que prend en considération tout vrai bâtisseur qui respecte les règles de son art et comprend le langage de la pierre : nature du mortier utilisé, configuration des assises de la Grande Pyramide, la pierre de revêtement formant "boutisse" avec le corps du monument (autrement dit : "en prise dans le massif du monument")...
Dans la lignée de cette analyse critique des techniques utilisées par les bâtisseurs égyptiens, Hérodote et Diodore de Sicile sont renvoyés dos à dos, leurs théories respectives (machines en bois et terrasses en terre) étant tributaires d'un "conte populaire" peu réaliste. On leur préférera donc "quelque moyen plus simple" : des treuils par exemple...
Par ailleurs, Fialin de Persigny (il n'est pas nommé expressément, mais il s'agit bien de lui) est lui aussi renvoyé à ses chères études : au lieu de s'inviter au "conseil des prêtres", il aurait mieux fait de penser à des "moyens bien plus naturels", pour se protéger de l'invasion des sables du désert, que des pyramides colossales dont la destination n'était autre que funéraire.
Le sommet de la pyramide [celle de Khéops] a été tronqué ; il en résulte aujourd'hui une plate-forme de dix mètres d'étendue sur chaque face, et le milieu est encore occupé par une portion de l'assise qui en continuait l'élévation. Sa hauteur primitive devait être de cent quarante-quatre mètres.
On trouve, dans la hauteur du monument, deux cent trois assises qui varient de hauteur entre elles depuis soixante et dix centimètres jusqu'à un mètre cinquante centimètres, non point en suivant une diminution progressive de la base au sommet, mais indifféremment tantôt petites et tantôt grandes. L'assise de la plate-forme a soixante et dix centimètres de hauteur, et les blocs qui s'élèvent encore du milieu, appartenant à une assise supérieure, ont un mètre quinze centimètres.
Ce monument, vu de loin, présente des lignes droites et des faces régulières ; vu de près, on reconnaît que toute l'enveloppe en a été enlevée, ce qui permet de juger de la structure intérieure.
La masse de la pyramide est en totalité composée de pierres de taille sans aucun blocage ; on peut en juger par la section horizontale du sommet. Leurs lits sont assez bien dressés et les blocs sont posés sur une faible couche de mortier composé de chaux et de briques pilées. Les faces verticales des blocs sont taillées avec moins de précision et souvent la largeur irrégulière des joints est comblée par du mortier ; c'est ce que nous avons pu reconnaître dans les ouvertures qui se rencontrent en gravissant la pyramide.
Toute la pierre est calcaire ; elle paraît être de la nature de celle de Tournus ; elle en a la couleur et la dureté ; c'est la même pierre que celle du rocher sur lequel la pyramide a été construite et qui semble lui former une sorte de piédestal. Il est évident que le rocher a été exploité dans une grande étendue et qu'il a été employé à la construction des Pyramides ainsi que la pierre provenant des carrières de Torrah, dans la montagne arabique, sur la rive gauche du Nil, à l'opposite de Memphis.
Cette pyramide était revêtue avec de la même pierre ; sa surface était lisse et pentive, comme il se voit encore dans une partie de la deuxième pyramide, et non par degrés comme on l'a figuré dans quelques restaurations ; l'inégalité dans la hauteur des assises rend suffisamment compte de la nécessité de cette disposition. La pierre du revêtement formait boutisse avec le corps du monument et n'était pas simplement posée dans le vide triangulaire que laissait chaque degré. Cette structure se remarque dans la troisième pyramide ; on y voit des assises de revêtement en prise dans le massif du monument.
L'entrée de la grande pyramide n'est pas la partie la moins remarquable de cet édifice ; quatre blocs de quatre mètres de longueur sur un mètre de hauteur, inclinés et s'arcboutant deux à deux, sont placés en décharge au-dessus du linteau de l'ouverture.
Au volume de ces blocs, à la hauteur où ils sont placés, on croit voir l'œuvre des géants.
Cette ouverture n'était point visible, lorsque la pyramide était encore revêtue de ses parements ; c'est sous le calife Mamoun qu'elle fut découverte, lorsque les blocs du revêtement furent enlevés pour être employés à la construction des édifices du Kaire.
Nous y pénétrâmes à l'aide de flambeaux, et tantôt retenus, tantôt entraînés par les Arabes, nous parcourûmes ces longues galeries d'abord pentives, puis ascendantes ; leur déclivité est si grande qu'elles seraient impraticables sans les entailles qu'on a creusées dans le sol. Les murs, les plafonds, le sol de ces galeries sont formés les uns avec du granit, les autres avec de grands blocs de pierre, polie par le frottement.
À l'extrémité de la galerie ascendante est la chambre du Roi, construite en granit ; son plafond horizontal est composé de neuf blocs ; le poids de chacun d'eux ne peut être moindre de dix mille kilogrammes.
Au-dessus de la chambre du Roi, on a découvert cinq pièces de même dimension, mais très basses et placées les unes au-dessus des autres. On a acquis la certitude que, depuis leur construction, elles n'avaient jamais été ouvertes et qu'elles n'avaient rien contenu.
On y a fait une découverte d'une grande importance : ce sont des marques hiéroglyphiques tracées en rouge au pinceau, sans doute par des ouvriers. Le déchiffrement de ces inscriptions a fourni le nom de Schoufou, le même que le Chéops d'Hérodote.
L'entrée de cette chambre était fermée par quatre cloisons successives, en pierre de quarante centimètres d'épaisseur, enchâssées et contenues dans des rainures, et que l'on ne pouvait déplacer qu'en les brisant. Quelle puissance surhumaine a fait de tels ouvrages ! À leur aspect, l'esprit demeure confondu ; c'est à bon droit qu'on a donné à ces monuments le nom de Merveilles du monde.
On a souvent agité la question de savoir par quels moyens les Égyptiens ont élevé à une aussi grande hauteur cette immense quantité de blocs de cent cinquante pieds cubes pour la plupart.
Au rapport de Diodore de Sicile, les Égyptiens, n'ayant pas encore l'art d'échafauder, s'étaient servi de terrasses en terre pour les élever ; mais ce moyen eût été aussi étonnant que la construction de la pyramide elle-même. On ne peut le supposer d'un peuple dont les monuments attestent de si hautes connaissances en dynamique. D'ailleurs, n'avaient-ils pas déjà transporté et dressé devant les portes de leurs temples des monolithes de vingt mètres de hauteur.
Hérodote fait un récit plus vraisemblable ; il rapporte que des machines en bois, de petite dimension, étaient placées sur les gradins que formait la retraite de chaque bloc les uns au-dessus des autres, et que, chaque pierre, pour être élevée depuis la base jusqu'à la plus grande hauteur, était saisie par chacune de ces machines qui, tour à tour, la transportait du sol sur le premier gradin, du premier gradin sur le second, du second sur le troisième, et ainsi de suite. Mais n'est-ce point là un conte populaire auquel Hérodote se sera confié, comme Diodore de Sicile touchant les moyens qu'il rapporte ? Ces deux historiens n'étaient sans doute, ni l'un ni l'autre, en état de les discuter. Ne pourrait-on pas imaginer quelque moyen plus simple, tel que des treuils placés sur la partie la plus élevée de la construction de la pyramide, à l'aide desquels les blocs pouvaient être élevés depuis la base, en les faisant glisser sur le plan incliné, soit que le revêtement fut terminé à mesure, ce qui est vraisemblable, soit que les angles saillants fussent abattus après coup ?
Suivant Hérodote, Chéphren, frère de Chéops, qui régnait en 1172, avant Jésus-Christ, fut l'auteur de la deuxième pyramide ; celle-ci a cent trente-cinq mètres d'élévation ; son parement lisse et poli existe encore dans le quart supérieur ; elle a de plus conservé sa sommité, tandis que la grande pyramide a été tronquée de huit mètres.
La troisième pyramide, haute d'environ cinquante-trois mètres, était revêtue de granit oriental ou pierre d'Éthiopie rouge foncé, mêlé de parties noires. Il existe plusieurs versions sur les auteurs de celle-ci.
Diodore de Sicile l'attribue à Mycérinus, fils de Chéops. "Son nom, dit-il, est écrit sur la face qui regarde le septentrion," et ce qui confirme cette opinion, c'est la découverte que l'on a faite, dans l'une des salles de cette pyramide, d'un fragment qui a dû faire partie du cercueil en bois de sycomore qui y était renfermé. Sur ce fragment se trouve un cartouche hiéroglyphique dont l'interprétation a fourni le nom de Menkaré, le Mycérinus des auteurs grecs. Les Grecs attribuaient cette pyramide à la courtisane Rhodope, esclave d'Iadmon, de l'île de Samos, et compagne d'esclavage d'Esope, le fabuliste. Rhodope vint en Égypte où elle fut conduite par Xantus-le-Samien. Devenue libre, sa beauté lui valut de grandes richesses. Mais cette opinion est sans fondement ; Rhodope vivait sous le règne d'Amasis, un grand nombre d'années après les rois qui ont fait élever les Pyramides.
Selon le même historien, on rapportait encore que cette pyramide avait été construite par la fille de Chéops, qui avait exigé que chacun de ceux avec qui elle avait eu commerce lui fit don d'une pierre, pour être employée dans cet ouvrage, et qu'elle le fit élever avec ces pierres, prodige non moins grand que celui qui est attribué à Rhodope.
Telle fut l'opinion des Grecs et des Égyptiens sur l'origine de la troisième pyramide. On voit encore à celle-ci une partie de son revêtement de granit. Un grand nombre de blocs qui en proviennent est entassé au pied du monument. Quelques-uns de ces blocs ont trois mètres de longueur sur deux mètres de largeur et un mètre trente centimètres d'épaisseur. Une de leurs faces est inclinée suivant la pente de la pyramide. La face opposée, qui pénétrait dans le massif du monument, est verticale ; et les faces supérieure et inférieure étaient horizontales, avec cette particularité que ces deux dernières faces, sur une longueur d'environ vingt centimètres, se retournent d'équerre à la pente de la pyramide, de sorte que chacune de ces assises ne se terminait point à son lit inférieur par un angle aigu et fragile, mais par un angle droit ; il en résultait à chaque bloc un évidement considérable, et, dans une matière aussi résistante que le granit, c'était un immense travail. Enfin, l'inspection de cette pyramide fournit la preuve que les assises inclinées du revêtement étaient placées en même temps que s'élevait le corps de la pyramide, puisqu'elles sont en prise dans le massif lui-même. Ces blocs de granit ont été arrachés du monument, pour être employés à l'ornement du Kaire, et auparavant à celui d'Alexandrie.
Un vaste monument précède la troisième pyramide, du côté de l'est ; c'est un parallélogramme de cinquante-trois mètres quatre-vingts centimètres sur cinquante-six mètres vingt centimètres, dont les murs ont quatre mètres vingt centimètres d'épaisseur ; il est précédé lui-même d'une chaussée formée de matériaux d'un grand volume ; cette chaussée paraît avoir été construite pour le transport du granit qui revêt ce monument.
Bien d'autres pyramides, en partie détruites, jonchent de leurs ruines le sol d'alentour, mais elles s'effacent devant les trois grands monuments, sur lesquels s'attachent surtout les regards du voyageur et qui absorbent toutes ses pensées.
L'on a beaucoup disserté sur la destination des pyramides ; quelques auteurs ont combattu l'opinion généralement reçue que ces monuments étaient des tombeaux, ce qui n'était point contesté au temps d'Hérodote, de Diodore et de Strabon ; et, de ce que leurs faces sont orientées, on en a conclu que ce sont des monuments astronomiques ; on a même voulu que leur sommité ait servi d'observatoire, opinion invraisemblable ; car, sans parler de l'inutilité de s'élever à cent quarante-quatre mètres pour observer les astres, au milieu d'un horizon dont aucun obstacle ne borne la vue, par quel moyen s'élever le long de ces surfaces lisses et rapides ? Les côtés de ces pyramides sont, il est vrai, dirigés vers les quatre points cardinaux ; ils peuvent ainsi fournir le moyen de reconnaître si l'axe de la terre est dans une position constante ; mais quelque précieux que cela puisse être pour la science, ce but seul eût-il été proportionné à la grandeur de l'ouvrage, et, dans ce cas même, pourquoi élever plusieurs pyramides dans le même lieu, lorsqu'une seule eût suffi.
Un auteur, dans un nouvel écrit, n'a vu dans ces monuments qu'une barrière que les Égyptiens auraient opposée aux sables du désert, pour en défendre la vallée du Nil. (*) Il croit voir la justification de son système dans l'emplacement qu'occupent les pyramides, à l'ouverture des vallées de la chaîne libyque, dans leur forme, leur nombre, leurs positions respectives et dans leurs grandeurs si différentes entr'elles. Enfin il explique tout d'une manière aussi détaillée, aussi affirmative que s'il était entré dans le conseil des prêtres auxquels il attribue ces monuments. Nous sommes loin de partager son sentiment.
Pour opposer une barrière aux sables du désert, que des vents impétueux élèvent à de grandes hauteurs, quel obstacle si efficace pouvaient présenter des monuments isolés par de grands intervalles et leurs sommets aigus, et par quelle raison leur donner une épaisseur égale à la face sous laquelle ils devaient se présenter. Des moyens bien plus naturels, et les seuls que les Égyptiens aient pratiqués, sont, comme cet auteur le rapporte lui-même, les digues, les murailles dans certaines localités, des bois d'acacias et d'autres arbrisseaux le long des canaux. Mais le Nil, par ses inondations, défend lui-même le sol de la vallée, en recouvrant d'un limon fertile les sables qui se sont trop approchés de ses rives.
Tout nous montre, au contraire, des tombeaux dans ces pyramides ; c'est le témoignage qu'en ont rendu les historiens ; elles ne sont que la reproduction en pierre, et sur une immense échelle, des tombeaux en terre d'une forme semblable, et si naturelle d'ailleurs, qu'elle se retrouve chez des peuples auxquels l'Égypte était inconnue.
Lorsque les kalifes ouvrirent les pyramides, ils y trouvèrent des sarcophages, des momies d'hommes et même d'animaux ; quelle preuve faut-il de plus de leur destination funéraire ?
(*) On aura bien reconnu ici Fialin de Persigny.
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