lundi 13 août 2018

"L'explication que propose J.-Ph. Lauer d'une ou plusieurs rampes dont on faisait varier la pente a sur ses concurrentes l'avantage de la simplicité" (Nicolas Grimal)


Extrait de Histoire de l'Égypte ancienne, Fayard, le Livre de Poche, 1988, de Nicolas Grimal, égyptologue français, professeur du Collège de France, directeur de l'Institut français d'archéologie orientale d
1989 à 1999, directeur scientifique du Centre franco-égyptien d'étude des temples de Karnak (CFEETK) d1990 à 2005.
La rampe, version J.-Ph. Lauer

"Les Égyptiens donnent peu de détails sur les techniques de construction qu'ils employaient, mais l'on arrive quand même à s'en faire une idée d'après quelques représentations, les vestiges archéologiques et l'analyse des monuments eux-mêmes. Celle-ci est conduite aujourd'hui à l'aide de techniques très sophistiquées, qui, malgré leur raffinement extrême ne peuvent, pas plus que les autres, se passer de logique. 
Le choix du site d'abord. Il se faisait en fonction de la capitale, dont il ne devait pas être éloigné, et aussi du fleuve. Il fallait un socle rocheux capable de supporter la masse énorme de ces constructions, qui fût situé sur la rive occidentale, traditionnellement réservée au royaume des morts que le soleil baigne de ses rayons au couchant, avant de le parcourir pendant la nuit. Il devait être au-dessus du niveau des hautes eaux, qui pouvaient parvenir lors de la crue à moins de 300 m du plateau Une fois le site déterminé, on procédait à son nivellement - parfait chez Chéops à 18 mm près -, en réservant éventuellement le noyau rocheux central que l'on comptait inclure dans la maçonnerie, à la fois pour économiser des matériaux et pour conserver l'image du tertre initial dominant jadis le caveau.
L'orientation se faisait en fonction des côtés, qui étaient dirigés vers les points cardinaux. Évidente pour l'ouest et l'est, elle l'est moins pour le nord. On doit écarter la possibilité d'une mesure fixe de l'étoile polaire qui eût donné une erreur plus grande que celle constatée sur le terrain. Les Égyptiens ont dû employer une technique assez simple, qui consistait à reporter sur un horizon artificiellement nivelé à l'aide d'un merkhet - une sorte de fil à plomb attaché à une tige en bois et permettant une visée le point de lever et de coucher d'une étoile fixe - probablement une des étoiles de la Grande Ourse. La bissectrice de l'angle déterminé par ces deux points donnait le nord vrai.
La montée des assises pouvait alors commencer. Les carrières locales fournissaient le matériau rustique utilisé le plus souvent pour le blocage : c'est ainsi que l'on a retrouvé vers le coin nord de la pyramide de Chéphren des traces d'exploitation en carrière du socle rocheux, ainsi que l'emplacement, un peu plus à l'ouest, de casernements pouvant loger environ 5 500 ouvriers, carriers ou artisans de la nécropole. Des installations comparables seront aménagées plus tard À Kahoun et Deir el-Medineh. Le calcaire fin nécessaire au ravalement provenait des carrières proches de Toura ; le granit d'Assouan servait au parement des corridors et des salles intérieures en général, voire des installations cultuelles. Les autres roches, dans lesquelles étaient confectionnés sarcophages, dallages, statues, architraves, etc. devaient parfois être apportées de fort loin, comme la diorite qu'on allait chercher à l'ouest d'Assouan. Les blocs étaient extraits et travaillés dans les carrières, puis transportés à pied d'oeuvre sur des chalands. Le transport s'effectuait au moment des hautes eaux, c'est-à-dire lorsque l'on pouvait approcher les blocs Ie plus près possible du chantier. (...)
La période des hautes eaux était aussi l'époque de l'année où la main-d'oeuvre, essentiellement les paysans, était disponible pour assurer la corvée qu'elle devait à son souverain. Dans ces conditions de travail saisonnier, l'estimation de vingt ans donnée par Hérodote ne paraît pas déraisonnable, même si des constructions comme les pyramides de Snéfrou ont dû prendre moins de temps.
En revanche, la description qu'il donne des techniques de levage est peu vraisemblable. On lui préférera l'explication que propose J.-Ph. Lauer d'une ou plusieurs rampes dont on faisait varier la pente. La rampe est disposée perpendiculairement à la face de la pyramide. Sa largeur, assez importante au départ, diminue au fur et à mesure que montent les assises, tandis que sa longueur augmente, de manière à conserver une pente suffisamment faible - de l'ordre de 1 pour 12 permettant aux traîneaux de charrier les blocs. Cette théorie, dont le principe est confirmé par les vestiges de rampes de constructions en brique crue que l'on a retrouvés près du premier pylône du temple d'Amon-Rê de Karnak ou à Meïdoum et Licht, a sur ses concurrentes l'avantage de la simplicité. Le parement, monté par assises comme les installations intérieures, est ravalé à partir du haut une fois le pyramidion posé au sommet de l'édifice." 


La traduction en espagnol de l'ouvrage de Nicolas Grimal est disponible ICI