mercredi 29 août 2018

"Le chef-d'oeuvre des ouvriers qui ont bâti la grande pyramide, c'est l'appareil de la grande galerie" (Georges Perrot, Charles Chipiez - XIXe s.)

Extraits de Histoire de l'art dans l'antiquité - Tome premier : L'Égypte, 1882, par Georges Perrot (1832-1914, professeur à la Faculté des Lettres de Paris, membre de l'Institut) et Charles Chipiez (1835-1914, architecte, inspecteur de l'enseignement du dessin).
Ces deux auteurs ont entrepris ensemble, à la fin du XIXe siècle, un long voyage d’études de l’architecture antique, qui les mène en Grèce, Turquie, Iran, Égypte et Italie. 
À propos de la construction des pyramides d'Égypte, ils s'attardent sur la théorie de Lepsius qu'ils résument en ces termes :

"Des observations qu'a faites Lepsius sur l'appareil et les détails de construction qu'il a observés dans différentes pyramides, on a tiré, en Allemagne, un système assez compliqué ; pour qu'on le saisisse plus aisément, nous représentons dans plusieurs états successifs une pyramide de grande dimension qui aurait été construite par les procédés qu'on nous indique. 

On aurait commencé par élever une première pyramide très étroite et très effilée, à pentes assez rapprochées de la verticale. Celle-ci terminée, on aurait appuyé contre ce massif des assises qui, en s'élargissant vers le bas, donnaient une seconde pyramide ; celle-ci enveloppait la première et ses arêtes dessinaient avec le sol des angles bien plus aigus. C'était par le prolongement et la rencontre de ces dernières arêtes qu'était formée la pointe du monument, un seul bloc à quatre faces, soigneusement taillé. Cette pierre terminale, on pouvait, si l'on voulait, la mettre en place ; alors l'ouvrage était achevé ou à peu près ; il ne restait plus à faire que le revêtement. On pouvait au contraire, si l'on croyait avoir du temps devant soi, chercher à pousser plus haut la tombe ; alors, au point où les arêtes de la pyramide provisoire rencontraient le sol, on élevait quatre murs verticaux ou en talus que l'on prolongeait jusqu'au niveau du sommet de cette pyramide ; on remplissait tout l'espace vide entre ces murs et les faces inclinées et l'on obtenait ainsi une sorte degré ou de terrasse, qui servait de base à un nouveau noyau pyramidal. Celui-ci disparaissait à son tour sous une pyramide à plus large section et à pente plus douce dont les arêtes, en allant chercher le sol, dépassaient l'extrémité du gradin. Cette opération, si le règne était long, pouvait se répéter plusieurs fois."

Les auteurs émettent ensuite quelques importantes réserves sur ce mode de construction (sans pour autant, semble-t-il, en privilégier un autre) :
"Cette théorie semble donc expliquer d'une manière satisfaisante certaines particularités curieuses, et cependant, quand on y regarde de près, que d'objections elle soulève ! Plus d'une fois, les explorateurs des pyramides, quand ils étaient à la poursuite des passages perdus et des chambres cachées, se sont frayé violemment une route à travers la maçonnerie ; ni dans ces puits et ces brèches, ni dans les couloirs antiques qu'ils ont fini par découvrir, ils n'ont trouvé trace des raccords qui auraient été nécessaires pour relier et pour incorporer l'un à l'autre des massifs construits successivement et limités par des surfaces diversement inclinées ; du moins n'ont-ils rien signalé de pareil. Le massif cubique qui vient envelopper la double pyramide par laquelle a débuté l'ouvrage ne laisserait-il pas reconnaître ses flancs presque verticaux, au milieu des assises qui seraient venues l'envelopper pour se rajuster à la pointe de la quatrième pyramide et en prolonger les faces jusqu'à la rencontre du sol ? Ces différentes parties de l'oeuvre ont été, nous dit-on, exécutées séparément ; pour que, de l'une à l'autre, les matériaux et l'appareil fussent tout semblables, pour que les pierres fussent juste d'égale hauteur et se correspondissent assise par assise, il aurait fallu des précautions minutieuses et un soin religieux du détail qui ne sont guère dans les habitudes des ouvriers égyptiens. Comment, sans pierres d'attente en parpaing, éviter les glissements qui ne pouvaient manquer de se produire sur les plans de rencontre, au contact de lits de maçonnerie qui seraient restés indépendants, quoique bâtis en différentes fois et par des mains différentes ? Ou bien si l'on a eu l'attention de les rattacher étroitement les uns aux autres, on doit voir la couture ; qu'on nous la montre ! Qu'on nous montre les retouches qui ont été indispensables pour continuer, à travers les nouvelles enveloppes qui se superposaient, les corridors des chambres. Ces retouches, certaines tailles de pierre les révéleraient tout d'abord à un oeil exercé. Nous ne disons pas que l'on ne peut rien rencontrer de pareil dans l'épaisseur de l'appareil intérieur, mais ce sont là les preuves qu'auraient dû commencer par fournir les défenseurs du système."  

Un autre extrait des longs développements des auteurs mérite d'être mentionné :


"Le chef-d'oeuvre des ouvriers qui ont bâti la grande pyramide, c'est l'appareil de la 'grande galerie', en avant du vestibule qui précède la chambre royale. Comme elle est haute de plus de 8 mètres et large de plus de 2, on y respire plus à l'aise que dans les couloirs étroits et bas par lesquels on a cheminé jusque-là ; on s'arrête donc volontiers en cet endroit. Tous les voyageurs qui ont visité la pyramide ont conservé le souvenir de ces beaux blocs de calcaire du Mokattam, dont est faite la paroi lisse et polie ; la face externe de ces blocs a été ravalée avec un soin qui n'a pas été dépassé dans les constructions helléniques les plus parfaites, telles que celles de l'Acropole d'Athènes. Les faces internes des blocs, celles qui sont en contact les unes avec les autres, n'ont pas été dressées ici avec moins de patience et d'habileté ; aucun ciment n'a été employé dans cet appareil, et l'adhérence est si parfaite, que, comme le dit Abd-ul-Latif, "on ne pourrait introduire dans les joints ni une aiguille ni même un cheveu". Ces joints sont à peine visibles ; on ne les distingue pas sans une grande attention. La couverture de cette salle n'a pas été moins bien étudiée."

Un autre morceau choisi de cet auteur dans l'Égypte entre guillemets :  

"Les premières impressions qui soient demeurées dans la mémoire de l'humanité, c'est l'Égypte qui les a conservées" (Georges Perrot, Charles Chipiez)