mercredi 8 août 2018

"Entendre la messe aux Pyramides n'est pas chose ordinaire" (auteur anonyme)

Il fut un temps où les "visiteurs" qui avaient l'opportunité et les moyens de faire halte en Égypte, notamment sur la route d'un pèlerinage en Terre Sainte, transportaient avec eux leurs habitudes, leur lecture et interprétation de l'histoire, leur environnement social et culturel, voire leurs "oeillères" (ce temps est-il réellement révolu ?)... D'où l'étrange appropriation - dont témoigne le texte qui suit - du site prestigieux des pyramides pour sacrifier aux obligations d'un rite religieux nullement en rapport avec le caractère hautement symbolique du lieu.
L'auteur de ce récit est resté à tout jamais anonyme. Cela est sans doute préférable. 
L'auteur du texte décrit sommairement un tableau qui ressemble à celui-ci
et qu'il attribue à Gérôme.
Selon les références en notre possession, cette huile - Le Repos pendant la Fuite en Égypte - (1880) a été réalisée par Nicolas Luc-Olivier Merson (1846 - 1920) 
"Le train stoppe en face de quelques cafés qui m'ont tout l'air de guinguettes. Encore quelques pas et voici des monticules de sable, une baraque en planches qui a servi pour les fouilles de M. de Morgan et, devant nous, dans le calme du matin les Pyramides aux grands noms de Kheops, Kephren et Mykerinos. 
Kheops la première montre sa masse triangulaire puissamment accroupie sur le sol à l'orée du désert. Rien d'artistique au sens élevé du mot dans cette débauche de pierres superposées et qui atteignent 137 mètres de hauteur avec une base de 227 mètres. Pas de ligne qui révèle par sa délicatesse une âme humaine. L'impression première ressentie est une impression d'écrasement devant quelque chose de colossalement fou. Mais ce sont les Pyramides. Leur masse même vous empoigne et on ne peut s'empêcher de penser que ces rois aux noms étranges de Koufoui, Kaphri et Menkaouri étaient de forts spécimens de la race humaine, eux qui à une époque que l'histoire ne connaît pas, qu'elle ne peut préciser par une date, ont pu rêver un pareil tombeau et en imposer la réalisation à leurs sujets ou à leurs prisonniers.

Entendre la messe aux Pyramides n'est pas chose ordinaire. Cette joie nous est donnée. Contre la partie nord exposée à l'ombre, un autel s'improvise, un prêtre célèbre les saints mystères au milieu du recueillement de tous. Nous chantons le Credo du premier ton, solennel et majestueux, mais nos voix que nous essayons pourtant de doubler, n'ont guère de puissance. Ce chant, si beau dans nos cathédrales se perd ici sur place. Pour réveiller l'écho du désert, il faut l'éclat du tonnerre ou le mugissement de la tempête soulevant des montagnes de sable. Notre voix cependant montera vers Dieu plus sûrement que la tempête et retombera en bénédictions. Tout en chantant, je pense à la fuite en Égypte et aux gracieux détails des Évangiles apocryphes, à saint Joseph, à la Vierge, à l'Enfant Jésus, à l'humble caravane se reposant aux pieds des Pyramides. Gérôme a délicieusement interprété cette légende dans l'un de ses tableaux. Entre les pattes du sphinx qui regarde dans le désert fixement, la Vierge toute blanche dort avec l'Enfant Jésus dans ses bras. Joseph fait de même couché sur le sable ; l'âne mordille un chardon pendant que le feu qui a servi à cuire le pauvre repas du soir, achève de s'éteindre, exhalant une dernière fumée, laquelle monte dans la nuit très belle, en son calme divin. N'est-ce pas charmant de poésie ?

Après la messe, l'ascension de la pyramide de Kheops
 -c'est indispensable - moyennant la somme de 2 fr. 50, payée à une sorte de petit employé, logé dans une cabane en planches. Un bédouin s'empare de ma personne avec son jeune fils, gamin d'une douzaine d'années, qui s'entraîne à la montée. Tout en prenant mes dispositions, je converse avec mon guide qui parle très bien le français.
Il me dit être Algérien d'origine, son père ayant quitté l'Afrique après la prise d'Abd-el-Kader. Pour un solide gaillard, c'en est un. Afin de lui montrer que moi aussi j'ai du jarret, j'avale rapidement les premiers degrés qui ont 80 centimètres, lui, saute devant moi par bonds comme un chat. C'est merveille de le voir. Ses pieds, aussi bien que ses mains s'accrochent aux aspérités des pierres. Au bout de cinq minutes j'en avais assez. Lui, alors, m'enlace le poignet de sa main de fer et m'enlève comme un enfant. J'arrive hors d'haleine sur la plate-forme d'une dizaine de mètres de côté. Le père G. était déjà là avec quelques pèlerins. Nous chantons le 'Salve Regina'. Un coup d'oeil tout juste pour dire que l'on a vu un rare spectacle, et il faut descendre, parce que le gros des pèlerins qui est resté dans la plaine, prend la direction du chemin de fer. La descente pénible à cause du vertige me vaut une suée carabinée, que l'ardent soleil va bientôt sécher à fond.
"