dimanche 19 août 2018

Il est peu probable que les Égyptiens aient utilisé les machines auxquelles fait allusion Hérodote" (guide Nagel)

Extraits du guide Nagel - Encyclopédie de voyage - "Égypte", ouvrage collectif, 1969, la majeure partie des textes ayant été rédigée par J. Leclant, J. Ph. Lauer et A. Mekhitarian

photo datée de 1880
" (Le groupe célèbre des pyramides de Guizeh) en comprend essentiellement trois grandes, qui furent des tombes royales de la IVe dynastie, et six petites, qui furent très probablement destinées à des reines de la même époque. Si l'attribution des trois principales (du N. au S. et par ordre de grandeur) qui avait été faite par les Grecs respectivement aux rois Khéops, Khéphren et Mykérinos, paraît ensuite avoir été ignorée des auteurs arabes, dont les écrits concernant ces pyramides sont empreints de haute fantaisie, ainsi que de la plupart des pèlerins du Moyen Âge, qui les appelaient "les greniers de Joseph" ou "les greniers Pharaon", elle fut connue à nouveau des voyageurs lettrés dès le début de la Renaissance. Mais ce n'est qu'au cours du siècle dernier que ces appartenances ont pu être vérifiées par les explorations et les fouilles qui nous ont livré non seulement les vrais noms égyptiens de ces rois, mais aussi ceux donnés à leurs pyramides respectives. Ces noms royaux sont : Khoufou ou Khoum-Khoufou pour 'Khéops' (appelé, d'autre part, Khemmis par Diodore de Sicile), Khâf-rê pour 'Khéphren', et Menkaou-rê pour 'Mykérinos'. Quant aux noms de leurs pyramides, ils se traduisent ainsi : "Khéops appartient à l'horizon", "Grand est Khéphren", et "Mykérinos est divin".

C'est à Hérodote (II, 121-136), qui voyagea en Égypte vers 450 av. J.-C., que l'on doit le plus ancien commentaire sur les pyramides de Guizeh. Se faisant l'écho des légendes qui couraient à cette époque, il s'étend sur les prétendues impiété et tyrannie des rois Khéops (auquel il attribue 50 ans de règne) et Khéphren. Seul Mykérinos, qu'il considère à tort comme le fils de Khéops (les fouilles ont démontré qu'il fut celui de Khéphren) n'aurait pas approuvé les actes de son père, et "de tous les rois, ajoute-t-il, il fut celui qui fit régner le mieux la justice. Cette équité lui a valu d'être le plus populaire de tous les princes égyptiens jusqu'à nos jours..."

Hérodote décrit, d'autre part, l'ampleur extraordinaire des efforts et des travaux entrepris pour parvenir à la construction de la Grande Pyramide qui aurait nécessité la réquisition de la population : "Il y avait sans cesse en chantier, écrit-il (II, 124), cent mille ouvriers qu'on relayait tous les trois mois. Le peuple fut ainsi opprimé d'abord pendant dix ans pour construire la chaussée, par laquelle on traînait les pierres... La pyramide elle-même demanda vingt ans d'efforts..."

Un peu plus loin il explique que le massif de la pyramide étant composé d'une succession de petits gradins formés par ses assises, ce qui est exact, les blocs de revêtement auraient élevés à l'aide de machines faites de morceaux de bois courts" que l'on plaçait successivement sur les différentes assises ; et il assure qu' "on acheva ainsi d'abord le sommet" (II, 125). Or pareille assertion n'a pu résulter que d'une mauvaise interprétation, car il aurait été matériellement impossible d'introduire des blocs de pareille dimension sous des assises déjà en place, et il est évident que la seule opération qui ait pu être exécutée à partir du sommet, c'est le ravalement, comme il est de règle. Il est, d'ailleurs, peu probable que les Égyptiens aient utilisé les machines auxquelles fait allusion Hérodote, et il y a tout lieu de penser que tant les blocs de parement que ceux du massif même furent montés sur des traîneaux au moyen d'une ou plusieurs rampes de brique crue ou de terre, ainsi que l'assure précisément Diodore de Sicile (I, sect. LXIII).

Il est à peu près certain que, lorsqu'Hérodote visita l'Égypte, les Grandes Pyramides avaient été violées depuis longtemps, vraisemblablement dès les temps archaïques de la première Période Intermédiaire. Le fait que le cercueil au nom de Mykérinos découvert dans sa pyramide et transporté au British Museum ne peut être, en raison de sa forme et du style de ses inscriptions, réinhumé en ce temps antérieur à l'époque Saïte, est une preuve que ce roi fut réinhumé en ce temps et que l'intérieur de sa pyramide était donc accessible.

Il semble qu'il faille expliquer par une opération du même ordre la pierre amovible à l'entrée de la Grande Pyramide, dont parle Strabon (Livre XVII) au début de l'ère chrétienne : "Elle forme, ajoute-t-il, un canal oblique, qui conduit au cercueil disposé dans l'intérieur de la pyramide." Il est ainsi bien douteux que le khalife el-Mamoun qui fit rouvrir la Grande Pyramide en 820 ait pu y découvrir encore la momie couverte d'or et de pierreries dans un sarcophage de pierre verte, comme l'assure au XIIe s. l'auteur arabe Qaysi. D'après une autre version (U. Bouriant, Maqrizi, p. 340), d'ailleurs, la découverte d'el-Mamoun aurait été beaucoup plus modeste, et n'aurait livré dans la cuve "qu'un cadavre corrompu par suite de la longueur des siècles".

En ce qui concerne, enfin, la disparition presque totale du revêtement des Pyramides, nous savons par les pèlerins du Moyen Âge qui, se rendant en Terre Sainte, eurent l'occasion de visiter ces monuments, comme Simon de Sarrebruck et le baron champenois d'Anglure en 1395, que l'exploitation la Grande Pyramide était alors depuis longtemps en pleine activité : "D'icelles pierres sont faits, écrivait le Seigneur d'Anglure, la plus grande partie des beaux ouvrages que l'on fait au Caire et en Babylone, et que l'on y fit de long temps..."

Selon Abd'Allatif, Osman Ibn Youssef aurait déjà enlevé une importante partie du revêtement de Mykérinos en 589 de l'Hégire, c'est-à-dire au début du XIIle s. Quant à celui de Khéphren, s'il fallait en croire John Greaves qui assurait, contrairement aux témoignages d'autres visiteurs, que lors de son voyage en Égypte (1638-1639) la surface de cette pyramide était lisse, unie et à peu près intacte sauf sur le côté sud, il n'aurait disparu qu'entre cette date et celle du voyage de Sandys en 1670, soit en l'espace bien court d'une trentaine d'années. Ce voyageur indique, en effet, sur son dessin des Pyramides, une calotte de revêtement au sommet de celle de Khéphren, à peine plus importante que celle qui y subsiste encore. Il est donc très probable que Greaves ait fait confusion parmi ses souvenirs, peut-être avec la pyramide rhomboïdale de Dahchour.
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